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De l’existence des races humaines et de leur base héréditaire

DE L’EXISTENCE DES RACES HUMAINES

ET DE LEUR BASE HEREDITAIRE

par Gérard Lucotte,
professeur à l’École d’anthropologie de Paris

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Etymologiquement, le terme de « race » proviendrait du latin radix, ce qui fait référence à la racine et évoque l’image de l’arbre généalogique. Depuis la Renaissance, le terme de race correspond à une « notion pratique », ce qui désigne tout à la fois : la lignée, la famille, et la génération (continuée de père en fils, et ce, plus précisément, dans le cas des familles nobles). Ce n’est qu’au moment des grandes mutations sociopolitiques du XVIIIe siècle (et lors de la remise en cause des ordres privilégiés) que la notion de race change de sens pour désigner « une collection d’individus de même origine géographique que réunissent des traits physiques analogues ».

Cette notion de race humaine, correspondant aux observations communes, a en effet été introduite pour la première fois dans le domaine scientifique par Linné, à l’occasion de la seconde édition (1740) de son Systema Naturæ. Ce grand classificateur distinguait en effet, à l’intérieur de l’espèce humaine, des « variétés » ou sous-espèces naturelles, correspondant à des types morphologiques et des adaptations géographiques déterminées ; quatre catégories sous-spécifiques, particulièrement, sont ainsi distinguées par cet auteur : l’Européenne, l’Africaine, l’Asiatique et l’Américaine, caractérisées selon des critères à la fois géographiques, descriptifs, mais aussi psychologiques (ainsi, l’Européen est décrit comme « léger, vif, inventif et gouverné par les lois »).

Le naturaliste allemand Friedrich Blumenbach est à juste titre considéré comme le père de l’anthropologie raciale. Dans la première édition (1775) de son ouvrage De l’Unité du genre humain et de ses variétés, suivant en cela Linné, il spécifia à l’intérieur de notre espèce un petit nombre de variétés, décrites uniquement en fonction de leur aspect physique et en précisant l’étendue de leurs répartitions géographiques, et auxquelles (en 1795) il donna les noms suivants :

Capture d’écran 2015-11-07 à 20.11.251) – Les Caucasiens (terme utilisé par lui pour la première fois), répartis en Europe, au Proche-Orient, en Inde et en Afrique du nord ;
2) – les « Mongoliens » (on dit aujourd’hui « mongoloïdes »), en Asie de l’est, auxquels il rattache plus tard les Esquimaux ;
3) – les Ethiopiens, qui en fait regroupent tous les peuples de l’Afrique au sud du Sahara ;
4) – les Américains ;
5) – les Malais, en Asie du sud-est et en Océanie.

Capture d’écran 2015-11-07 à 20.11.25Cette catégorisation, dans ses grandes lignes, correspond à ce que l’on nomme de nos jours les « grand-races ».
Au cours de la période qui suivit, de notables essais de rationalisation de ce type de descriptions furent entrepris, et ce, tout particulièrement à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, dans le cadre de la Société d’anthropologie de Paris, fondée par Broca en 1859 ; toute une série de médecins anatomistes s’appliqueront, en pleine période positiviste, à quantifier les différences raciales de façon objective (par biométrie = mesure, et craniométrie = mesures particulières concernant le crâne).

Axées essentiellement sur l’anthropologie physique, les techniques descriptives anatomiques et les mensurations aboutirent finalement à une extrême précision dans les enquêtes anthropométriques. Les trois conclusions fortes qui se dégagèrent de cet ensemble d’études concernant les races furent :

Capture d’écran 2015-11-07 à 20.11.25 1) – La conception de la race comme un type statistique, quelle que soit la nature de la mesure utilisée, caractérisée par un mode central et une dispersion des valeurs autour de cette valeur moyenne.
2) – la hiérarchie des caractères, le choix des critères premiers servant à l’établissement d’un arbre taxonomique permettant de subdiviser en catégories de plus en plus restreintes (grand-races, races, sous-races…).
3) – En conséquence de 1) et 2), l’établissement de différentes classifications raciales, de plus en plus complexes, et les tentatives de conciliation entre ces diverses classifications.

Capture d’écran 2015-11-07 à 20.11.25De tels travaux, basés sur le phénotype (c’est-à-dire les caractères visibles) – et en supposant que les caractères phénotypiques étaient déterminés de façon héréditaire – se poursuivirent activement pendant toute la première moitié du XXe siècle. Il apparut cependant qu’il était nécessaire de fonder une nouvelle anthropologie sur l’analyse directe du génotype. Bien que l’existence de sous-groupes de nature héréditaire à l’intérieur de l’espèce humaine soit évidente, la difficulté était d’établir précisément la base de cette distinction génétique. La découverte du premier groupe sanguin (ABO) en 1900 permit d’initier les travaux d’anthropologie génétique et, dès 1919, Hirschfeld identifia trois « types » ABO (d’après le rapport des groupes sanguins A et AB dans la population) ; cet auteur fut le premier à établir les bases d’une classification raciale génétique, qui permettait de séparer les habitants de l’Europe de ceux du reste du monde.

Lawrence Snyder (1926) proposa par la suite l’étude des fréquences des allèles A, B et O (quatre phénotypes : A, B, AB, et O ; six génotypes : AA et AO, BB et BO, AB et OO – car les allèles A et B sont dominants sur l’allèle O), plutôt que les taux de groupes sanguins étudiés par les Hirschfeld, pour comparer les populations. Il arriva ainsi à une synthèse des différents peuples qu’il avait étudiés, en sept types : l’Européen, l’Intermédiaire, l’Hunan, l’Indo-Manchourien, l’Africo-Malaisien, le Pacifico-Américain et l’Australien. Lors de son deuxième article de 1930, Snyder insista sur « la nécessité d’ajouter les groupes sanguins comme critères additionnels de la classification des races », et prédit que, dans le futur, « aucune étude anthropologique ne pourrait être complète sans la connaissance des fréquences des groupes sanguins ».
La question qui se posait initialement était celle des « marqueurs raciaux ». Les races diffèrent-elles par des fréquences alléliques variables pour A, B ou O, ou existe-t-il des allèles particuliers dans chaque race ? La réponse fut intermédiaire, dans ce sens que des études de plus grande ampleur montrèrent, dans le cas le plus extrême, que les natifs d’Amérique, par exemple, ont des fréquences très élevées de l’allèle O (fréquences qui, selon les populations, peuvent atteindre jusqu’à 90 %) et virtuellement pas d’allèle B.
D’autres marqueurs génétiques furent découverts à la suite du système ABO, notamment le système MN dans les années vingt, et le système Rhésus (Rh) – qui, en raison de sa haute complexité, est hautement discriminatif – dans les années quarante. La prise en compte simultanée de plusieurs systèmes de groupes sanguins lors de la comparaison entre populations permet les premières synthèses anthropologiques : en 1948, le sérologiste Alexander Wiener sépara l’ensemble des populations étudiées dans le monde à cette époque suivant les trois grandes races (Caucasoïde, Négroïde et Mongoloïde) sur la base de la fréquence des groupes sanguins connus à cette date ; peu après, il en ajoutera deux autres (Australiens et Américains), et cette distribution des groupes humains sur base génétique – reprenant la classification de Blumenbach – fut reconsidérée à nouveau lors de l’ouvrage de synthèse de grande ampleur de William Boyd (1950). Au terme de ces premières synthèses, il apparaît, vers la fin des années 1960, que les conclusions découlant de l’examen des marqueurs génétiques étaient tout à fait identiques à celles sur les mesures des caractères raciaux dégagées par l’enseignement de l’anthropologie physique : certes, variations des fréquences alléliques autour de modes centraux et absence de limites nettes à cet égard entre les groupes considérés, mais néanmoins justification du concept de race, dont la réalité est mise en évidence par les marqueurs génétiques.

La recherche anthropogénétique actuelle procède désormais à d’encore plus vastes synthèses. Par analyse multivariée des fréquences alléliques à de nombreux et divers types de marqueurs génétiques (groupes sanguins, mais aussi variants des protéines et des enzymes, marqueurs immunogénétiques, HLA = antigènes leucocytaires humains, et plus récemment variants d’ADN) pour un nombre représentatif de populations, il est possible de caractériser des « ensembles » de populations – dont les premiers rangs sous-spécifiques correspondent aux grand-races. Ces groupes de rang moins élevé que l’espèce peuvent être ordonnés au moyen d’arbres phylogéniques, qui représentent une hiérarchie correspondant à l’histoire de fissions et d’expansions de ces ensembles au cours du temps évolutif, à l’échelle de la planète. Le seul seuil de discontinuité observable est l’immédiat sous-spécifique (assimilé aux races) et l’on passe en transition douce aux groupes de hiérarchie plus basse – et ce, jusqu’aux populations élémentaires. A ces derniers niveaux, des changements mineurs de fréquences ou dans les modalités de traitement utilisé pour analyser les données peuvent assigner telle ou telle population à des groupes différents. Généralement, des populations « typiques » centrales (présentant le moins possible de mélanges génétiques) sont sélectionnées comme unités de base, de façon à conférer la plus grande stabilité possible aux arbres classificatoires et une compacité notable aux groupes hiérarchisés ainsi définis.
Les travaux de ce type sont maintenant légion. Les premiers, et à notre sens les plus importants, sont ceux de Nei et Roychoudhury (Pensylvania State University, États-Unis) de 1972, réactualisés en 1974, 1982 et 1993. L’analyse globale a porté sur 121 allèles (pour 29 locus polymorphes étudiés) comparés dans vingt-six populations représentatives. L’ordre des filiations obtenu comporte une bifurcation initiale séparant les Africains de l’ensemble des autres populations, et ceci avec un pourcentage de sécurité de 100 %. Le second branchement, moins stable, sépare les Caucasiens ; le troisième – encore moins stable – sépare les populations natives d’Amérique des Asiatiques au sens large (incluant les Mongoloïdes, les natifs des îles du Pacifique, et ceux d’Australie et de Nouvelle-Guinée Papouasie – ces derniers étant quelque peu génétiquement distincts du reste des autres populations asiatiques).

Ainsi, l’anthropologie biologique moderne ne fait que retrouver et préciser la notion de grandes races humaines de Blumenbach. Les caractères raciaux utilisés sont les fréquences alléliques, à un nombre de plus en plus élevé de marqueurs génétiques différents, dont les plus performants pour l’avenir sont les variants de l’ADN. Les groupes raciaux sous-génétiques ainsi individualisés sont hiérarchisés en ensembles géographiques continentaux, selon leur ordre d’apparition au cours de l’histoire de l’homme, lors de l’évolution.

 

« Le véritable humanisme suppose une conception équilibrée des relations entre le biologique et le culturel : si le culturel n’est pas indépendant du biologique, il n’en est pas pour autant un simple reflet. Biologique et culturel forment un tout : une société est un système bioculturel complexe où les deux sphères s’interpénètrent et interagissent. »

 

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