Les sources intellectuelles de la mauvaise conscience
par Henry de Lesquen, dans l’Occident sans complexes
Dans les débats sur l’immigration ou le terrorisme, la France paraît douter d’elle-même. Pourquoi hésitons-nous à défendre avec détermination notre identité et notre sécurité ? N’est-ce pas la marque de la mauvaise conscience que la France partage avec les autres nations d’Occident ? Il n’est, hélas, guère permis d’en douter, car cette mauvaise conscience, véhiculée par bien des canaux, se manifeste de bien des manières. À l’analyse, elle se révèle comme un composé idéologique assez complexe, élaboré par un établissement intellectuel qui méprise les aspirations populaires.
La mauvaise conscience dont nous voulons parler n’est pas le juste remords qu’un homme peut éprouver pour une faute qu’il a réellement commise et dont il se sent personnellement responsable. La faute, ici, n’est pas réelle et la responsabilité n’est pas personnelle. La mauvaise conscience de l’Occident porte le plus souvent sur des torts imaginaires – ou démesurément grossis, interprétés de manière unilatérales, sans souci d’objectivité. De plus, elle prétend engager la responsabilité collective de la société dans son ensemble. Il ne s’agit donc pas du péché individuel de l’homme, mais bien d’un péché social.
Les thèmes de culpabilisation
Parmi les nombreux thèmes de culpabilisation qui suscitent la mauvaise conscience, beaucoup sont à la baisse à la bourse des valeurs, quelques-uns sont à la hausse.
1. Autour de l’écologisme, on peut associer diverses idées soixante-huitardes : au début des années 1970, le club de Rome faisait le procès de la croissance, qui relayait la critique de la société de consommation. En France, l’écologisme semble passé de mode, sans avoir jamais réussi à percer. On ne peut pas en dire autant de nos voisins d’Outre-Rhin, où les « verts » ont séduit une fraction non négligeable du corps électoral en mariant l’écologie au pacifisme et au neutralisme, de manière à tirer parti de la division de l’Allemagne, qui traumatisait des jeunes générations.
2. Accusé de séparatisme par de Gaulle, le parti communiste soutient depuis Marx que « les prolétaires n’ont pas de patrie » et entend opposer la classe ouvrière à la communauté nationale. Plus tard, on a présenté toute une série de catégories sociales comme des « minorités exploitées », dont le potentiel révolutionnaire pouvait suppléer celui d’un prolétariat en voie d’embourgeoisement. C’est un inventaire à la Prévert, dans lequel on trouve pêle-mêle les femmes, les Bretons, les Basques, les Corses, les homosexuels, les drogués, les terroristes, les délinquants, les malades mentaux…
Ces catégories, évidemment, n’ont rien de commun entre elles, si ce n’est aux yeux de l’intellectuel révolutionnaire elles sont susceptibles de nourrir le procès intenté à la société bourgeoise. La société « marginale » représente le contraire de la société établie. En faisant son apologie, l’intellectuel veut entrer en dissidence et prendre le parti de l’étranger, d’un étranger qui est le fruit de son imagination atomique. On se souvient, par exemple, de la mobilisation des pétitionnaires dans l’affaire Knobelpiess. Quant aux malades mentaux, on sait que l’antipsychiatrie les considérait comme des victimes de la société.
3. Le manichéisme politique impute à la « droite éternelle » toutes les horreurs de l’histoire, tandis que la gauche, par contraste, incarnerait les valeurs de justice et de progrès. Dans cette perspective, l’histoire est le combat permanent du principe du mal, la droite, opposé au principe du bien, la gauche. Cette lecture simpliste procède par amalgame et falsification. On nous dit par exemple que le fascisme est une idéologie de droite, alors qu’il appartient incontestablement à la famille du socialisme. On nous dit que la collaboration était de droite et que la résistance était de gauche, alors que la réalité est beaucoup plus complexe. On nous dit que le capitalisme a réduit les ouvriers à la misère au XIXe siècle, alors que c’est le contraire qui est vrai.
4. Le tiers-mondisme impute à l’Occident tous les malheurs du tiers monde. Plusieurs ouvrages ont fait justice de ces accusations simplistes, notamment ceux d’Yves Montenay et de Lord Bauer.
D’autres thèmes de culpabilisation, au contraire, jouent un rôle croissant dans le nouveau dispositif idéologique adopté par la gauche après l’effondrement de ses croyances traditionnelles.
1. Le misérabilisme pseudo-humanitaire récupère à des fins, tant commerciales qu’idéologiques, le sentiment de compassion vis-à-vis des « nouveaux pauvres ». Les formes traditionnelles de la charité, qui fonctionnent bien dans les organismes éprouvés comme la Croix rouge et le Secours catholique, sont occultées par un battage médiatiques qui a servi à la promotion du personnage symbole de la contre-culture, Coluche. Le quart monde des exclus est un prétexte à la culpabilisation de la société des nantis, et joue le rôle assigné naguère au tiers monde. D’ailleurs, les deux thèmes n’en font plus qu’un, lorsque les imagines de la famine font la publicité d’un concert pour l’Ethiopie. La pitié a toujours été une part essentielle du fonds de commerce de la gauche, qui méconnaît les vraies causes de la pauvreté et n’y voit qu’un motif de condamner l’Occident capitaliste.
2. Le montage antiraciste part de cette évidence fallacieuse qu’on assisterait aujourd’hui dans notre pays à la résurgence du « racisme ». Il assimile ensuite la revendication d’identité nationale à cette menace imaginaire.
Le détournement des valeurs religieuses
Le socialisme est une religion séculière, qui veut construire le paradis sur terre et rejette toute spiritualité authentique. Pourtant, notamment sous la forme du marxisme, le socialisme s’est infusé dans le christianisme, aussi bien chez les catholiques que chez les protestants. C’est ainsi que la soi-disant « théologie de la libération » du R.P. Gutiérrez est un marxisme déguisé. Au Nicaragua, de nombreux prêtres ont participé à la mise en place d’un régime communiste. Le socialisme a inversé les valeurs chrétiennes ; les christo-marxistes, comme les appelle le Pr Dreyfus, ont converti la foi en idéologie, l’espérance en utopie, la charité en lutte des classes.
Les abus de la raison philosophique
Le Pr Hayek a montré que l’idéologie socialiste exprimait une des grandes tendances de la pensée philosophique, le rationalisme « constructiviste ». Selon ce point de vue, on peut construire ici et maintenant une société parfaite, à condition refaire table rase des traditions et d’obéir ensuite aux principes de la raison. La société actuelle, qui, certes, n’est pas parfaite, ne peut être établie que sur de faux principes. Il faut la condamner dans sa totalité et ceux qui la défendent se voient taxer d’obscurantisme et de passéisme.
Les préjugés pseudo-scientifiques
De nombreuses conceptions pseudo-scientifiques sont également des véhicules de la mauvaise conscience et alimentent la théologie et la philosophie de la révolution dont nous venons de parler.
Marx prétendait au XIXe siècle que les lois de l’économie capitaliste se traduisaient par la paupérisation du prolétariat. Cette théorie, dont l’absurdité est devenue éclatante, est maintenant transposée à l’échelle du monde. Le centre, c’est-à-dire les pays occidentaux, exploiteraient la périphérie, constituée de pays du tiers monde. Ces derniers n’auraient d’autre solution pour échapper à la misère que de rompre avec le capitalisme et d’opter pour un développement « autocentrée ».
On pourrait évoquer bien d’autres disciplines que l’économie politique. Une certaine psychologie, en particulier avec la psychanalyse, s’est employé à culpabiliser les parents, jugés responsables de tous les malheurs de leurs enfants. Elle est aussi à l’origine des thèses aberrantes de l’antipsychiatrie, qui présentent les malades mentaux comme des victimes de la société : ce ne sont pas les gens qui sont fous, mais la société qui est folle. Elle porte la faute d’exclure ces prétendus malades qui ne l’acceptent pas telle qu’elles est… On doit faire une mention spéciale d’une certaine criminologie (la défense sociale nouvelle de M. Marc Ancel), qui exonère le criminel de son acte et l’impute à la société, dont il serait une victime. La politique pénale de M. Robert Badinter, ministre de la Justice du gouvernement socialiste, devait beaucoup à cet obscurantisme.
Toute une sociologie analyse la société comme un système fondamentalement inégalitaire, qui tend à reproduire de génération en génération des inégalités de prestige et de richesse sans rapport ni avec le talent, ni avec le mérite.
C’est pourtant de toutes les « sciences humaines » l’ethnographie qui a exercé l’influence la plus profonde et la plus ancienne dans cette stratégie globale de subversion. Bien des auteurs, de longue date, ont exploité tendancieusement les documents ethnographiques pour instruire le procès de l’Occident. Ce procédé éprouvé remonte aux premiers voyages en Amérique. Dans les Essais, Montaigne fait l’éloge des indigènes du Nouveau Monde, dont il oppose la bonté native à la corruption des nations européennes. On a vu depuis lors ces « intellectuels contre l’Europe » dont parle André Reszler opposer la simplicité du sauvage à la dépravation du civilisé.
Paul Hazard, dans La Crise de la conscience européenne, a passé en revue les personnages exotiques qu’on a successivement opposés à celui de l’Européen corrompu. Après le sauvage d’Amérique, on a fait l’éloge du Mahométan, soit turc, soit arabe. Après le Persan railleur de Montesquieu, ce fut le philosophe chinois qui fut le plus prestigieux du XVIIIe siècle. Sous cette réserve que Confucius a cédé la place à Mao Tsé Toung, le maoïsme de la fin des années 1960 reprenait une ancienne tradition.
Les sources idéologiques de la mauvaise conscience
Le péché social, ou comment vivre contre ses principes
Le mythe du bon sauvage est sans nul doute le plus important dans le processus de culpabilisation. Il illustre une conception de l’homme et de la société où a pris racine la mauvaise conscience de l’Occident. Selon Jean-Jacques Rousseau, l’homme est naturellement bon, et c’est la société qui le corrompt. Sorti de l’état de nature, il a été jeté malgré lui dans un monde d’inégalité et reste au fond innocent du mal dont il peut apparement se trouver la cause.
Dans cette perspective, d’où peut venir la mauvaise conscience ? Si l’homme est naturellement bon, il ne peut commettre de fautes ou de péchés qui aient une portée métaphysique, liée, dans la tradition chrétienne, à la doctrine du péché originel. Il ne reste que le péché social. Cette notion de péché social est au cœur des attitudes collectives de la gauche européenne. C’est une figure idéologique assez complexe. D’une part, elle se réfère plus ou moins clairement au mythe du bon sauvage. D’autre part, elle reconnaît la possibilité du salut social (à tout péché, miséricorde). La société est mauvaise parce qu’elle est mal construite. Armé des lumières de la raison, l’intellectuel de gauche sait théoriquement construire la société parfaite, après avoir fait table rase de l’ancienne. C’est cette conception mythique que traduisait candidement M. Jack Lang en 1981, après l’élection de M. François Mitterrand, lorsqu’il disait : nous sommes passés de l’ombre à la lumière.
Malheureusement pour elle, le projet de la gauche française s’est brisé sur des réalités économiques, ce qui la mettait devant une alternative : ou bien la radicalisation révolutionnaire, l’idée caressée un moment par M. Mitterrand, pour opérer la « rupture avec le capitalisme » ; ou bien la formule social-démocrate, qui établit un compromis scabreux entre le monde réel et l’utopie égalitaire. La mauvaise conscience naît alors de la contradiction, douloureusement ressentie, entre des principes auxquels on croit et une réalité bien différente, dont on se sent responsable. Elle s’alimente de la honte que l’on a de posséder sur autrui une supériorité, vraie ou supposée, dont on est persuadé de l’avoir dépouillé indûment et dont pourtant on ne se sent pas le courage de se priver. Elle est donc le fruit d’une âme déchirée, au bord de la schizophrénie. Dans les multiples manifestations de la mauvaise conscience contemporaine, on retrouve fréquemment l’attitude ambivalente de la social-démocratie : à morale révolutionnaire, politique réformiste. La social-démocratie n’a pas renoncé aux aspirations égalitaires de l’idéologie socialiste, mais il s’est senti forcé de pactiser avec le monde. Il est donc devant le révolutionnaire dans une position d’infériorité morale – de même, chez les cathares, le simple croyant devant le parfait. Comme le socialiste révolutionnaire le social-démocratie considère que la société est intrinsèquement mauvaise, mais, à la différence de lui, il a préféré ses intérêts à ses convictions. C’est de cette contradiction insoluble que provient aujourd’hui la mauvaise conscience de la plupart des intellectuels de gauche. (Dans le cas de Jean-Paul Sartre, la mauvaise conscience reflétait le décalage des paroles par rapport aux actes et non par rapport aux aspirations.)
La métamorphose de l’égalitarisme : du marxisme au détournement des droits de l’homme
À l’origine, régnait l’idéologie marxiste, « opium des intellectuels » selon une formule de Ludwig von Mises, popularisée par Raymond Aaron : « Les bolchévistes, disait Mises, ne cessent de répéter que la religion est un opium pour le peuple. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le marxisme est un opium pour la haute classe intellectuelle, pour ceux qui pourraient penser et qu’il veut sevrer la pensée. »
Au fur et à mesure que les socialistes sont amenés à abandonner les thèses radicales du marxisme, ils accentuent la critique sociale dans les domaines non économiques tels que la justice, l’immigration, les mœurs. C’est un phénomène réflexe de compensation, psychologiquement naturel, qui aboutit à une forme de schizophrénie politique. C’est ainsi que M. Badinter devient « l’honneur de la gauche » quand il paraît préférer les criminels à leurs victimes…
Dans ce contexte intellectuel, le marxisme est peu à peu supplanté par l’idéologie « cosmopolite ». C’est une tentative de détournement des valeurs républicaines, qui s’expriment notamment dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, au profit d’un composé au demeurant peu cohérent, qui nie tout aussi bien l’idéal de la nation que les exigences de la liberté. Cette nouvelle idéologie est sous-jacente dans le développement de ce qu’on a appelé la deuxième gauche, celle du socialisme autogestionnaire, puis de la troisième gauche, mélange de socialisme et de libéralisme.
Des intellectuels contre le peuple
À travers ces métamorphoses de l’égalitarisme, l’intellectuel de gauche a toujours gardé au fond de lui-même une haine inaltérable envers la société dont il est membre. Comme les gnostiques du IIe siècle, il révère la figure de l’Autre, de l’Étranger, de l’Allogène, et prendra en toute occasion le parti de l’étranger. Dans le jeu de la trahison, il a des déguisements sublimes. De là, par exemple, son rôle dans la coterie pro-immigrés et dans la coterie tiers-mondiste, qui, bien souvent, n’en font qu’un.
Après le réflexe de compensation, joue celui du transfert. L’intellectuel de gauche ne voit pas dans le peuple de France des citoyens libres et responsables, mais un ramassis de Dupont-Lajoie, auquel il se croit très supérieur. C’est dans ce double jeu que ces intellectuels s’efforcent de justifier leurs privilèges, eux qui forment un établissement coupé du peuple.
La trahison des clercs est dans la démission de ces intellectuels qui proclament la fin des idéologies, faute d’avoir trouvé celle qui réponde à leurs aspirations nihilistes, et se réfugient dans le dénigrement systématique, en restant aveugles au renouveau des valeurs libérales et nationales qui fleurissait en Occident pendant les années 1980.
Bonjour Henry de Lesquen,
Une illustration des paradoxes de la mauvaise conscience est donnée par la constatation suivante : les habitants des États-Unis ont en moyenne meilleure conscience que les représentants de notre bon peuple français.
Pourtant en 1830, les populations Berbères en Afrique du Nord et Indiennes en Amérique du Nord étaient équivalentes.
Un siècle après, en 1930 les Berbères étaient 5 fois plus nombreux et les Indiens 15 fois moins nombreux ( environ, car on n’a même pas de chiffres exacts ).
Bon courage pour votre campagne.
Vive la Nation et vive le Roy !
Article très intéressant en contrepoint duquel je me permets de joindre ces quelques remarques pour stimuler le débat.
« La mauvaise conscience dont nous voulons parler n’est pas le juste remords qu’un homme peut éprouver pour une faute qu’il a réellement commise et dont il se sent personnellement responsable. »
Vous parlez de « la culpabilité réele » à laquelle le christianisme ajoute un poids supplémentaire à travers le péché originel. Commettre un péché pour un chrétien n’est pas agir en responsabilité individuelle. Toute une frange catholique traditionaliste maugréait contre les actes de repentance de Jean-Paul II sans voir que la repentance pour des péchés que l’on n’a pas commis n’est pas se battre la coulpe sur la poitrine de ses ancêtres, mais est une conséquence logique du péché originel, ce péché « métaphysique » qui continue d’avoir des répercussions sur moi, faisant que je dois me repentir et réparer le péché de mes parents en me croyant responsable de « tous les malheurs du tiers monde », mauvaise conscience à l’origine du ratage de la décolonisation, car l’homme occidental n’osera jamais tenir aux ressortissants du Tiers monde ce langage qu’il jugera répressif: « Vous êtes responsables de vos indépendances, lesquelles ayant obtenues comme il était juste, vous ne devriez émigrer qu’à titre exceptionnel. »
-Le chrétien est ataviquement -et par certains côtés maladivement- « altérophile »: il aime l’autre, se déprécie à son profit, mais sa dépréciation est sans effet, car il ne va pas jusqu’à se priver en sa faveur. Cette dépréciation sans privation introduit une culpabilité imaginaire que vous décrivez très bien: « Elle s’alimente de la honte que l’on a de posséder sur autrui une supériorité, vraie ou supposée, dont on est persuadé de l’avoir dépouillé indûment et dont pourtant on ne se sent pas le courage de se priver. Elle est donc le fruit d’une âme déchirée, au bord de la schizophrénie. » D’une âme déchirée et inactive.
Félicitations aussi pour la distinction entre « société bourgeoise » et « société marginale ! » Le socialisme a substitué une kyrielle de minorités au prolétariat plus difficile à manoeuvrer : « les femmes », « les bretons » et « les basques », si bien qu’on aurait envie de dire en souriant: « Les femmes et les bretons, lâchez-nous les basques! » . La lutte des minorités a remplacé la lutte des classes. Ou plus précisément, la lutte de ceux que Georges Dilinger décrivait comme « les êtres naturellement mis en minorité: les femmes, les handicapés », vous ajouteriez les malades mentaux. C’est une lutte pour l’émancipation de « la société marginale » contre « la société bourgeoise »(acquérir la majorité pour un mineur étant l’émancipation suprême)
Je suis tout disposé à vous suivre pour dénoncer le compromis hypocrite qu’a trouvé la sociale démocratie entre les aspirations révolutionnaires et l’action réformiste, Le militant authentique de la gauche révolutionnaire ayant une supériorité morale sur le militant pragmatique et réformiste de la deuxième ou de la troisième gauche. La dychotomie entre les aspirations et l’action est incapacitante. C’est pourquoi je ne suis plus de votre avis pour trouver que la gauche aurait déserté le tiers monde pour s’occuper des « nouveaux pauvres » du « quarts mondes » La misère du quart monde est invisible à l’humanitarisme lointain de la gauche réformiste. Cette invisibilité du réel est sans doute le principe qui détache le socialisme de toute spiritualité authentique. Pour aimer, il faut voir et quand on voit, il faut se priver. La transparence indique la nécessité du sacrifice. Bravo de noter que le socialisme supplée à son vide spirituel par ce tryptique de subversion des vertus théologales qu’est « l’idéologie », « l’utopie » et « la lutte des classes »! On peut dire aussi que le socialisme est intrinsèquement porteur d’une singerie de spiritualité, car il remplace l’Alliance de dieu avec les hommes par une alliance de seconde zone, la société qui vient de socius, où l’homme ne rencontre pas son frère, mais seulement l’esprit de son frère. Là où Joseph de Mestre ne connaissait pas l’Homme et que des hommes, la société ne connaît pas les hommes, elle ne connaît que l’Homme. La société pourrait encore se définir comme « l’esprit des hommes » (ou le substrat humain) réduit au plus petit commun dénominateur.
Les sociaux démocrates de la gauche réformiste ne peuvent pas s’occuper du « quart monde » qu’ils ne remarquent pas. La droite se veut plus réaliste et a de nombreux points aveugles. S’agissant du quart monde, vous ne voyez pas que le scandale de la misère, c’est qu’elle se reproduit. La reproduction n’est pas un fantasme sociologique. Que faire si la naissance tient lieu de mérite et si le talent se transmet avec elle, favorisé par l’éducation? De même, il ne suffit pas de dire que le capitalisme n’est pas un vecteur de paupérisation, mais que « c’est le contraire qui est vrai » pour l’avoir démontré. Il ne suffit pas de dire que « les idées mènent le monde » (et non pas l’argent) et de dénoncer ceux qui proclament « la fin des idéologies » parce qu’ils n’ont pas trouvé celle qui leur conviendrait, pour avoir vous-même trouvé la vôtre. Il ne suffit pas de renverser « l’utopie égalitaire » et de dénoncer l’individualisme à l’origine de l’Etat de droit, contraire au bien commun, pour dire par quoi vous remplacez celle-là et quel but vous assignez à la société. Si vous vous contentez de la conserver sans l’améliorer en aucune façon, pourquoi devrait-on vous suivre puisque vous n’allez nulle part?
Scolie marginale non spinoziste: le tort de la psychanalyse n’est pas d’avoir culpabilisé les parents. Il est d’avoir donné licence aux enfants d’accuser leurs parents pour renverser le comandement: « Honore ton père et ta mère », à l’origine de toute société, conservatrice ou non. Ce faisant, la psychanalyse a réinvesti le péché originel -Freud croyait à la dette collective-, mais en le faisant remonter d’ascendant en ascendant. Pour Freud, le péché originel n’était pas un fratricide, mais un parricide, le père tué et consommé par la horde primitive lors d’un repas totémique. Freud reconstruit évidemment ainsi le second péché -le péché originel n’étant pas dans la Bible un meurtre primitif-pour suggérer de façon blasphématoire, mais latente que l’Eucharistie, loin d’en être la rédemption, en constitue le prolongement.