Discours prononcé le 23 juillet 2022 à Tusnádfürdő (nom hongrois de la ville de Băile Tuşnad, ou Tusnad-les-Bains, en Roumanie, à l’est de la Transylvanie) lors de la trente-et-unième université d’été de Bálványos, cercle de pensée qui se consacre à l’avenir de la minorité hongroise de Roumanie.
Version intégrale traduite du hongrois. Pour établir le texte, nous avons corrigé la traduction officielle en français en nous référant à la traduction officielle en anglais et à diverses autres traductions, en français ou en anglais, publiées sur Internet. Nous confessons que nous ne parlons pas hongrois, en sorte que nous n’avons pu nous reporter ni à la transcription du discours ni au discours lui-même, que l’on trouvera sur YouTube à l’adresse :
https://www.youtube.com/watch?v=qwDgIYXR2v4.
Les intertitres, les gras et les italiques sont de nous.
[Nos commentaires sont entre crochets et en italiques.]
Avant-propos
Mesdames et Messieurs, bonjour !
Je me réjouis de vous voir. Zsolt Németh m’a fait venir ici à la condition que je parle exactement moitié moins longtemps que j’en aurais eu envie [Zsolt Németh est président de la commission des affaires étrangères de l’assemblée nationale de la Hongrie]. En hongrois, le mot « moitié » sonne bien. L’on a une fois demandé au pape combien de gens travaillaient au Vatican, ce à quoi il a répondu : « La moitié ». Bon, je vais m’efforcer de condenser mon propos. Ce ne sera pas facile de m’écouter jusqu’au bout, parce que j’ai beaucoup de choses à dire, et je vois qu’il va faire chaud. Mais le mouton en bonne santé supporte sa toison. C’est en 2019 que nous nous sommes rencontrés pour la dernière fois, il y a déjà trois ans. Il est bien que nous puissions nous retrouver à nouveau, librement, entre amis, nous asseoir sur la terrasse et boire un fröccs [boisson alcoolisée hongroise, mélange de vin et d’eau gazeuse injectée sous pression]. Nous avons de bonnes raisons de déguster cet apéritif Fidesz – deux tiers-un tiers – ce qui nous montre qu’il existe bel et bien des réalités éternelles [le Fidesz, Fiatal Demokraták Szövetsége, ou Alliance des jeunes démocrates, est la formation de M. Orbán, qui fait ici allusion à la majorité des deux tiers que son parti a obtenu aux élections législatives du 3 avril 2022].
Depuis que nous nous sommes rencontrés la dernière fois, le monde a beaucoup changé. En 2019, nous pouvions participer à une université d’été particulièrement optimiste et pleine de confiance. Mais la décennie qui s’ouvre à présent devant nous sera très clairement une décennie de dangers, d’incertitudes et de guerres, comme le montre bien ce qui se passe ici [en réaction à une brève perturbation dans le public]. Soyez aussi polis que les policiers de Budapest l’ont été avec les drogués sur les ponts [à l’occasion d’une manifestation récente]. Nous sommes entrés dans une ère de dangers, et les piliers de la civilisation occidentale, que l’on tenait pour inébranlables, se fissurent. Je citerai trois de ces secousses qui provoquent de telles fissures : primo, nous avions cru que nous vivions sous l’auvent protecteur de la science – et le covid nous est tombé dessus ; secundo, nous avions cru qu’il ne pouvait plus y avoir de nouvelle guerre en Europe – et la guerre fait rage aux frontières de la Hongrie ; et, tertio, nous avions cru que la guerre froide ne pouvait plus jamais revenir – et nombre de dirigeants dans le monde travaillent au contraire à ressusciter la logique des blocs.
Ces phénomènes, que je n’avais absolument pas évoqués en 2019, nous apprennent donc à rester modestes, car notre capacité à prévoir l’avenir connaît de sérieuses limites. Cet avertissement vaut pour tous ceux qui s’expriment sur l’avenir. En 2019, je n’ai parlé ni de pandémie ni de guerre européenne ni de nouvelle victoire aux deux tiers ni du retour de la gauche en Allemagne ni que nous allions battre les Anglais ici, et là-bas par 4-0 [en Ligue des nations, l’équipe hongroise de balle au pied a battu l’équipe anglaise 1-0 le 4 juin 2022, puis 4-0 le 14 juin 2022]. Je conseille donc vivement la modestie et l’humilité à ceux qui s’occupent de scruter l’avenir. Ils ne peuvent pas s’approprier les attributs du Seigneur de l’Histoire. C’est dans cet esprit que je vous demande de prendre ce que je vais dire à présent. Je partirai de loin, avant d’arriver jusqu’ici, au pays sicule [les Sicules ou Széklers sont un groupe de la minorité hongroise de Roumanie qui parle un dialecte. Ils sont installés depuis des siècles en Transylvanie, province qui faisait autrefois partie du royaume de Hongrie].
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I – Le déclin de l’Occident
Chers amis, lorsque l’on observe le monde, ce qui est le plus frappant, c’est que les données suggèrent qu’il va de mieux en mieux, alors que nous avons l’impression que c’est le contraire. L’espérance de vie a atteint soixante-dix ans et, en Europe, elle est de quatre-vingts ans. Au cours des trente dernières années, la mortalité infantile a diminué des deux tiers. En 1950, le taux de sous-alimentation dans le monde était de 50%, alors qu’il n’est aujourd’hui que de 15%. Le taux d’alphabétisation s’élève maintenant à 90%. La durée du travail hebdomadaire, qui était encore de 52 heures en 1950, est aujourd’hui de 40 heures et le temps libre est passé de 30 heures à 40 heures. Je pourrais allonger la liste. Cependant, l’opinion générale est tout de même que nous vivons dans un monde de plus en plus inquiétant. Les informations, le style des informations, sont de plus en plus sombres et il plane une sorte d’attente de fin du monde qui devient de plus en plus intense.
La question est la suivante : se peut-il que des millions d’individus se méprennent purement et simplement sur ce qui leur arrive ? Mon interprétation de ce phénomène est que notre morosité provient d’une idée de la vie fondamentalement occidentale et résulte du fait que l’énergie, l’efficacité, le crédit et la capacité d’action de la civilisation occidentale s’étiolent. Les zapadniks [terme emprunté au tchèque], c’est-à-dire les Occidentaux de naissance, balaient ce constat d’un revers de main, en disant qu’on le sait, que Spengler avait déjà écrit sur le déclin de l’Occident, mais que l’Occident est toujours là, et même bien là, puisque ce n’est pas à l’Est, mais à l’Ouest que nous envoyons nos enfants, si nous en avons les moyens, étudier à l’université [référence au fameux ouvrage du philosophe allemand Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident, paru en 1922]. « Il n’y a donc pas péril en la demeure. » En réalité, il y a cent ans, quand on parlait du déclin de l’Occident, on faisait référence à une perte de poids spirituel et démographique. Ce que l’on voit aujourd’hui, en revanche, c’est un affaiblissement de la puissance et des ressources matérielles du monde occidental. Je dois dire quelques mots à ce sujet pour nous aider à bien comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons
Il est important de mesurer combien les autres civilisations – la Chine, l’Inde, la Russie, disons le monde orthodoxe, et même l’Islam – se sont, elles aussi, modernisées. Nous voyons maintenant que ces civilisations rivales se sont approprié la technologie occidentale ; elles ont assimilé le système financier occidental, mais elles n’ont pas adopté les valeurs occidentales, et elles n’ont pas la moindre intention de les adopter. Néanmoins, l’Occident veut diffuser ses propres valeurs, ce que le reste du monde ressent comme une humiliation. C’est quelque chose que nous comprenons, car nous ressentons parfois la même chose. Je rappellerai ce qui est arrivé à notre ministre des affaires étrangères Péter Szijjártó, vers 2014, sous un gouvernement américain précédent [le président des États-Unis d’Amérique était alors le démocrate Barack Hussein Obama, mulâtre fils d’un Kényan musulman]. Un officiel américain qui nous rendait visite lui a glissé négligemment sous le nez une feuille de papier en lui disant qu’il y trouverait les points sur lesquels il faudrait modifier la constitution hongroise pour restaurer l’amitié avec les États-Unis… Cet exemple montre que nous avons des raisons de comprendre la résistance de la part des autres régions du monde vis-à-vis de cette diffusion des valeurs et de cette exportation de la démocratie. Le reste du monde a compris, on peut le supposer, qu’il doit se moderniser précisément parce que c’est le seul moyen de résister à l’exportation des valeurs occidentales, qui lui sont étrangères.
Le plus douloureux dans cette perte de puissance et d’influence matérielle est que nous, c’est-à-dire l’Occident, avons perdu la maîtrise de nos fournisseurs d’énergie. En 1900, les États-Unis et l’Europe avaient la maîtrise de 90% des fournitures de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Ce pourcentage était tombé à 75% en 1950, et aujourd’hui la situation est la suivante : les États-Unis et l’Europe en maîtrisent ensemble 35% (les États-Unis 25% et nous 10%) – les Russes 20% et le Proche-Orient 30%. Et la situation est la même pour les matières premières. Au début du siècle dernier, les Américains, les Britanniques et les Allemands détenaient une part considérable des matières premières nécessaires à l’industrie moderne. Après la seconde guerre mondiale, les Soviétiques s’y sont joints et nous voyons qu’aujourd’hui ces matières premières sont détenues par l’Australie, le Brésil et la Chine – 50 % des exportations totales de matières premières de l’Afrique allant à la Chine. Mais l’avenir ne nous réserve rien de bon non plus. En 1980, les États-Unis et l’Union soviétique se partageaient l’essentiel de la fourniture des terres rares, qui sont la matière première de l’industrie issue de la technologie moderne. Aujourd’hui, les Chinois en produisent cinq fois plus que les États-Unis et soixante fois plus que les Russes. Cela signifie que l’Occident est en train de perdre la bataille des matières premières. Si nous voulons comprendre l’état du monde et la place des Occidentaux dans le monde, nous devons partir de ce fait que la majeure partie des fournisseurs d’énergie et des ressources énergétiques échappe à la civilisation occidentale. Voilà les faits concrets.
Dans ce contexte, notre situation – celle de l’Europe – est difficile à un double titre, en raison même de la stratégie des États-Unis. L’année 2013 n’a pas été inscrite dans les annales. Or, ce fut l’année où les Américains ont lancé les nouvelles technologies d’extraction de matières premières et de ressources énergétiques – pour faire simple, appelons cela la « méthode d’extraction par fracturation ». Ils ont immédiatement proclamé une nouvelle doctrine de la politique de sécurité des États-Unis. Je cite : « Cette nouvelle technologie – déclaraient-ils – renforce notre position pour poursuivre et atteindre nos objectifs de sécurité internationale. » Les Américains n’ont donc pas caché qu’ils allaient utiliser l’énergie comme arme de politique étrangère. Nous ne devons pas nous laisser abuser par le fait qu’ils en accusent d’autres d’avoir les mêmes intentions. Il s’ensuit que les Américains pratiquent une politique de sanctions plus radicale – c’est ce que nous voyons aujourd’hui dans le contexte du conflit russo-ukrainien – et qu’ils se sont mis à inciter fortement leurs alliés – c’est-à-dire nous – à s’approvisionner chez eux.
Et cela marche. Les États-Unis ont les moyens d’imposer leur volonté parce qu’ils ne dépendent pas de l’énergie des autres. Ils sont en mesure d’exercer des pressions hostiles parce que les réseaux financiers nécessaires à la mise en œuvre de la politique de sanctions – appelons cela SWIFT, pour faire simple – sont entre leurs mains [SWIFT, Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, « société de télécommunication financière interbancaire mondiale », est un service de messagerie sécurisée utilisé pour les virements bancaires ; il n’a pas de vrai concurrent]. Ils sont également en mesure d’exercer des pressions amicales, c’est-à-dire de convaincre leurs alliés d’acheter chez eux.
Cette politique s’est, dans un premier temps, avancée à pas feutrés. Lorsque le président Trump s’est rendu pour la première fois en Pologne, il s’est contenté de les appeler à acheter du « freedom gas », du « gaz de la liberté ». Ce n’est qu’aujourd’hui, en 2022, que la politique des sanctions est venue compléter la stratégie américaine. Voilà où nous en sommes et je ne serais pas surpris qu’ils inclussent bientôt l’uranium et l’énergie nucléaire dans la même démarche. À cela, nous, les Européens, nous avons répondu que nous n’avions pas l’intention de nous rendre dépendants des Américains. Ce n’est pas très joli, mais les Européens se disaient entre eux : « Nous avons attrapé un Yankee, mais il ne veut pas nous lâcher ! » [Le sens de cette plaisanterie nous échappe.] Ne voulant pas trop rester dans cette situation délicate, ils ont donc essayé de protéger aussi longtemps que possible l’axe énergétique germano-russe, pour maintenir nos importations d’énergie russe en Europe. C’est cela que la politique internationale a mis en pièces [du fait des sanctions contre la Russie décidées par les pays de l’Union européenne après l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022]. Puis, sous l’impulsion des Allemands, nous avons donné une autre réponse : le passage aux sources d’énergie renouvelables. Jusqu’à présent, cela n’a pas fonctionné, car la technique est coûteuse, et donc l’énergie qui en est tirée l’est aussi. De plus, le passage à cette technologie moderne ne va pas de soi, il ne se fait que sous la pression d’en haut, exercée sur les États membres par la Commission de Bruxelles – bien que cela nuise gravement aux intérêts des États membres.
Je voudrais ici ouvrir une parenthèse pour dire un mot des « valeurs européennes ». Voici par exemple la toute nouvelle proposition de la Commission de l’Union européenne, aux termes de laquelle tout le monde doit réduire sa consommation de gaz naturel de 15%. Je ne vois pas comment ils peuvent y contraindre les États membres, – quoique, d’après ce que j’ai cru comprendre, il existe un savoir-faire allemand en la matière, comme le passé l’a montré… De plus, si cela ne suffisait pas et si quelqu’un venait à manquer de gaz, on en prélèverait chez ceux qui en ont. Par conséquent, la Commission se garde bien d’intimer aux Allemands de renoncer à arrêter leurs deux ou trois centrales nucléaires encore en activité, qui produisent une énergie bon marché, elle les laisse au contraire les fermer. Et, s’ils n’ont plus d’énergie, ils viendront prendre chez nous, d’une manière ou d’une autre, le gaz dont nous disposons parce que nous l’avons mis en réserve. Nous, les Hongrois, appelons cela un « Einstand » [mot allemand employé ici dans le sens de « confiscation par le plus fort »], ce que nous avons appris dans Les garçons de la rue Paul [roman pour la jeunesse de l’écrivain hongrois Ferenc Molnár, 1906]. C’est à cela que nous devons nous préparer.
En un mot comme en cent, Mesdames et Messieurs, ce que je veux dire, c’est que les sentiments négatifs de l’Occident à l’égard de l’état du monde sont dus au fait que l’énergie et les matières premières indispensables au développement économique ne sont plus entre ses mains. Ce qu’il possède, c’est la puissance militaire et le capital. La question est de savoir ce que l’on peut en faire dans les circonstances actuelles.
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II – L’avenir de la Hongrie
Permettez-moi, après cela, de dire un mot de nous, les Hongrois. À quelles questions, comment et dans quel ordre la Hongrie et la nation hongroise doivent-elles répondre ? Les questions, comme les couches du gâteau Dobos, s’empilent les unes sur les autres. Les plus consistantes en-dessous, les plus légères et les plus savoureuses, au-dessus. [Le gâteau Dobos, ou Dobos Torta, est une célèbre pâtisserie hongroise créée à Budapest par Jozsef Dobos]. C’est cet ordre que je suivrai.
Le premier défi et le plus important, mes amis, concerne la population, ou la démographie. Le fait est que le nombre des enterrements continue à être bien supérieur à celui des baptêmes. Que cela nous plaise ou non, l’on peut répartir les peuples du monde en deux catégories : ceux qui sont capables d’assurer leur propre survie biologique ; et ceux qui n’en sont pas capables, groupe dont nous faisons partie quant à nous. Notre situation s’est améliorée, mais il n’y a pas eu de tournant majeur. C’est pourtant l’alpha et l’oméga de tout. S’il ne se produit pas de revirement, tôt ou tard nous serons évincés de la Hongrie, nous serons évincés du bassin des Carpates.
Le deuxième défi est l’immigration. Nous pouvons l’appeler remplacement de population ou submersion, peu importe. Un livre remarquable écrit en français en 1973, et récemment publié en Hongrie, traite justement de cette question : Le Camp des Saints [livre de l’écrivain français Jean Raspail, dont le titre fait référence à l’Apocalypse de saint Jean, XX 9]. Je le recommande à tous ceux qui veulent comprendre les processus mentaux qui sous-tendent l’incapacité des Occidentaux à assurer leur propre défense. L’immigration a coupé l’Europe en deux. Je pourrais dire aussi que c’est l’Occident qu’elle a coupé en deux. L’une de ses moitiés est un monde où des peuples européens et non-européens vivent ensemble. Ces pays ne sont plus des nations. Ils ne sont rien d’autre qu’un conglomérat de peuples. Je pourrais dire aussi que ce n’est plus l’Occident, mais le post-Occident, où – selon les lois de la mathématique – le changement démographique définitif se produira vers 2050 avec, dans cette partie de l’Europe, le dépassement du seuil de 50% de population d’origine non-européenne dans les grandes villes. Et voici l’autre moitié de l’Europe, l’autre moitié de l’Occident : l’Europe centrale, c’est-à-dire nous. Je pourrais dire aussi, si ce n’était pas quelque peu troublant, que l’Occident, pris dans son sens spirituel, s’est déplacé en Europe centrale. L’Occident est ici, il ne reste là-bas que le post-Occident. Une bataille se livre entre ces deux parties de l’Europe. Nous avons fait quant à nous des propositions de tolérance aux post-Occidentaux, afin de rester en paix les uns avec les autres et de laisser chacun décider de ceux avec lesquels il souhaite vivre, mais ils les ont rejetées et continuent à se battre contre l’Europe centrale dans le but de nous rendre semblables à eux. Je ne m’arrêterai pas sur le commentaire moral qu’ils y attachent – il fait si beau ce matin ! Bien qu’il soit moins question d’immigration à l’heure actuelle, croyez-moi, rien n’a changé. Avec l’aide des troupes affiliées à Soros, Bruxelles veut tout simplement nous imposer les immigrés [George Soros est un milliardaire juif d’origine hongroise qui a bâti sa fortune sur la spéculation. Il est à la tête des Open Society Foundations, « fondations de la société ouverte », qu’il a créées pour exercer dans de nombreux pays du monde une action subversive de grande ampleur, servie par des moyens financiers considérables. Son entreprise a pour objet de diffuser les idées cosmopolites de la superclasse mondiale et de porter au pouvoir des hommes politiques qui les partagent, après avoir fait tomber les gouvernements nationalistes par les « révolutions de couleur » qu’il a fomentées]. Ils nous ont aussi cités en justice à propos du système hongrois de défense des frontières et un jugement a été rendu à notre encontre. Pour un certain nombre de raisons, on ne peut pas en dire grand-chose actuellement, mais nous avons été déclarés coupables. S’il n’y avait pas eu la crise des réfugiés ukrainiens, ils auraient commencé à nous appliquer ce jugement, et ce qui peut advenir dans cette situation comporte une grande part d’incertitude. Mais, puisque la guerre a éclaté et que nous accueillons les réfugiés d’Ukraine, la question a été mise de côté – elle n’a pas été retirée de l’ordre du jour, elle a simplement été mise de côté. Il est important que nous les comprenions. Il est important que nous comprenions que ces braves gens, là-bas en Occident, en post-Occident, ne peuvent pas supporter de se réveiller chaque matin et d’empoisonner leurs journées – et même leur vie entière avec l’idée que tout est perdu pour eux. Aussi ne voulons-nous pas qu’ils soient confrontés à cela jour et nuit. Tout ce que nous demandons, c’est qu’ils renoncent à nous imposer un destin que nous ne considérons même pas comme un destin pour une nation, mais comme sa ruine. C’est tout ce que nous demandons, et rien de plus.
Il y a ici une ruse idéologique, dont il faut parler et à laquelle il faut faire attention dans un tel environnement multiethnique. La gauche internationaliste [il vaudrait mieux dire : la gauche cosmopolite] voudrait nous faire accroire que l’Europe, par sa nature même, serait habitée depuis toujours par des peuples de races mêlées. Il s’agit d’un tour de passe-passe historique et sémantique, car elle confond deux choses différentes. Il y a en effet un monde dans lequel les peuples européens sont mélangés à ceux qui arrivent de l’extérieur de l’Europe. C’est là un monde de races mêlées. Et il y a notre monde, où les peuples vivant à l’intérieur de l’Europe se mélangent entre eux : ils se déplacent, trouvent des emplois et déménagent. Ainsi, par exemple, dans le bassin des Carpates, nous ne sommes pas de races mêlées. Nous sommes tout simplement un mélange de peuples vivant ensemble dans leur patrie européenne [regrettable concession à l’européisme : il y a une patrie hongroise, une patrie française, mais il n’y a pas de « patrie européenne »]. Et quand l’alignement des astres et les vents sont favorables, ces peuples finissent par se fondre dans une sorte de brouet hungaro-pannonien, en créant une nouvelle culture européenne qui leur est propre. C’est pour cela que nous avons toujours combattu. Nous sommes disposés à nous mélanger les uns avec les autres, mais nous ne voulons pas devenir des peuples de races mêlées comme les pays d’Occident qui ne sont plus des nations. C’est pour cela que nous avons combattu à Nándorfehérvár [nom hongrois de Belgrade, assiégée par les Turcs ottomans en 1456 et défendue avec succès par un seigneur hongrois], c’est pour cela que nous avons arrêté les Ottomans à Vienne [assiégée par les Turcs à deux reprises, en 1529 et en 1683] et, si je ne me trompe, c’est pour cette même raison que les Français ont arrêté les Arabes à Poitiers dans les temps anciens [en 732]. La situation est aujourd’hui la suivante : la civilisation islamique, qui se rapproche constamment de l’Europe, a reconnu, précisément en raison de l’expérience de Nándorfehérvár [Belgrade], que la route qui passait par la Hongrie n’était pas appropriée pour l’envoi de ses adeptes en Europe. C’est pourquoi on nous a rejoué la version Poitiers : ce n’est plus par l’Est, mais par le Sud, qu’ils viennent occuper et submerger l’Occident. Cela nous laissera en héritage – non pas peut-être à nous, mais à nos enfants – une très lourde tâche : ce n’est pas seulement du Sud, mais aussi de l’Ouest, que nous devrons nous défendre. Le moment viendra où nous devrons accueillir d’une manière ou d’une autre les chrétiens en provenance de l’Ouest et les intégrer dans notre vie. Nous avons déjà connu cela et – Schengen ou pas – nous devrons bien arrêter à nos frontières occidentales ceux que nous ne voudrons pas laisser entrer chez nous. Mais ce n’est pas notre tâche d’aujourd’hui, ce n’est pas la tâche de notre génération. Notre tâche est simplement d’y préparer nos enfants. Comme l’a dit László Kövér [président de l’assemblée nationale de la Hongrie] dans un entretien : « Il faut veiller à ce que les jours heureux n’élèvent pas des hommes faibles, lesquels par la suite nous apporteront des jours sombres. »
Voilà pour la démographie et l’immigration. La couche suivante est la question du genre, que nous appelons chez nous la loi de protection de l’enfance. [Il aurait mieux valu parler de « sexe » plutôt que de « genre », mot qui fait référence à l’absurde « théorie du genre » chère aux cosmopolites de tous les pays, mais M. Orban était ici obligé de prendre le langage en vigueur dans l’Union européenne.] Ne l’oubliez pas : s’il en est aussi moins question aujourd’hui, c’est parce que les titres des journaux sont occupés par d’autres sujets, mais nous avons été ici aussi traînés en justice, et nous attendons la décision des juges. Le seul résultat que nous ayons obtenu dans ce domaine est en partie ou peut-être même en totalité dû à madame le ministre Judit Varga [ministre de la justice]. Nous avons réussi à dissocier notre profond différend sur la question de l’égalité des sexes du débat sur l’attribution des fonds européens, et les deux évoluent maintenant sur des voies séparées. Ici aussi, notre position est claire – c’est une nouvelle offre de tolérance : nous ne voulons pas prescrire aux autres comment ils doivent vivre, nous leur demandons simplement d’accepter que chez nous le père soit un homme, la mère soit une femme, qu’ils veuillent bien laisser nos enfants tranquilles – et qu’ils prennent la peine de le faire accepter également par les troupes de George Soros. Il est important que les Occidentaux comprennent qu’en Hongrie et dans cette partie du monde il ne s’agit pas d’une question idéologique, mais tout simplement d’une question existentielle majeure. Dans ce coin du monde, il n’y aura jamais de majorité en faveur de cette folie furieuse occidentale – excusez-moi pour le terme – ni de ce qui s’y pratique en son nom. Cela ne rentre tout simplement pas dans le crâne des Hongrois ni dans celui des fils de quelques autres peuples. Il y a tous ces « trans-quelque chose » : transnationaux et transgenre, mais le maximum que nous puissions prononcer est « Transylvanie », bien que la région s’appelle « Erdély » en hongrois. Nous ne pouvons pas faire plus. Je vous demande donc de ne pas vous tromper, de ne pas vous laisser tromper : nous avons la guerre, nous avons la crise énergétique, nous avons l’inflation issue de la guerre, tout cela dresse un écran devant nos yeux qui nous cache les questions relatives à l’immigration et au genre. Mais il n’en reste pas moins que ce sont sur ces questions que se jouera notre avenir. C’est la grande bataille historique que nous livrons : démographie, immigration, genre. Et c’est précisément ce qui est en jeu dans la lutte entre la gauche et la droite. Je ne vais pas citer le nom d’un pays ami, je ne ferai que l’évoquer. Il s’agit d’un pays où la gauche a gagné et où l’une de ses premières décisions a été de démanteler sa clôture frontalière, et où la suivante a consisté à valider toutes les mesures liées au « genre », non seulement le mariage homosexuel, mais aussi le droit à l’adoption d’enfants par les couples ainsi constitués. [M. Orbán fait ici apparemment référence à la Slovénie, où la gauche cosmopolite est arrivée au pouvoir à la suite des élections législatives du 24 avril 2022.] Ne nous laissons pas abuser par les conflits actuels : c’est sur ces questions que se jouera notre avenir.
Comment pouvons-nous nous défendre ? D’abord en faisant preuve de détermination. Ensuite, en recherchant des alliés. C’est ce qui a donné toute son importance au V4, le groupe de Visegrád [organisation intergouvernementale constituée en 1991 dans cette ville hongroise et qui réunit aujourd’hui la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie]. L’importance acquise par le V4 au cours de la période récente est due au fait que, sur ces questions, nous avons su parler d’une seule voix. Il n’est donc pas étonnant que les post-Occidentaux cherchent par tous les moyens à casser la cohésion des quatre de Visegrád. La guerre est survenue là-dessus et a ébranlé la coopération hungaro-polonaise, qui forme l’axe de la coopération du V4. Les intérêts stratégiques des Polonais et des Hongrois à propos de la guerre coïncident, les uns et les autres cherchent à empêcher que les Russes s’approchent davantage, les uns et les autres souhaitent que l’Ukraine conserve sa souveraineté et qu’elle soit une démocratie. Nous voulons, les uns comme les autres, exactement la même chose et pourtant cette guerre rend plus difficile notre relation avec nos amis. En effet, tant que l’on reste dans le domaine de la raison, nos intérêts dont j’ai parlé coïncident clairement, mais le problème vient du cœur. Il y a un problème de cœur dans les relations entre la Pologne et la Hongrie. Pour notre part, nous voyons dans cette guerre une guerre entre deux peuples slaves, dont nous voulons rester à l’écart. Les Polonais, quant à eux, estiment qu’ils sont impliqués dans cette guerre, que c’est leur guerre et qu’ils sont presque en train de la mener. Et puisqu’il s’agit d’une affaire de cœur, nous ne pouvons pas nous mettre d’accord avec eux. Il faut donc sauver, avec le secours de la raison, tout ce que nous pouvons sauver de l’amitié et de l’alliance stratégique entre nos deux pays, pour les temps qui suivront la guerre. Bien sûr, il y a aussi nos amis slovaques et tchèques, mais des changements de gouvernement se sont produits dans ces pays, qui donnent maintenant la préférence au monde post-occidental. Ils ne veulent pas entrer en conflit avec Bruxelles et collectionnent les bons points. A mes yeux, cela revient à attacher son cheval dans une écurie en flammes. Bon courage à eux !
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III – La guerre en Ukraine
La quatrième question qui vient maintenant est celle de la guerre. Toute guerre peut être vue sous différents angles, mais ce qui est commun à toutes les guerres, c’est que les mères pleurent leurs enfants et que les enfants perdent leurs parents. Cette considération doit primer sur toutes les autres, y compris dans la sphère politique. Pour le gouvernement hongrois, cela signifie que notre premier devoir est de veiller à ce que les parents et les enfants hongrois ne se retrouvent pas dans une telle situation. Je rappelle ici que certains pays nous critiquent pour ne pas être, selon eux, suffisamment engagés aux côtés des Ukrainiens. Mais ces pays sont loin, et tout au plus apportent-ils un soutien en termes d’argent ou d’armes. Nous, les Hongrois, sommes les seuls, à part les Ukrainiens, à mourir dans cette guerre. Selon nos registres, à ce jour, quatre-vingt-six Hongrois ont perdu la vie dans cette guerre [c’étaient des membres de la minorité hongroise d’Ukraine qui avaient été enrôlés dans l’armée ukrainienne]. Notre point de vue est complètement différent. Nous, les Hongrois, sommes les seuls à avoir versé du sang dans cette guerre, alors qu’aucun de ceux qui nous critiquent ne l’a fait. C’est pourquoi la Hongrie a le droit, en tant que pays frontalier, d’affirmer que la paix est la seule solution pour sauver les vies humaines et qu’elle est en même temps le seul antidote à l’inflation et à la crise économique liées à la guerre.
Comment aborderons-nous cette guerre à l’avenir ? Nous continuerons à affirmer que cette guerre n’est pas la nôtre. La Hongrie est membre de l’OTAN, et nous partons du principe que l’OTAN est bien plus forte que la Russie et que, pour cette raison, la Russie n’attaquera jamais l’OTAN. L’affirmation selon laquelle les Russes ne s’arrêteront pas à l’Ukraine est une fable. On comprend bien qu’elle soit soutenue par la propagande des Ukrainiens, dans la mesure où leur objectif est de nous impliquer, d’impliquer le plus grand nombre possible de pays à leurs côtés dans cette guerre, mais elle est dépourvue de toute vraisemblance. En même temps, puisque nous sommes membres de l’OTAN et que nous voulons nous tenir à l’écart de cette guerre, notre situation est devenue délicate. En effet, l’OTAN et l’Union européenne ont décidé, tout en évitant de devenir belligérants, de livrer malgré tout des armes [à l’Ukraine] et d’imposer de sévères sanctions économiques [à la Russie]. Cela signifie – que cela plaise ou non – qu’elles sont devenues de fait – non de jure, mais de facto – parties prenantes à ce conflit. Elles se retrouvent – nous nous retrouvons – dans cette situation dangereuse de devoir aider d’une manière ou d’une autre, comme partie au conflit, les Ukrainiens, sans que le pouvoir à Moscou ne le considère comme tel, sans qu’aux yeux de Moscou cette action ne se transforme en une belligérance caractérisée de la Hongrie, de l’OTAN et de l’Union européenne. C’est sur ce très délicat équilibre que l’Union européenne et l’OTAN jouent tous les jours, tout en prenant des risques considérables.
Puisque l’on peut dire beaucoup de choses de la guerre, et s’il vous reste encore un peu d’attention, je voudrais dire quelques mots sur les origines de ce conflit, sur ce que pouvait être sa motivation. Tout le monde le sait : la Russie a attaqué l’Ukraine. C’est un fait. Voyons maintenant quelle en était la cause. Soyons attentifs à ce fait problématique que, si l’on comprend quelque chose, on n’est plus très loin de l’accepter. Mais il est très important de faire la différence morale entre comprendre quelque chose et l’accepter. Cela veut dire concrètement qu’il est important de comprendre pourquoi les Russes ont fait ce qu’ils ont fait, mais il ne s’ensuit pas que, si l’on comprend ce qu’ils ont fait, on accepte pour autant ce qu’ils ont fait. Les Russes ont exprimé une exigence de sécurité très claire, ils l’ont même mise par écrit d’une manière peu courante en diplomatie et l’ont adressée aux Américains, ainsi qu’à l’OTAN. Ils ont demandé par écrit que l’Ukraine ne devienne jamais membre de l’OTAN, que l’Ukraine s’y engageât, que l’OTAN elle-même en donnât l’assurance à la Russie et que nous nous engageassions à ne jamais déployer sur le territoire ukrainien d’armes susceptibles d’atteindre le territoire russe. Les Occidentaux ont rejeté cette proposition et n’ont même pas été disposés à en discuter. Ils ont déclaré que l’OTAN menait une « open door policy », c’est-à-dire que sa porte était ouverte à tous, que n’importe qui pouvait s’y présenter et qu’il nous appartenait de décider qui nous voulions admettre ou non. La conséquence de ce refus, c’est que les Russes cherchent maintenant à obtenir par la force des armes les garanties de sécurité qu’ils cherchaient précédemment à obtenir par la négociation. Je dois dire que si nous avions eu un peu plus de chance, si, à cette heure cruciale, le président des États-Unis d’Amérique s’était appelé Donald Trump, et si nous avions réussi auparavant à convaincre Angela Merkel de ne pas se retirer, si donc Donald Trump avait été le président américain et Angela Merkel le chancelier allemand, cette guerre n’aurait jamais éclaté. Mais nous n’avons pas eu de chance, et c’est ainsi que maintenant nous sommes dans cette guerre.
La stratégie de l’Occident dans ce conflit repose sur quatre piliers. C’est une stratégie raisonnable sur le papier, il y a peut-être même des chiffres pour l’appuyer. Le premier était que l’Ukraine ne pourrait pas gagner seule une guerre contre la Russie, mais qu’elle le pourrait avec l’entraînement fourni par les Anglo-Saxons et les armes de l’OTAN. Ce fut la première affirmation stratégique. La deuxième affirmation stratégique fut que les sanctions allaient affaiblir la Russie et déstabiliser le pouvoir à Moscou. Le troisième élément stratégique fut que – bien qu’elles nous affectassent aussi – nous serions capables de gérer les conséquences économiques des sanctions, en sorte qu’elles feraient plus de mal aux Russes qu’à nous. Et la quatrième considération stratégique fut que le monde s’alignerait derrière nous, parce que c’était nous qui avions raison.
En conséquence, cependant, de cette merveilleuse stratégie, nous nous retrouvons aujourd’hui assis dans une voiture dont les quatre pneus ont crevé. Il est parfaitement clair que la guerre ne peut pas être gagnée de cette manière. Les Ukrainiens ne gagneront jamais de guerre contre la Russie avec l’entraînement et les armes des Américains, tout simplement parce que l’armée russe bénéficie d’une supériorité asymétrique. Le deuxième fait que nous devons prendre en compte est que les sanctions ne déstabilisent pas Moscou. Le troisième est que l’Europe est en difficulté – en difficulté économique, mais aussi en difficulté politique – et que les gouvernements tombent comme des dominos. Rien que depuis le déclenchement de la guerre [le 24 février 2022], les gouvernements britannique, italien, bulgare et estonien sont tombés. Et où en serons-nous à l’automne ? Les fortes hausses de prix ont eu lieu en juin, quand les prix de l’énergie ont doublé. Leurs effets sur la vie des gens, qui provoquent le mécontentement, commencent seulement à se manifester, et nous avons déjà perdu quatre gouvernements. Enfin, non seulement le monde n’est pas avec nous, il n’est manifestement pas avec nous. Historiquement, les Américains ont été en mesure de désigner ce qu’ils identifiaient comme un « empire du mal » et d’intimer au monde de se ranger du bon côté de l’histoire – formule qui nous dérange quelque peu, du fait que c’est ce que les communistes ont toujours dit. Ce pouvoir qu’ont eu les Américains d’appeler tous les peuples à se placer du bon côté de l’histoire et de se faire obéir du monde entier a aujourd’hui disparu. La plus grande partie du monde n’est manifestement pas de ce côté-là : ni les Chinois, ni les Indiens, ni les Brésiliens, ni l’Afrique du sud, ni le monde arabe, ni l’Afrique. Une grande partie du monde refuse purement et simplement de participer à cette guerre, non parce qu’ils croient que les Occidentaux seraient du mauvais côté, mais parce que pour eux le monde ne se résume pas à cette guerre, qu’ils ont leurs propres problèmes auxquels ils doivent faire face et qu’ils veulent résoudre. Il est bien possible que cette guerre soit celle qui mette clairement un point final à cette supériorité occidentale qui, avec des moyens divers et variés, a été en mesure de forger l’unité du monde contre certains acteurs sur un sujet particulier bien choisi. Cette époque prend fin, et, comme on dit dans le langage emphatique de la politique, c’est un ordre mondial multipolaire qui frappe maintenant à notre porte.
Et puisque nous parlons de la guerre, je peux utiliser un style approprié pour poser une question importante : Chto delat ? [« Que faire ? » en russe, titre d’un célèbre ouvrage de Lénine]. Le problème est que l’armée hongroise, comparée à celle des autres, ne pèse pas bien lourd. Le problème est que le PIB hongrois, comparé à celui des grands pays européens et des États-Unis, paraît aussi modeste. Ainsi, nous pouvons bien avoir une vision claire de la situation, un point de vue perspicace sur la guerre, nous pouvons avoir une vision claire, nous pouvons avoir une proposition stratégique, mais, vous savez, cela ne compte pas beaucoup quand on en vient à la guerre, parce que la guerre est un prélude. C’est le fort qui a le dernier mot. La Hongrie ne doit pas se faire l’illusion qu’avec nos excellents conseils nous serons capables d’influencer le déroulement des hostilités et la stratégie de l’Occident. Néanmoins, dans toute discussion, je considère comme une question d’honneur et un principe moral que nous devons nous efforcer d’exposer notre position et de persuader les Occidentaux de mettre en œuvre une nouvelle stratégie à la place de vaines déclarations de victoire. Si les quatre pneus de la voiture sont à plat, il faut changer les roues, toutes les quatre. Il faut une nouvelle stratégie, et son objectif central – la cible dans sa mire – ne devrait pas être de gagner la guerre, mais de négocier la paix et de faire une bonne offre de paix. Je dois dire que l’Union européenne n’a pas maintenant – pour utiliser une formule imagée – à se placer du côté des Russes ou des Ukrainiens, mais bien entre la Russie et l’Ukraine. C’est cela qui devrait être l’essence d’une nouvelle stratégie.
Que va-t-il se passer ? Les Russes utilisent un langage suranné. Quand nous les écoutons, c’est comme si nous entendions les voix du passé : le code des gestes, les catégories, les mots. Quand j’écoute M. Lavrov, on dirait que cela date d’il y a trente ou quarante ans [Sergueï Lavrov est le ministre des affaires étrangères de la Russie]. Mais cela ne signifie pas que ce qu’ils disent n’ait pas de sens : cela a du sens et cela mérite d’être pris au sérieux. Il y a deux jours, par exemple, un officiel russe a dit qu’ils progresseraient en Ukraine jusqu’à ce que la ligne de front soit assez avancée pour que de là les armes dont disposent les Ukrainiens ne puissent pas atteindre le territoire de la Russie. En d’autres termes, plus les pays de l’OTAN livreront d’armes modernes aux Ukrainiens, plus les Russes repousseront la ligne de front. C’est parce qu’ils sont une nation militaire qui ne raisonne qu’en termes de sécurité et que la seule chose qui les intéresse est de s’assurer de ne pas pouvoir être attaqués depuis le territoire de l’Ukraine. Ainsi, ce que nous faisons en ce moment – que nous le voulions ou non – prolonge la guerre. Cela signifie qu’il n’y aura pas de pourparlers de paix russo-ukrainiens. C’est une idée dont nous devrions nous défaire. Ceux qui attendent de tels pourparlers perdent leur temps. Puisque la Russie veut des garanties de sécurité, il ne peut être mis fin à cette guerre qu’au moyen de négociations russo-américaines. Il n’y aura pas de paix tant qu’il n’y aura pas de pourparlers russo-américains. Je pourrais objecter que « nous, les Européens, nous sommes là ». Mais, hélas, mes amis, je dois vous dire que nous, les Européens, avons dilapidé nos moyens d’influencer les événements. Nous les avons dilapidés après 2014, en tenant les Américains à l’écart du premier accord de Minsk conclu pendant le conflit de Crimée, et en formulant à la place un accord de Minsk avec une garantie franco-allemande. Aussi aurait-il dû être mis en œuvre, mais, malheureusement, nous, les Européens – ou les Français et les Allemands qui nous représentaient –, nous avons été incapables de le faire respecter. C’est pourquoi les Russes ne veulent plus discuter avec nous, mais avec ceux qui pourront forcer l’Ukraine à faire ce qu’elle a accepté. Ainsi la situation ressemble-t-elle à celle qui a suivi la seconde guerre mondiale. L’Europe se retrouve à nouveau dans une situation où elle n’a pas son mot à dire dans le sujet de sécurité le plus important, qui sera décidé encore une fois entre les Américains et les Russes.
Je voudrais faire ici une remarque, parce que, à cet égard, nous pouvons mesurer le danger que représente la proposition de l’Union européenne de changer la procédure de décision en matière de politique internationale pour les États membres. Pour l’heure, toute décision de politique étrangère ne peut être prise qu’à l’unanimité, mais la proposition vise à faire en sorte que l’on puisse mener une politique étrangère européenne commune à la majorité simple. L’expérience historique de la Hongrie nous enseigne que si l’on impose à un pays une politique étrangère dont il ne veut pas, même si une majorité qualifiée des deux tiers y était nécessaire au sein de l’Union, on ne peut appeler cela que de l’impérialisme. Et l’argument selon lequel, à défaut, l’Europe ne pourrait pas devenir un protagoniste de la politique mondiale est également un tour d’illusionniste. La raison pour laquelle l’Europe ne peut pas devenir un protagoniste de la politique mondiale est qu’elle n’est pas capable de mettre de l’ordre chez elle, ni même dans son arrière-cour. Le meilleur exemple en est ici la guerre russo-ukrainienne. Il aurait fallu imposer l’exécution des accords de Minsk. Cela devrait pouvoir se régler, mais je pourrais citer d’autres exemples. Les Croates se font truander en Bosnie : c’est une question complexe, mais je voudrais que vous sachiez que les Croates vivant en Bosnie, qui auraient en bonne règle le droit d’élire leur dirigeant, en sont empêchés au moyen de toutes sortes d’artifices par les Bosniaques qui, jouant sur les failles de la loi électorale, élisent en pratique les représentants des Croates. Les Croates font état de ce problème à chaque conseil européen et nous, les Hongrois, nous les soutenons avec tous les moyens à notre disposition, mais l’Union est incapable de résoudre le problème. Ou bien voilà encore le problème de la défense de ses propres frontières, qui ne devrait pas être un facteur de politique mondiale. Il nous suffirait que l’Union soit capable de défendre ses propres frontières, mais elle en est incapable. Le pauvre Salvini, qui s’y était essayé, a été traîné devant les tribunaux et d’aucuns voudraient qu’il fût jeté en prison [Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Ligue, ex-Ligue du nord, ministre de l’intérieur en Italie de 2018 à 2019, a tenté d’arrêter l’immigration illégale]. Ou voilà encore l’élargissement aux Balkans occidentaux : la Grèce est membre de l’Union, la Hongrie est membre de l’Union, mais entre nous il y a un grand trou noir : les Balkans. Pour des raisons géopolitiques et économiques, l’Union européenne devrait intégrer les autres pays, mais elle est incapable d’y parvenir. [M. Orbán est donc favorable à l’entrée dans l’Union européenne de la Serbie, de la Bosnie, du Monténégro, de la Macédoine du nord et de l’Albanie.] Ainsi, au lieu d’aspirer à jouer un rôle dans la politique mondiale, l’Europe devrait se donner et mettre en œuvre l’objectif modeste d’être capable de régler les sujets de politique étrangère qui se posent dans sa propre arrière-cour.
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IV – La crise économique
Démographie, immigration, genre, guerre. Le cinquième défi majeur auquel nous sommes confrontés est celui de l’énergie et de l’économie. C’est une question compliquée. Dans ce cas, il vaut mieux tout recommencer depuis le début, comme il se doit après un pas de danse manqué, c’est-à-dire réessayer de comprendre la situation. Il faut se poser les questions les plus simples. La question la plus simple est celle-ci : qui profite de cette guerre ? La réponse est : celui qui y gagne est celui qui dispose de sources d’énergie qui lui sont propres. Les Russes s’en sortent bien. Nous avons fait un mauvais calcul en pensant que si nous n’achetions pas d’énergie aux Russes ils auraient moins de revenus. C’était une erreur parce que les recettes ne sont pas seulement déterminées par les quantités vendues, mais aussi par les prix unitaires. Et la situation est aujourd’hui que les Russes vendent moins d’énergie, mais qu’ils ont des revenus bien plus élevés. Les Russes s’en sortent donc bien. Les importations de l’Union européenne en provenance de la Russie ont eu beau baisser de 23%, les recettes de Gazprom n’en ont pas moins doublé sur la même période [Gazprom est l’entreprise qui produit le gaz et le pétrole russe]. Les Chinois s’en sortent bien. Les Chinois étaient auparavant à la merci des Arabes en termes d’énergie, la totalité de leur énergie provenant de cette partie du monde. Mais maintenant que nous n’achetons plus aux Russes, nous avons, ce faisant, transféré vers la Chine les ressources d’énergie russes, ce qui fait que la Chine a mis fin à sa dépendance énergétique. Et, naturellement, les grandes entreprises américaines y gagnent aussi. J’en ai dressé la liste : en 2022, les bénéfices d’Exxon ont doublé, ceux de Chevron ont quadruplé, et ceux de ConocoPhillips ont sextuplé. Nous savons donc qui s’en tire du point de vue économique. Et qui y perd ? L’Union européenne s’en sort mal, parce que son déficit énergétique, la différence entre ses importations et ses exportations, en valeur, a triplé et que son déficit atteint aujourd’hui 189 milliards d’euros.
Comment cela nous affecte-t-il ? La question, le groupe de questions le plus important est ce que nous appelons la réduction des factures des services publics pour les ménages. Quel est l’avenir de ces réductions en Hongrie ? J’ai écouté hier le chef de la RMDSz [Romániai Magyar Demokrata Szövetség, en français, Union démocrate magyare de Roumanie, en roumain, Uniunea Democrata Maghiara din România], et j’ai appris comment cela se passait ici, en Roumanie, comment ils s’efforçaient d’aider les gens à survivre face à des prix de l’énergie de ce niveau. En Hongrie, nous procédons autrement. En Hongrie, nous avons mis en place au début des années 2010 un système qui est selon moi une réalisation politique majeure et qui a eu un résultat très important en matière de politique sociale. L’on pouvait en effet voir dès 2010 que les dépenses d’énergie calculées sur la base des prix du marché étaient très élevées par rapport aux revenus dont disposaient les ménages, dont une part substantielle des revenus était affectée à des coûts incompressibles, aux dépenses de services publics. C’est pourquoi nous avons mis en place un système où, indépendamment de ce que coûtait l’énergie sur le marché, nous garantissions à tous l’accès au gaz, à l’électricité et même au chauffage urbain à un prix administré. Le prix du marché était supérieur au prix administré, et la différence était couverte par le budget de l’État. C’était le système hongrois, qui a bien fonctionné pendant dix ans. Le problème est maintenant que la guerre a déséquilibré ce système, avec des prix de l’énergie qui sont des prix de temps de guerre. Notre tâche est de défendre, d’une manière ou d’une autre, la réduction des dépenses d’énergie. Je vois que nous allons y arriver, en ce sens que tout le monde continuera de payer le prix d’avant jusqu’au niveau moyen de consommation. En Roumanie, ce n’est pas le cas. En Hongrie, le prix plafonné est maintenu pour tout le monde jusqu’à hauteur de la consommation moyenne par foyer ; en revanche, ceux qui consomment davantage que cette moyenne devront, pour la partie en dépassement, acquitter un prix de marché que nous avons rendu public ces derniers jours. Si nous pouvons faire fonctionner cela et le maintenir, nous pourrons également nous féliciter d’une réalisation politique majeure et d’une réussite de la politique sociale. Pour vous donner une idée des ordres de grandeur, je peux donner une idée de ce qui a changé. Si je considère l’année 2021, je peux dire que le montant que l’État hongrois a dû payer parce que les dépenses de services publics des ménages étaient plafonnées à un niveau inférieur au prix de marché s’est élevé à 296 milliards de florins, tout compris [le florin, en hongrois forint, est la devise nationale de la Hongrie, qui n’a pas adopté l’euro. 1 euro vaut environ 400 florins]. En 2022, si les prix fixés actuellement étaient maintenus jusqu’à la fin de l’année, ce ne serait pas 296, mais 2.051 milliards de florins. Cela représenterait sept fois plus que le montant précédent, ce que l’économie hongroise ne pourrait pas supporter. C’est cela qu’il faut résoudre. C’est pour cela que nous avons décidé de maintenir le plafonnement du prix jusqu’au niveau de la consommation moyenne, mais au-dessus le prix du marché s’appliquera. C’est aussi pour cela que nous avons ajourné tout investissement non énergétique. Ce qui n’a pas encore été engagé ne sera pas engagé, tandis que les investissements publics qui ont déjà été engagés seront menés à terme, parce que rien ne doit rester inachevé. Ici, au-delà des frontières [en Transylvanie, province de la Roumanie], nous terminerons tout ce qui a été commencé [pour la minorité hongroise]. Ici, comme chez nous, nous assurerons le financement de ce qui doit être poursuivi, mais nous ne pourrons pas lancer de nouveaux investissements, parce que, ni ici ni chez nous, je ne peux garantir en aucune manière de mener à terme tout ce que nous lancerions aujourd’hui. Ce serait irresponsable. C’est pourquoi il convient d’attendre.
Et il y a encore une autre tâche : nous devons sortir du gaz naturel. L’électricité représente une charge bien moindre pour la Hongrie parce que nous avons une centrale nucléaire et de l’énergie solaire. Si nous réussissons à transférer la consommation du gaz vers d’autres sources, comme l’électricité ou la biomasse – c’est le nom moderne du bois –, alors la charge qui pèse sur nous se réduira. C’est une tâche faisable et réalisable dans le cadre des objectifs budgétaires actuels. Le problème suivant auquel nous devons faire face dans le domaine de l’économie est la récession. C’est la manière élégante d’expliquer que le résultat de l’année prochaine sera inférieur à l’année précédente. L’Europe tout entière est aux prises avec la récession. En Hongrie, c’est aggravé par le fait que, puisque nous utilisons le florin, lorsque le cours du dollar par rapport à l’euro se modifie, c’est-à-dire lorsque le dollar se renforce, il en résulte automatiquement un affaiblissement du florin. Et quand nous sommes dans une période où le dollar se renforce constamment contre l’euro, ou tout au moins se maintient au niveau élevé qu’il a atteint, il en résulte automatiquement un affaiblissement du florin. La question est aussi de savoir si l’année prochaine l’économie [hongroise] aura de moins bons résultats que ceux de l’année en cours. Et, dans le budget que nous avons adopté, nous avons prévu que ce ne serait pas le cas, mais que nous aurions de la croissance. Le problème est que, dans le même temps, partout ailleurs en Europe, ou tout au moins dans la plupart des pays d’Europe, il est certain qu’il y aura un ralentissement, qui provoquera une instabilité politique. Les anciens Grecs avaient bien dit que le monde avait deux états : parfois il est dans un état ordonné qu’on appelle cosmos, et le reste du temps dans un état de désordre, ou chaos. C’est cette dernière direction que prend aujourd’hui l’économie européenne. Le problème crucial auquel nous devons faire face en Hongrie et auquel nous devons trouver la solution est le suivant : au milieu d’une récession mondiale, peut-il y avoir pour certains une exception locale ? Le but que nous nous sommes fixé pour les deux prochaines années est de faire de la Hongrie une exception locale dans un temps de crise mondiale. Ambitieux objectif !
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V – Perspectives mondiales
Cela veut dire aussi qu’il n’y aurait pas de sens à considérer les quatre années à venir comme une période unique à la suite des élections que nous venons de gagner. Cela n’a pas de sens, parce que ces quatre années se divisent en deux périodes de deux ans chacune. Il y aura les deux premières années, entre 2022 et 2024. En 2024, il y aura des élections aux États-Unis, et c’est alors qu’arrivera selon moi, pour la première fois sérieusement, une perspective de paix. Suivront les deux années de 2024 à 2026. Nous devons faire des plans différents pour chacune de ces deux périodes de deux ans. La Hongrie pourra-t-elle être une exception locale ? Cela peut-se faire, si nous adoptons le mot-clé : rester à l’écart. Ainsi, dans le domaine de l’économie, la Hongrie ne pourra maintenir ses succès que si nous restons à l’écart de la guerre, si nous restons à l’écart de l’immigration, si nous restons à l’écart de la folie du genre, si nous restons à l’écart de l’impôt mondial – le temps m’empêche d’aborder ce sujet dans le détail, mais cela aussi, on veut nous l’imposer – et si nous restons à l’écart de la récession générale en Europe.
La bonne nouvelle est que nous l’avons fait en 2010. Une autre bonne nouvelle est que nous l’avons fait aussi en 2020, pendant la pandémie du covid. De chacune de ces crises, nous sommes sortis plus forts que comme nous y étions entrés. Ce qui est arrivé en 2020, c’est que nous avons doublé dans le virage ; durant la crise, nous avons dépassé le PIB par tête d’habitant de la Grèce et du Portugal. Le problème est que pendant que nous doublions dans le virage, nous avons reçu une belle averse de pluie glacée, et nous devons à présent maintenir, d’une manière ou d’une autre, notre engin sur la piste.
J’estime que, pour réussir, il est important pour nous d’être en mesure de parvenir à de nouveaux accords avec tous les protagonistes afin de s’adapter aux circonstances nouvelles, non seulement politiques, mais aussi économiques. Nous devons conclure un nouvel accord avec l’Union européenne. Ces pourparlers financiers sont en cours, nous arriverons à un accord. En ce moment, nous allons gentiment tous les deux, main dans la main, jusqu’au précipice, puis nous nous arrêterons, nous nous tournerons l’un vers l’autre, nous nous embrasserons, et nous conclurons un accord. La Hongrie doit conclure un nouvel accord avec les Russes, la Hongrie doit conclure un nouvel accord avec les Chinois, et puis nous devons aussi conclure un nouvel accord avec les États-Unis, ce qui sera plus facile avec les Républicains qu’avec le gouvernement démocrate actuel. Et si nous arrivons à régler tout cela, si nous arrivons à nous mettre d’accord avec chacun de la manière qu’exigent nos intérêts nationaux, alors nous pourrons retrouver en 2024 l’ancien chemin de la croissance et du développement.
Je dois pour finir signaler que, pendant que nous jouons ici avec les années, il ne faut pas oublier que nous travaillons en réalité pour 2030. J’ai parlé de beaucoup de choses, et le gouvernement hongrois ressemble aujourd’hui à ces jongleurs chinois qui font tourner vingt assiettes en même temps en veillant à ce qu’aucune ne tombe. C’est à peu de choses près l’exercice que nous devons réaliser et nous ne devons pas perdre de vue que, pendant que tournent les vingt assiettes, l’horizon le plus important et la limite dans le temps de notre réflexion se situent aux environs de 2030. Selon notre analyse, c’est alors que s’accumuleront et se multiplieront, avec toutes les tensions que cela implique, les problèmes du monde occidental. Les États-Unis connaîtront une crise très sérieuse. Si j’ai déjà eu l’occasion de recommander le livre d’un écrivain français, je fais de même pour l’ouvrage de l’analyste américain Friedman, également paru en hongrois, intitulé The Storm before the Calm [référence au livre de George Friedman, The Storm Before the Calm: America’s Discord, the Coming Crisis of the 2020s, and the Triumph Beyond (La tempête avant le calme : la discorde américaine, la crise des années 2020 qui vient, et le triomphe au delà), 2020]. Il y analyse les divers défis que les États-Unis devront affronter, lesquels atteindront leur point culminant aux alentours de 2030. Mais c’est à peu près dans cette même période qu’apparaîtront également tous les problèmes de la zone euro, le Sud et le Nord ayant des chemins de croissance divergents, le Sud étant endetté et le Nord devant le financer. Cela provoquera une tension qui, au bout d’un certain temps, ne sera plus supportable, à moins que les pays du Sud ne se réforment sur le modèle de ceux du Nord. Mais ils ne montrent pas beaucoup d’inclination pour un soudain changement de culture, ce pourquoi la dette publique des pays du Sud est dans les eaux de 120, 150, ou 180% [du PIB]. Et c’est également vers 2030 que de nouveaux rapports de force verront le jour au sein de l’Union, car c’est alors que les Centre-Européens, nous les Centre-Européens – que l’on traite aujourd’hui d’une manière sur laquelle je n’ai pas besoin d’épiloguer –, nous deviendrons contributeurs nets. Le moment viendra donc où, grâce à notre développement plus rapide, développement qui est plus rapide que le leur, la Hongrie ne recevra globalement pas d’argent de l’Union européenne, mais lui en versera. Elle paiera davantage qu’elle ne recevra. Les Tchèques sont déjà très près d’y parvenir. Si les Polonais se développent comme nous l’avons déjà vu, eux aussi arriveront à ce point aux alentours de 2030, et nous y serons à peu près aussi au même moment. Cela entraînera de nouveaux rapports de force : c’est celui qui paie le joueur de cornemuse qui décide de la musique. Cela changera aussi nos relations et créera une situation nouvelle pour nous au sein de l’Union européenne. En d’autres termes, mes chers amis, vers 2030, nous devrons être au mieux de notre forme. C’est alors que nous aurons besoin de toute notre force : force diplomatique, économique, militaire, et morale aussi.
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VI – Conclusion : l’exception hongroise
Et maintenant, pour faire suite aux recommandations de Zsolt, je me limiterai à énumérer les facteurs qui aideront la Hongrie à être une exception locale dans un temps de récession mondiale.
Le premier est que nous disposons encore d’une force de gardes-frontière.
Le deuxième est que notre société est fondée sur la famille, ce qui est un facteur de nature à garantir une énergie et une motivation solides.
Troisièmement, nous réalisons actuellement de grands développements dans notre armée et dans le secteur des industries militaires.
En quatrième lieu, nous diversifions nos sources d’énergie. Soit dit en passant, ce que veut l’Union n’est pas une diversification. La diversification signifie que nous ne sommes pas vulnérables parce que nous nous procurons notre énergie dans des lieux variés. Ce qu’ils font, c’est imposer des sanctions pour empêcher qu’on se la procure dans un certain lieu. C’est tout à fait différent. Nous ne voulons pas cesser d’acheter à la Russie, nous voulons simplement ne pas dépendre exclusivement d’elle.
Notre cinquième atout est de tirer parti de la mutation technologique. Si nous sommes assez rapides, assez réactifs, nous gagnerons toujours aux changements technologiques qui surviennent. Prenons l’exemple des voitures électriques. Nous effectuons en Hongrie des investissements considérables dans la production de batteries et nous deviendrons en un rien de temps le troisième producteur de batteries du monde, non pas en pourcentage, mais en valeur absolue, et le cinquième exportateur au niveau mondial. Voilà les niches dans lesquelles nous pouvons nous introduire.
L’apport des capitaux étrangers est notre sixième grand atout. Le capital nous arrive de l’Est comme de l’Ouest. En 2019 (ou peut-être en 2020), c’était déjà la Corée du sud qui avait le plus investi chez nous, suivie par la Chine l’année suivante, et c’est de nouveau la Corée cette année. Pendant ce temps, l’investissement allemand se poursuit : hier, la construction d’une nouvelle usine Mercédès a été annoncée et cela représente un investissement d’un milliard d’euros.
Nous sommes un pays de transit et nous voulons rester une économie de transit [c’est le septième atout]. À cet égard, je dois noter que si le monde forme des blocs séparés et s’il est divisé de nouveau entre l’Est et l’Ouest, nous cesserons d’être un lieu de rencontre ou un pays de transit. Si des blocs de puissance émergent, nous ne serons plus un point de rencontre, une passerelle, un point de contact, combinant les avantages de l’Est et ceux de l’Ouest, mais nous nous retrouverons au bord de quelque chose, à la périphérie. Et alors la Hongrie ne sera pas un pays prospère, elle ne sera que la garnison d’un poste avancé poussiéreux, dans le genre de ce qu’on lit dans l’œuvre de Jenő Rejtő [écrivain hongrois célèbre, 1905-1943]. C’est pourquoi nous devons nous opposer à la formation de tels blocs. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons profiter des avantages d’un pays de transit et d’une économie de transit.
Notre huitième aout est la stabilité politique : nous disposons d’une majorité des deux tiers. Un gouvernement soutenu par une majorité des deux tiers ne peut pas être renversé et nous n’avons pas de débats de coalition, puisque nous ne sommes pas en coalition. Peut-être n’y avez-vous pas prêté attention, mais en fait, au cours des années récentes, au niveau national, nous avons aussi assisté à un changement de génération. Négligeons le fait que maintenant, en Occident, c’est à mon âge que les gens commencent leur carrière politique. En Hongrie, c’est différent, et je suis proche de la sortie. Nous devons nous assurer que la génération qui nous suit dispose, elle aussi, de responsables politiques aussi engagés corps et âme en faveur de la nation que nous l’avons nous-mêmes été. C’est pour cette raison que nous avons tranquillement réalisé un changement de génération, dont le symbole, face au premier ministre bientôt sexagénaire que je suis, est notre président de la république, femme âgée de quarante-quatre ans et mère de trois enfants. Et si vous regardez le gouvernement, vous y verrez de jeunes ministres quadragénaires, parfois de jeunes quadragénaires, qui seront capables de donner des responsables à la Hongrie pedant vingt ou trente ans. Bien entendu, le changement de génération n’est pas toujours facile, parce qu’il y a une différence entre les nouveaux venus qui ruent dans les brancards et ceux qui tirent la charrette. Ceux qui rueront dans les brancards devront être envoyés se produire sous un chapiteau de cirque, tandis que ceux qui tirent la charrette devront être impliqués dans le processus de décision politique.
Le neuvième atout de notre stratégie d’exception locale repose sur notre fonds intellectuel et spirituel. La Hongrie a conservé sa conception nationale, son sentiment national qui la rassemble, sa culture et une langue apte à décrire la totalité du monde hongrois.
Et enfin le dixième facteur qui nous donne nos chances de succès est ce que j’appelle l’ambition. La Hongrie a de l’ambition. La Hongrie a des ambitions en tant que communauté et en tant que nation. Elle a des ambitions nationales, et même des ambitions européennes. C’est pourquoi, si nous voulons préserver nos ambitions nationales dans la période difficile qui s’ouvre devant nous, nous devons montrer de la solidarité. La nation mère doit rester unie, et la Transylvanie, ainsi que les autres régions du bassin des Carpates habitées par des Hongrois, doivent rester unies. C’est cette ambition, mes chers amis, qui nous pousse, qui nous fait avancer, elle est notre carburant. C’est la conviction que nous avons toujours donné davantage au monde que nous n’en avons reçu, que l’on nous a davantage pris qu’on nous a donné, que nous avons émis des factures qui n’ont pas été payées, que nous sommes meilleurs, plus industrieux et plus doués qu’il ne ressort de la position où nous nous trouvons aujourd’hui et de la manière dont nous vivons, et le fait est que le monde nous doit quelque chose – et que nous voulons, que nous allons, recouvrer cette dette. C’est là notre plus grande ambition.
Je vous remercie pour votre attention. Vive la Hongrie, vive les Hongrois !
Merci M.de Lesquen . Cordialement C.C.
Extraordinaire discours
Merci
Je relève quelques approximations dans la traduction
…et même un contresens, relisez-vous que diantre !
Je vous serai obligé de nous dire le contresens que vous dites avoir trouvé.
Je vous serai obligé de nous les signaler.