par Henry de Lesquen
Ce sont les auteurs socialistes eux-mêmes qui nous invitent les premiers à nous interroger sur les antécédents du socialisme et à les découvrir dans cette agitation sectaire et fanatique que l’Occident a connue depuis le XIe siècle jusqu’à l’orée des temps modernes, avec ces mouvements révolutionnaires d’inspiration religieuse que les historiens qualifient d’un terme emprunté à la théologie : le millénarisme. Ce qui se dit aussi en grec : on parle alors de chiliasme (chiliasmos, de chilioi, mille, ou chilias, période de mille ans), de sectes chiliastiques. Henri de Saint-Simon (1760-1825), dans son dernier livre, justement intitulé : Le nouveau christianisme (1825), prétendait résumer dans la nouvelle religion qu’il entendait fonder l’essentiel des aspirations des hérésies médiévales. Et Frédéric Engels (1820-1895), dans La Guerre des paysans d’Allemagne (1850)[1], faisait de l’hérésiarque mystique Thomas Müntzer, l’idole des anabaptistes, exécuté en 1524, le modèle du héros prolétarien.
L’imminence du millenium
Le millénarisme est d’abord un terme de théologie. C’est la conception de ceux qui font de l’Apocalypse une interprétation purement littérale et non allégorique. En effet, le chapitre XX du livre écrit par l’apôtre saint Jean dit notamment ceci (versets 1 à 6, nous citons d’après la traduction du chanoine Augustin Crampon[2]) :
« Et je vis descendre du ciel un ange (…) ; il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il l’enchaîna pour mille ans, et il le jeta dans l’abîme (…) afin qu’il ne séduisît plus les nations, jusqu’à ce que les mille ans fussent écoulés. Après cela, il doit être délié pour un peu de temps. Puis je vis (…) les âmes de ceux qui furent décapités à cause du témoignage de Jésus et à cause de la parole de Dieu, et ceux qui n’avaient point adoré la bête ni son image (…) ; ils eurent la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans. Mais les autres morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans fussent écoulés. – C’est la première résurrection ! – Heureux et saint celui qui a part à la première résurrection ! La seconde mort n’a point de pouvoir sur eux ; ils seront prêtres de Dieu et du Christ et ils régneront avec lui pendant mille ans. »
Ce règne de mille ans avec le Christ est appelé le millenium. Dans les premiers siècles de l’Église, les chrétiens étaient nombreux à voir dans ce passage difficile une prophétie à prendre au pied de la lettre et ils s’attendaient, par conséquent, à ce que le royaume de Dieu fût d’abord réalisé sur terre, pendant une période de mille années, avec les martyrs ressuscités, avant que ne se produisît pour tous les hommes la résurrection de la chair et le Jugement dernier, à la fin des temps. Dans cette perspective, le salut se trouvait en quelque sorte dédoublé, il devait avoir lieu à la fois sur terre et dans les cieux, pour les meilleurs des hommes. Dans cette acception précise et purement théologique, le millénarisme a ensuite presque disparu et ne subsiste plus que dans quelques sectes protestantes, comme les quakers et les adventistes.
En effet, saint Augustin (354-430), dans La Cité de Dieu, s’est attaché au contraire à dégager la signification mystique de ces symboles déconcertants. Le millénaire désigne toute l’histoire du monde, depuis la résurrection du Sauveur jusqu’à son glorieux Avènement. Le règne de mille ans ne s’étend pas à toute l’humanité ; il ne vient que pour les chrétiens sauvés par la grâce de Dieu et se confond avec la vie de l’Église[3]. Car « mon royaume n’est pas de ce monde », a dit Jésus (Jean, XVIII 36). Le concile d’Éphèse, en 431, troisième concile œcuménique, adopta cette interprétation et condamna le millénarisme[4].
Mais les historiens et les ethnologues parlent de chiliasme ou de millénarisme pour qualifier de très nombreux mouvements, à la fois politiques et religieux, qui veulent réaliser le royaume de Dieu ici-bas. Si, en effet, le salut devait être dédoublé et s’il fallait croire qu’il serait d’abord atteint sur la terre, au moins par les élus, le risque était alors grand de fixer son attention toujours davantage sur cette première forme de salut, plus concrète, en oubliant l’autre, trop lointaine, en sorte que pour finir le salut se trouvait sécularisé. Déjà, en 156 ap. J.-C., Montanus de Phrygie se prétendait possédé par l’Esprit de Vérité et entraînait avec lui une foule de misérables à qui il annonçait la Parousie prochaine. Extatiques, visionnaires, illuminés, ces hommes étaient prêts au martyre et s’infligeaient en attendant les plus sévères sacrifices. Ils affirmaient que prêtres et sacrements étaient inutiles et que l’Église n’existait pas ailleurs que dans le cœur des hommes. Ce rejet des institutions, des hiérarchies et des disciplines, ce refus du dogme au nom de la morale, ce rêve d’une société homogène, resteront au centre des conceptions millénaristes.
L’historien Norman Cohn (1915-2007) explique que le millénarisme est une religion de salut, mais d’un salut bien particulier, qui est tout à la fois : collectif, terrestre, imminent, total et miraculeux :
1) le salut n’est pas individuel, mais collectif ;
2) il est terrestre, car il sera réalisé dans ce monde et non dans l’au-delà ;
3) il est imminent et non pas lointain ;
4) il est total, car le nouveau régime sera une société parfaite ;
5) enfin, il est miraculeux, car il sera accompli par des forces que la volonté humaine ne pourra infléchir[5].
Les sectes chiliastiques, nées dans l’Église avant de se retourner contre elle, ne puiseront pas leur inspiration uniquement dans l’Apocalypse de saint Jean, septième et dernier livre du Nouveau Testament[6]. Elles invoqueront d’autres passages de la Bible, comme les livres prophétiques de l’Ancien Testament, notamment le livre de Daniel, avec sa vision du Cinquième Empire (II 44). Les Oracles sibyllins auront aussi une énorme influence. Cette littérature apocryphe, qui n’était même pas chrétienne et qui se donnait comme un discours prophétique, a popularisé au moyen âge le mythe de l’Empereur des derniers jours, celui de l’Empereur longtemps endormi, qui secouera sa léthargie pour anéantir les ennemis de Dieu, avant d’instaurer un régime de paix et de prospérité. Enfin, à partir du XIIIe siècle, les sectes millénaristes puisèrent dans les prophéties du moine calabrais Joachim de Flore (1145-1202), qui prétendait découvrir le sens de l’histoire à travers une nouvelle interprétation de l’Apocalypse et annonçait la venue imminente d’un troisième âge de l’humanité, celui de l’Esprit, succédant à celui du Père et à celui du Fils. Le nouvel âge serait celui de l’amour et de la liberté, et le sommet de l’histoire humaine, qui devait durer jusqu’à la fin des temps. « Ce nouveau système prophétique, dit Norman Cohn, devait devenir le plus influent d’Europe occidentale jusqu’à la naissance du marxisme »[7].
Les millénaristes, quelles que soient leurs sources, croient que le royaume de Dieu sera réalisé sur terre et, dans cette attente ardente, sont prêts à tout bouleverser pour en hâter l’avènement. Ils se réclament de l’Église primitive et du mode de vie apostolique, tels que les décrivent les Actes des apôtres, et ils s’opposent à l’Église catholique, qu’ils accusent d’infidélité au christianisme authentique. Ce trait les rapproche, jusqu’à un certain point, des divers mouvements de réforme qui, à l’intérieur de l’Église ou en dehors d’elle, ont plaidé pour un retour aux sources de la vie chrétienne. Mais que l’on ne s’y trompe pas : les mouvements chiliastiques sont révolutionnaires et rejettent les réformes comme une duperie. Ils les dénoncent comme un subterfuge visant à sauver l’ordre ancien. C’est ainsi que Thomas Müntzer a vu dans Martin Luther (1483-1546), initiateur de la prétendue réforme protestante, « la Bête de l’Apocalypse » et « la Prostituée de Babylone ». (Luther a répliqué par un pamphlet « contre les bandes de paysans pillards et assassins »).
Au-delà de l’Église, les millénaristes mettent en accusation tout l’ordre social comme intrinsèquement inique. Ils entendent faire table rase des institutions pour établir le nouveau règne. Cet état idéal de la société n’est pas toujours décrit avec une grande précision. Mais, dans ses grandes lignes, il relève d’un schéma commun à tous, qu’ils dévoilent avec plus ou moins de franchise. Alors, tous les biens seront en commun : suppression de la propriété. Les femmes également seront en commun : suppression de la famille. Les hommes seront tous égaux dans leurs rapports avec Dieu et il n’y aura plus de prêtres ni de sacrements : suppression de la hiérarchie religieuse et de la sacralité du culte.
Évidemment, une telle transformation ne peut avoir lieu sans violence. Celle-ci ne fait pas peur aux sectaires, qui rêvent au contraire de régénérer l’humanité dans un bain de sang. Thomas Müntzer, un des plus féroces, insiste sur ce point : « Ne laissez point vivre les méchants (…). Il faut utiliser l’épée pour les exterminer. »[8] On comprend qu’Engels lui ait porté une vénération particulière. Ces paroles de haine vont rouler de siècle en siècle, toujours essentiellement les mêmes. Dans son testament blasphématoire, l’abbé Jean Meslier (1664-1733), curé dans les Ardennes, souhaitait « que tous les grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec des boyaux de prêtres. »[9] Et Chamfort (1740-1794) reprend à peu près la même formule : « Je voudrais voir le dernier des rois étranglé avec le boyau du dernier des prêtres. »[10]
Quand le monde a perdu son mystère
Le millénarisme, bien loin d’être une nouveauté absolue, est en réalité un avatar de l’utopie égalitaire, qui semble s’être constituée très tôt en Iran, peut-être à l’occasion de la prédication zoroastrienne, ou plutôt de certaines sectes issues de celle-ci, et qui s’est ensuite répandue au Proche-Orient, puis en Europe, à travers un réseau compliqué d’influences enchevêtrées, avant de se couler dans une coquille chrétienne.
L’utopie égalitaire est, dans le fond, une doctrine primitive ; elle prétend apporter une satisfaction uniquement matérielle à des aspirations anciennes de l’humanité, qui s’exprimaient dans le mythe de l’âge d’or[11] ou de la « perfection des commencements » (Mircea Eliade), et dans le mythe eschatologique du retour à l’âge d’or, après une catastrophe finale, lié à une conception cyclique du temps (« l’éternel retour »)[12] .
Le christianisme orthodoxe (c’est-à-dire non hérétique) a recueilli, comme le millénarisme, parmi les traditions spirituelles de l’Occident et de l’Orient, le thème de la chute et celui du salut, mais il leur a donné un sens totalement différent.
Pour lui, la chute est un événement dont chacun est intimement responsable, car il en porte la marque dans sa constitution même, conformément à la doctrine du péché originel. Le salut est proposé à tout homme, selon ses mérites et selon la grâce qui lui est mystérieusement impartie. Il se présente comme un aboutissement essentiellement personnel qui se réalise dans un autre monde. La chute et le salut sont donc des réalités spirituelles et individuelles[13].
Pour le millénarisme, la chute et le salut sont des événements matériels et collectifs. Dans les termes du socialisme moderne, cela s’énonce ainsi : à la suite de l’abandon du communisme primitif, on est tombé dans l’exploitation de l’homme par l’homme, qui prendra fin dans la société communiste, annoncée comme imminente. Selon cette perspective, l’individu ne compte pas, il est modelé par la société et reste au fond un « bon sauvage », sans épaisseur ni responsabilité personnelles.
Autant qu’on puisse en juger, la construction de l’utopie égalitaire à partir de ces éléments traditionnels que sont le mythe de l’âge d’or et celui de la catastrophe eschatologique s’est opérée au travers de la gnose et c’est celle-ci qui a périodiquement réactivé l’utopie égalitaire.
« Gnose » (gnôsis) signifie connaissance. Le mot grec gnôsis est normalement suivi d’un génitif : c’est la connaissance de quelque chose. Mais la gnose ainsi définie est une connaissance absolue qui s’impose à l’entendement comme une évidence pour ceux qui l’ont obtenue. La gnose s’oppose à la foi (pistis), qui est une adhésion volontaire à une vérité révélée – c’est l’acte de foi – et que le gnostique laisse au commun des mortels. La gnose – on parle aussi de gnosticisme – est, comme le christianisme, une religion du salut individuel, mais celui-ci est procuré par cette connaissance absolue qu’elle prétend détenir et non par la foi, et il ne peut bénéficier qu’à une élite, à la petite minorité des élus, et non à la grande masse des simples fidèles.
Certains Pères de l’Église et non des moindres, comme saint Clément d’Alexandrie (150-215) et saint Irénée de Lyon (140-202), ont cru pouvoir distinguer la vraie gnose, celle des chrétiens, de la fausse gnose, celle des sectaires, dont ils combattaient les doctrines, sans craindre la contradiction, puisque la gnose, par définition, fait litière de la foi. Il est impossible de parvenir à une meilleure connaissance du sacré que celle donnée par la foi. Quoi qu’il en soit, quand même il y aurait une vraie gnose, c’est ensuite à la seconde, la fausse gnose, que le terme a été exclusivement appliqué.
Si la foi est pleinement conforme à la raison, celle-ci ne peut en épuiser le contenu : le fidèle chrétien s’incline devant les mystères de la religion, à commencer par celui de l’Incarnation du Christ. Au contraire, le gnostique prétend avoir une explication totale de Dieu et du monde que lui a fournie le savoir ésotérique obtenu au plus haut degré de l’initiation. Il réinterprète les dogmes religieux pour n’y voir que des symboles d’une vérité plus profonde dont seul il détient la clé. Le savoir total n’est donné qu’à l’initié, qui a su découvrir le vrai sens des mots, caché au commun des mortels. Alors l’univers a perdu pour lui tout mystère.
Les systèmes gnostiques classiques, échafaudés dans les premiers siècles de notre ère par Basilide, Valentin, Carpocrate, etc., très différents les uns des autres, se donnent comme des édifices intégralement logiques. Ils abritent pourtant les superstitions les plus extravagantes. La gnose apparaît comme une combinaison paradoxale de mystique, d’ésotérisme et de philosophie, sans parler de ses affinités avec la magie. La plupart de ces sectes étaient dualistes. Elles croyaient que le monde avait été créé par l’Esprit du mal, Satan, qui avait enfermé les âmes dans la prison du corps pour les faire souffrir. Mais il y avait aussi des sectes monistes dans le courant issu de l’hermétisme de l’Égypte hellénistique.
Sous un certain angle, la gnose peut être regardée comme une forme bizarre de rationalisme. On peut la rapprocher des idéologies inauthentiques du monde moderne, comme le marxisme, que Wilhelm Mühlmann (1904-1988) considère comme une « absolutisation gnostique de la matière »[14]. Alain Besançon (1932-2023), à son tour, a mis en parallèle l’ancienne gnose et l’idéologie léniniste[15]. Pour Friedrich-August von Hayek (1899-1992), le socialisme est fondé sur le postulat illusoire que le monde peut être reconstruit en faisant table rase des traditions, à partir des seules lumières de la raison. C’est ce qu’il appelle le rationalisme « constructiviste »[16]. Nous parlerons pour notre part de pseudo-rationalisme pour désigner cet usage défectueux de la raison par ceux qui prétendent en faire un absolu. La gnose des premiers siècles de notre ère contenait déjà une philosophie de cette espèce.
La tradition subit la mutation gnostique lorsqu’elle se laisse absorber par une philosophie dévoyée, emportée par l’hybris de la raison. On aurait tort, cependant, de penser que la gnose aboutit nécessairement au millénarisme. Pour que la gnose opte pour la révolution et sorte du cercle des initiés afin de s’infuser dans les masses, il faut qu’elle ait rencontré l’histoire. Le millénarisme n’a pu apparaître en Inde, parce que cette civilisation ignorait l’histoire[17]. Mais, dans les civilisations orientale et occidentale, héritières de la pensée grecque, on a appris de longue date à regarder les événements comme un enchaînement causal irréversible, théoriquement déchiffrable. Lorsque la transcendance de l’éternel retour est supplantée par l’immanence du devenir historique, le temps est mûr pour la gnose révolutionnaire de l’utopie égalitaire.
Le réveil de la gnose
Après saint Augustin, l’Église réussit peu à peu à vaincre les hérésies et à faire rentrer dans son giron ceux qui l’avaient quittée. Il faut dire qu’une partie de la chrétienté est submergée par l’islam après la mort de Mahomet en 632 et que le reste mesure le danger que fait courir la division. L’hérésie, qui s’était d’abord réveillée en Orient, parvient au XIe siècle en Occident. Jusqu’au XVIe siècle, et même au XVIIe siècle, on peut dresser la longue liste de ces sectes millénaristes, égalitaires et révolutionnaires, qui tentent par vagues successives de renverser l’ordre ancien : patarins, fraticelles, frères apostoliques en Italie, pastoureaux et encapuchonnés en France, taborites en Bohème, anabaptistes en Allemagne, alumbrados en Espagne, niveleurs, diggers, ranters en Angleterre, flagellants, bégards ou béguines un peu partout.
Norman Cohn, dans Les Fanatiques de l’Apocalypse, présente un tableau saisissant de ces hérésies, limité cependant à la France, l’Allemagne et l’Angleterre. Il écarte les vaudois et les cathares, qui ne relèvent pas, à ses yeux, de ce courant révolutionnaire. Igor Chafarévitch (1923-2017), en revanche, dans Le Phénomène socialiste, accorde aux cathares une large place. Si leur religion mérite de figurer dans une étude des origines du socialisme, c’est qu’elle est une résurgence de la gnose, et que celle-ci fut l’aiguillon du millénarisme.
Lorsque l’hérésie apparaît à Orléans en 1022, puis à Arras en 1025, il semble bien qu’il s’agisse déjà des cathares[18], et ce sont eux qui vont dominer l’histoire de l’hérésie jusqu’au début du XIIIe siècle.
La religion cathare n’est pas apparue en France par génération spontanée, elle est née en Bulgarie, où depuis environ un siècle sévissait la secte des bogomiles (ce qui signifie « aimés de Dieu » en bulgare). Elle a été propagée par des missionnaires venus des Balkans. Héritiers du dualisme iranien des disciples de Zoroastre et des manichéens (par l’intermédiaire des pauliciens, secte plus ancienne, née en Arménie, dont les adeptes avaient été déportés en Thrace par les empereurs byzantins), les bogomiles et leurs élèves, les cathares, pensaient que le monde n’avait pas été créé par Dieu, mais par Satan, comme le veut la gnose dualiste. Ils se divisaient à cet égard en deux camps. Les modérés tenaient Satan pour une créature de Dieu, tandis que les dualistes radicaux enseignaient que Satan était un Dieu mauvais, égal en puissance au Dieu bon[19]. Les cathares avaient une curieuse conception de la Bible. Ils rejetaient l’Ancien Testament en tout ou partie, comme l’avait fait jadis Marcion (85-160), considérant que le Dieu de la Genèse, le Créateur du monde, était en réalité Satan. Satan avait réussi à enfermer des anges – qui sont devenus les âmes – dans une prison de chair. Ils n’admettaient pas non plus le dogme de l’Incarnation, car un Dieu bon ne pouvait pas, selon eux, prendre place dans un monde mauvais. Pour eux, Jésus n’était qu’un ange envoyé par Dieu et c’est seulement en apparence qu’il avait pris forme humaine.
Ces premiers hérétiques que l’évêque de Cambrai sermonne dans la cathédrale d’Arras en 1025 et dont il obtient l’abjuration n’ont sûrement pas assimilé toute la dogmatique bogomile. Leur discours est essentiellement moral. Ils veulent revenir à la pauvreté apostolique, prêchent le renoncement, jugent que les sacrements sont inutiles. Dans la société dont ils rêvent, les différences entre les hommes seraient abolies.
Face à eux, l’évêque Gérard de Cambrai, qui les exhorte en présence du peuple et parvient à les convaincre de leur erreur. Ce dialogue est hautement symbolique. Car c’est à ce moment précis où l’hérésie égalitaire, ferment de subversion, renaît de ses cendres, que resurgit, dans la bouche de l’évêque, une figure de l’ordre social qui avait dominé l’antiquité et qui était issue de la tradition indo-européenne, mais qu’on pouvait croire oubliée. Oratores, bellatores, laboratores : ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. Trois fonctions, plutôt que trois ordres[20]. Le clergé, seul, constitue un véritable ordre (ordo), parce qu’il a consacré sa vie à Dieu et qu’il est le dispensateur des sacrements : il a le lourd privilège d’être l’intermédiaire entre le visible et l’invisible et, à ce titre, il doit se retrancher du monde, même quand il paraît s’y mêler.
C’est cela qui constitue le sens du sacré, à proprement parler : de la séparation. C’est la distinction des ordres ou des genres. C’est cela que les hérétiques refusaient, parce qu’ils voulaient une société homogène. À cette nostalgie primitive d’un âge d’or égalitaire, Gérard de Cambrai oppose la conception d’un ordre complexe et différencié, où l’on doit distinguer trois fonctions hiérarchisées et solidaires.
Pour couronner cet édifice à trois niveaux, un personnage central, le roi, incarnation de la souveraineté, à la fois prêtre et guerrier, sacré à Reims et capitaine des armées, premier des gentilshommes, en même temps qu’il est garant de la prospérité. En dernière analyse, les ducs, les comtes et les simples seigneurs ne tiennent leur pouvoir, cette émanation de la souveraineté, que du roi, le souverain. Ainsi l’élaboration idéologique qui commence avec Gérard de Cambrai est-elle aussi une réponse aux besoins de l’ordre social dans le régime de la féodalité. C’est elle qui préside à la naissance de la nation française au XIe siècle. Georges Duby termine à Bouvines, en 1214, son ouvrage sur les trois ordres[21]. Après Bouvines, la France a pleinement assumé son existence comme nation en adoptant pour longtemps la vision de l’évêque Gérard, celle d’une société une et triple à la fois, à l’image de la Divinité.
Sous l’influence de leurs maîtres bogomiles, les cathares, de leur côté, vont évoluer vers un dualisme de plus en plus intransigeant, ce qui fera passer au second plan les aspects sociaux de leur doctrine. Dès la fin du XIIe siècle, l’Église cathare ne répond plus aux aspirations des éléments radicaux. C’est ainsi qu’en 1182 apparut en Auvergne une nouvelle agitation, celle des encapuchonnés. La secte gagne le nord de la France, où elle devient tout à fait révolutionnaire et réclame l’instauration du paradis sur terre, hic et nunc, ici et maintenant, en se référant aux premiers temps de la création, quand tous les hommes étaient égaux.
Le catharisme disparaît au XIVe siècle après la croisade contre les « Albigeois » menée par Simon de Montfort (1175-1218). Il n’aura pour ainsi dire pas laissé de traces dans la pensée chrétienne. Mais, entre-temps, l’héritage de la gnose aura été recueilli par les Juifs.
La gnose des Juifs, la cabale, se constitue au XIIe siècle en Provence, certainement sous l’influence du catharisme, qui connaît son apogée à cette époque et dans cette province, et auquel elle emprunte des croyances tout à fait étrangères au judaïsme comme la métempsycose. Après l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 à l’issue de la Reconquista (Reconquête), décidée par los reyes católicos (le roi et la reine catholiques) parce qu’ils avaient toujours pris le parti des musulmans contre les chrétiens, elle va connaître un grand développement au Proche-Orient (école d’Isaac Luria à Safed, en Palestine), où elle prendra une tournure millénariste accentuée, ce qui ne manquera pas d’avoir ultérieurement une certaine influence en retour sur l’évolution des hérésies chrétiennes : « Cet activisme juif, dit Gershom Scholem (1897-1982), repose d’ailleurs sur ce remarquable circuit d’influences mutuelles qui existe entre le judaïsme et le christianisme et qui résulte des orientations propres à chacune des deux religions. Le messianisme politique et millénariste qui fut le fait d’importants mouvements religieux à l’intérieur du christianisme est une réplique du messianisme juif ». Et il ajoute : « Le judaïsme n’a cessé d’instiller dans le christianisme un messianisme politique et millénariste. »[22]
Une mystique de la libération
La période suivante, du XIIIe au XVIe siècle, sera dominée par une secte étrange et secrète, les frères du libre Esprit, dont on parle beaucoup moins que des cathares, alors qu’en réalité son influence a été bien plus durable. Ils sont derrière les principaux mouvements révolutionnaires de cette époque. Ils paraissent ainsi avoir inspiré Fra Dolcino, le chef des apostoliques ; ils sont à l’origine du mouvement communiste des taborites en Bohême ; Thomas Müntzer, lui-même, avait assimilé leur doctrine lorsqu’il parlait de « devenir Dieu ». Avec eux, la gnose a montré combien elle était complémentaire du millénarisme dans ces temps anciens. En apparence, pourtant, tout les opposait. La première s’adresse à une élite à qui elle est censée procurer un salut individuel, essentiellement spirituel Le second veut soulever les masses, auxquelles il promet un salut collectif et matériel. Mais ces deux courants se conjuguent parce que ce sont les deux directions que peut prendre l’utopie égalitaire et qu’ils puisent donc à une même source, et parce qu’ils sont animés de la même haine contre la religion et la société établies.
Les premiers adeptes du libre Esprit suivaient la doctrine d’un professeur de l’université de Paris, Amaury de Bène, mort en 1207, qui avait élaboré une philosophie panthéiste et mystique. Le libre Esprit est donc une gnose moniste et non dualiste. Selon Norman Cohn, Amaury de Bène aurait puisé dans les enseignements des fraternités mendiantes des mystiques musulmans, les soufis, qui avaient eu beaucoup d’éclat dans l’Espagne du XIIe siècle. « Il est probable, dit-il, que le soufisme (…) devait lui-même beaucoup à certaines sectes mystiques chrétiennes d’Orient. » Et il cite les messaliens, apparus au IVe siècle au sein de l’Église arménienne. Ainsi, de manière frappante, la généalogie des hérésies révolutionnaires nous ramène encore dans un territoire bien déterminé, aux confins de l’Iran. C’est encore d’Iran, semble-t-il, le pays de Zoroastre et de Manès, que sont venues les gnoses, et beaucoup des religions à mystère de l’antiquité tardive. C’est en Iran que furent forgées les eschatologies révolutionnaires dont se sont inspirées les auteurs des apocalypses apocryphes, qui propageaient l’espérance d’un messianisme purement temporel. C’est plus tard en Iran que naquirent ou se développèrent le soufisme et le chiisme. Le chiisme, quant à lui, avec sa doctrine de l’Iman caché, ou du Mahdi, offre d’assez nettes similitudes avec le millénarisme chrétien. En plein XXe siècle, les fanatiques chiites du Liban ou d’Irak forment des processions de flagellants pour commémorer le martyre de l’iman Hussein en 680, qui rappellent celles de notre moyen âge.
L’hérésie du libre Esprit est « l’un des phénomènes les plus troublants et les plus mystérieux de l’histoire du Moyen-Age » (Norman Cohn). Elle recrutait principalement ses adeptes dans la population flottante de ces « saints mendiants » qui allaient sur les routes pour mener la vie apostolique, qu’on appelait les bégards, ou dans ces communautés religieuses informelles, le plus souvent féminines, dont les membres étaient connus sous le nom de béguins ou béguines. Au XIIIe siècle, ils se réclamaient en général du tiers ordre de saint François et se disaient « les pauvres frères de la pénitence »[23]. Il ne fait guère de doute qu’ils ont joué un grand rôle dans les graves dissensions qui ont divisé les franciscains en deux partis, les spirituels et les conventuels, à propos de la question de la pauvreté, laquelle sera réglée par le pape Jean XXII (1316-1334) dans sa constitution Quia quorumdam du 1er novembre 1324. Mais, comme le note le Dictionnaire de théologie catholique Vacant-Mangenot à propos de la secte du libre Esprit : « Son travail souterrain nous échappe. »
La doctrine du libre Esprit nous est connue notamment par un ouvrage ésotérique, Le miroir des âmes simples et anéanties de Marguerite Porete, qui fut brûlée à Paris en 1310. Il se présente comme un manuel d’introduction à la vie mystique, qui décrit l’ascension de l’âme vers la liberté totale. Au dernier stade de l’initiation, l’homme n’a d’autre volonté que celle de Dieu, car il est devenu Dieu : « Il faut bien que cette âme soit semblable à la divinité, car elle est transformée en Dieu ». Il ne peut donc plus pécher ; l’âme libérée « a pris congé des vertus ». Elle « n’éprouve aucun chagrin pour les péchés qu’elle ait jamais commis, ni aucune espérance pour le bien qu’elle ait jamais fait ». D’où il s’ensuit que tout lui est permis : « Ceux qui sont libres font tout ce qui leur plaît pour ne pas perdre la paix, puisqu’ils en sont venus à l’état de liberté. » « Pourquoi ces âmes se feraient-elles scrupule de prendre ce qu’il leur faut, lorsque la nécessité le leur demande ? »
Affranchi de toute morale, l’homme se croit alors virtuellement tout-puissant, au même titre que Dieu lui-même : « Les gens qui sont en cet état sont en souveraineté sur toutes choses (…). Tout est à leur volonté et à leur nécessité ». « Il est juste (dit l’âme anéantie) que tout me soit soumis ; puisque tout a été fait pour moi, je reçois tout comme à moi, sans interdit »[24].
Une autre béguine résume ainsi cet enseignement : « Quand un homme a vraiment atteint le grand et haut savoir, il n’est plus tenu d’observer ni loi ni commandement, car il ne fait plus qu’un avec Dieu »[25]. Le « grand et haut savoir », c’est l’autre nom de la gnose
S’ils donnaient au monde extérieur l’apparence de la sainteté et de l’ascétisme, les adeptes du libre Esprit faisait en réalité de l’absence de toute morale le critère de la liberté. L’identification blasphématoire à la Divinité débouche sur un nihilisme pervers. Ici, le libre Esprit est l’héritier de la philosophie cynique élaborée à Athènes par Diogène de Synope au IVe siècle avant J.-C. et il préfigure l’idéologie cosmopolite qui en est l’héritière de nos jours et qui constitue l’un des deux pôles de l’utopie égalitaire, l’autre étant le collectivisme. Norman Cohn parle d’un anarchisme mystique. On voit tout ce qui sépare cette mystique dévoyée de l’union mystique des saints catholiques, illumination rarissime de toute une vie.
Deux remarques s’imposent à propos du libre Esprit, qui est au cœur des divers mouvements millénaristes du moyen âge à partir du XIIIe siècle. Tout d’abord, ce fait remarquable que l’inversion des valeurs (« la subversion du sens de la vérité » dont parlait le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, futur pape Benoît XVI, en 1984[26]) peut s’effectuer à tous les degrés de l’élévation de l’âme. Les frères apostoliques de Dolcino sont des ascètes fanatisés qui tuent, pillent, égorgent. Les initiés du libre Esprit estiment avoir le droit de faire tout ce qui leur plaît. Prétention dérisoire de l’homme qui se croit devenu Dieu. Ensuite, on doit souligner que cette inversion n’est possible qu’en raison de l’étrange ambivalence de cet anarchisme mystique. Les sectaires, d’un côté, sont prêts à tous les sacrifices et marchent au bûcher en chantant. De l’autre, ils ne se refusent rien et se roulent dans la débauche, ne reculant ni devant le vol, ni devant l’assassinat.
Les conclusions pratiques de la doctrine semblent avoir varié selon les lieux, les époques et même les individus, ce qui n’est pas étonnant puisque, en l’absence de toute référence morale, l’homme est livré à sa subjectivité. Mais, à partir du XVe siècle au moins, la secte s’est employée à attiser les tendances communistes qui se répandaient dans les masses. Les adeptes, habitués à la clandestinité, ont formé le noyau des organisations révolutionnaires. Il nous faut rapporter à ce propos deux expériences spectaculaires : la révolution des taborites en Bohème, celle des anabaptistes à Münster.
Après la mort de Jean Hus, exécuté comme hérétique en 1415, ses disciples se divisèrent en deux tendances. Les modérés (utraquistes) s’en tenaient à la foi catholique sur la plupart des points. Les extrémistes rejetaient à peu près tous les dogmes et contestaient la hiérarchie ecclésiastique. On les appelait les taborites parce que leur capitale était la ville de Tabor, qu’ils avaient fondée sous ce nom en mémoire du mont de Galilée où, selon la tradition, le Christ avait connu sa transfiguration (Marc, IX). Ils appelaient à l’extermination des méchants : « Chaque croyant, disaient-ils, doit se laver les mains dans le sang. »[27] Alors, l’humanité, convenablement épurée, recouvrerait son innocence et connaîtrait le royaume de Dieu prédit dans l’Apocalypse. En attendant, les taborites s’efforcèrent, non sans difficultés, d’installer des communautés égalitaires. L’échec fut à peu près complet et ils durent abandonner bientôt cette première expérience communiste. Mais les annales ont conservé le souvenir d’une bande extrémiste, connus comme les adamites de Bohème, qui vivaient à peu près nus dans un état de promiscuité totale. Avant d’être massacrés à leur tour, en 1421, ils s’étaient livrés pendant des mois à des expéditions de pillage et de meurtres. Ils égorgeaient les prêtres avec un enthousiasme tout particulier.
Les anabaptistes prirent le pouvoir à Münster en février 1534 après avoir éliminé les catholiques et les luthériens. Sous la direction de Jan Matthys, puis de Jean de Leyde, ils établirent un régime de terreur qui dura jusqu’à la prise de la ville par les troupes de l’évêque en juin 1535. Tous les biens furent mis en commun, le mobilier, la nourriture, etc., et placés dans des magasins publics. Il fut décidé que les portes de toutes les maisons devraient rester ouvertes de nuit comme de jour. Tous les livres, sauf la Bible, furent brûlés. Après quelques hésitations, Jean de Leyde décida d’instituer la polygamie. Puis, en août 1534, il se fit proclamer roi et dit qu’il était le nouveau David, chargé de conduire l’extermination de tous ceux qui ne voudraient pas se faire anabaptistes.
Les métamorphoses de l’égalitarisme
Le socialisme proprement dit, qui apparût en Occident au début du XIXe siècle, est l’héritier du millénarisme chrétien, qui avait donné naissance à de nombreuses mouvements fanatisés au cours du moyen âge. En fait, on peut considérer que le socialisme et le millénarisme dérivent l’un comme l’autre d’une même figure idéologique, l’utopie égalitaire, quand elle prend la direction du collectivisme.
La formation du socialisme à partir de l’héritage millénariste est un phénomène fort complexe.
D’une part, on constate une laïcisation des idées égalitaires dans l’œuvre des utopistes des XVIe et XVIIe siècles, comme Tommaso Campanella (1568-1639), auteur de la Cité du Soleil[28].
D’autre part, l’inspiration proprement religieuse se perpétue de diverses façons.
Après Jakob Bœhme (1575-1624), la théosophie, nom moderne de la gnose en milieu chrétien, va imprégner la sensibilité du piétisme allemand par l’intermédiaire de certains mystiques comme Friedrich Christoph Œtinger (1702-1782). D’après Wilhelm Mühlmann, le piétisme aura une grande influence sur Hegel et Schelling et, à travers eux, sur Marx lui-même[29].
La cabale a aussi été en Occident un réservoir d’idées gnostiques, auquel ont puisé de nombreux chrétiens. Elle a donné naissance, dans les milieux juifs, à un messianisme hérétique et révolutionnaire, le sabbatéisme, nommé d’après son fondateur Sabbataï Zevi (1625-1676). Son épigone Jakob Frank (1726-1791), « figure terrifiante et vraiment satanique » (Gershom Scholem), se veut le prophète de la révolution mondiale. Au XIXe siècle, le sabbatéisme se déverse apparemment dans le socialisme à travers les nombreux Juifs qui embrassent le marxisme[30].
La (fausse) gnose et le millénarisme s’étaient développés autrefois sous le langage de la religion. L’idéologie (inauthentique) et le socialisme prospèrent sous le langage de la science.
A cet égard, la terminologie marxiste, qui oppose le « socialisme scientifique » au « socialisme utopique », n’a qu’une valeur de propagande. Le socialisme est toujours à la fois utopique et pseudo-scientifique.
Subversion de la religion, subversion de la science, les deux démarches sont analogues. Elles se confondent significativement depuis le congrès de Medellín en 1968 dans la prétendue « théologie de la libération » qui a fait florès en Amérique latine et qui réinterprète les dogmes catholiques d’après les théories du marxisme.
La raison sans la foi
De ce survol de l’histoire des hérésies millénaristes ou gnostiques, on peut tirer quelques observations générales. Trois tendances ont dominé tour à tour, le dualisme, le panthéisme et le pélagianisme. Toutes, elles continuent à coexister aujourd’hui dans le socialisme et le cosmopolitisme, qui a pris le relais de celui-ci depuis la révolution idéologique de 1968. Ces tendances sont en partie contradictoires, ce qui ne doit pas trop étonner, car la cohérence interne du millénarisme ou de la gnose, qui est forte, n’est pas d’ordre purement logique.
a) Le dualisme
Le dualisme des cathares se traduit par une condamnation radicale du monde. Les âmes sont innocentes puisque ce sont des anges que le démon a pu capturer. Le mal n’est pas dans l’homme, il lui est extérieur et l’on ne peut vraiment s’en libérer que par la mort – à condition quand même, pour les cathares, d’avoir atteint la perfection qui permet d’échapper au cycle infernal des réincarnations : Satan ne laisse pas si facilement les âmes s’échapper de la prison matérielle où il les a enfermées. Ce nihilisme reste un des traits constants de la gauche, expression idéologique de l’utopie égalitaire. Igor Chafarévitch voit même dans le socialisme une expression de l’instinct de mort. Jacques Attali l’avait-il lu, lorsqu’il écrivait : « La logique socialiste, c’est la liberté, et la liberté fondamentale, c’est le suicide ? »[31]
b) Le panthéisme
Le panthéisme d’Amaury de Bène revient à diviniser la nature. Cette deuxième tendance de l’utopie égalitaire n’est pas à proprement parler matérialiste, elle est plutôt un animisme, car elle revient à prêter aux choses un projet. Le refus de la transcendance aboutit à une confusion des plans. On peut devenir Dieu parce que Dieu n’est pas différent de ses créatures. Donc, si le monde est mauvais (ce qui reste un postulat obligé du millénarisme), alors que Dieu est bon, ce ne peut être que par erreur. Ici aussi l’on retrouve la gnose. « Nul n’est méchant volontairement », disait déjà Socrate selon son disciple Platon. Saint Augustin affirmait au contraire qu’« on appelle homme de bien, non celui qui connaît le bien, mais celui qui l’aime. »[32] Le socialisme partage l’illusion issue de la gnose qu’on pourra reconstruire un monde parfait dont on saura maîtriser tous les rouages.
c) Le pélagianisme
L’hérétique Pélage de Bretagne (mort vers 422) niait le péché originel et soutenait que la grâce n’était pas indispensable au salut. La chute de nos premiers parents n’était pas pour lui un événement dont chacun partageait la responsabilité, mais un fait extérieur à la nature humaine. Dès lors, c’est l’économie du salut et la nécessité de la Rédemption qui disparaissaient. Si l’homme est bon par nature, s’il a été précipité par la faute d’un autre hors du paradis primitif, il est permis d’espérer que cette erreur de l’histoire pourra être réparée par les hommes eux-mêmes, qui n’ont pas vraiment besoin de Dieu.
Dans le Livre de la Richesse, écrit peut-être par Pélage lui-même, la doctrine sociale qui découle de cette conception de l’homme est clairement exposée : il faut supprimer toutes ces choses superflues que nous apporte la civilisation pour retrouver la pauvreté bienheureuse des hommes naturels[33]. L’utopie égalitaire, qui s’exprimait jadis dans le mythe de l’âge d’or et qui est devenue chez les philosophes la théorie de l’état de nature, repose sur cette croyance dans l’innocence absolue de l’homme, dont Rousseau (1712-1778) a donné l’expression la plus élégante. L’homme est bon par nature, dit Jean-Jacques, mais la société l’a corrompu. En écho, Karl Marx (1818-1883) dit que l’homme est aliéné et qu’il doit, à travers la révolution, se libérer des institutions qui l’asservissent pour recouvrer sa vraie nature humaine.
D’où vient le mal ? (Unde malum ?) Telle est, selon Tertullien (160-240), la grande question que posent les hérétiques. Le millénarisme ou le socialisme sont une solution mauvaise au vrai problème de l’origine du mal. Dans la conception orthodoxe, le mal est dans la nature humaine (dogme du péché originel) et par conséquent le bien et le mal sont nécessairement mélangés dans ce monde. Si l’on doit apporter des réformes pour améliorer la société en déplaçant cet équilibre instable entre les deux cités dont parle saint Augustin, on ne peut croire en revanche que le mal aura été extirpé avant la fin des temps.
Dans la pensée millénariste, le mal est entièrement extérieur à l’homme. Il provient d’un principe mauvais ou d’une société mal construite. Pourquoi, dit le gnostique dans le même esprit, moi qui suis une étincelle jaillie de la lumière divine, suis-je jeté dans ce monde mauvais ? C’est peut-être qu’un principe mauvais s’est emparé de mon âme pour l’enfermer dans son enveloppe charnelle (hypothèse dualiste). Ou bien, c’est que ce monde, émanation de Dieu lui-même, a été mal construit (hypothèse panthéiste). Dans les deux cas, je reste absolument innocent du mal dont je suis la victime – conclusion commune à Pélage et à Rousseau. Ainsi, par exemple, le criminel n’est pas responsable de ses actes, il est une victime de la société, car elle lui a donné des besoins sans les moyens de les satisfaire. Tout ramène à ce schéma premier, celui d’un homme bon, placé dans une société mauvaise, dont il lui faut faire table rase pour retrouver l’âge d’or. Cette utopie est égalitaire. Car, pour le millénariste ou le socialiste, pour le gnostique ou le cosmopolite, le mal se confond avec l’inégalité. Le problème de l’origine du mal est le même que celui de « l’origine de l’inégalité parmi les hommes » que Rousseau a prétendu résoudre.
On connaît la réponse de Rousseau et, avec lui, celle de toute la tradition égalitaire. Les Pères de l’Église ont évidemment une opinion toute différente. Il semble en fait qu’on puisse distinguer deux théories orthodoxes. La première, la plus répandue, est énoncée notamment chez saint Augustin. Les hommes, dit-il, auraient été égaux sans la chute. C’est le péché originel qui est à l’origine de l’inégalité, c’est à cause de lui qu’il faut considérer que les inégalités de pouvoir et de richesse, et les institutions comme la propriété ou la famille, sont un bien, ou plutôt un moindre mal, nécessaire à l’ordre social. « Qui veut faire l’ange, fait la bête », dira Blaise Pascal (1623-1662).
Selon un autre point de vue, l’inégalité serait nécessaire, même s’il n’y avait pas le péché, parce que l’ordre social doit refléter l’ordre céleste et que celui-ci est bien un ordre, avec ses rangs et sa hiérarchie. Le pape saint Grégoire le Grand (590-604) pouvait ainsi écrire : « Que la Création ne puisse être gouvernée dans l’égalité, c’est ce dont nous instruit l’exemple des milices célestes : il y a des anges, il y a des archanges, qui, manifestement, ne sont pas égaux, les uns différant des autres en puissance et en ordre »[34]. Selon l’évêque Gérard de Cambrai, l’inégalité règne même au paradis[35] et, à sa suite, saint Bernard de Clairvaux (1091-1153) rappelle que les hommes commencent à ressusciter chacun selon son rang, ou son ordre (unusquisque in ordine suo, Paul, I Cor, XV, 23)[36]. Dans la même épître, saint Paul utilise l’apologue classique qui compare la société à un corps, uni dans ses membres divers, pour faire prendre conscience de l’unité mystique des fidèles, au sein de l’Église du Christ, malgré l’inégalité de leurs mérites : « Vous êtes, vous, le corps du Christ, et membre chacun pour sa part. Et ceux que Dieu a établis dans l’Église sont premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement les docteurs… » (I Cor, XII, 27-28).
Ainsi, la doctrine que les Pères de l’Église ont tirée de l’Écriture Sainte enseigne que l’ordre social ne va pas sans l’inégalité et que l’utopie égalitaire est une imposture. On doit donc distinguer dans la société des fonctions complémentaires, qui relèvent de valeurs et de logiques différentes. Lactance (240-320) parlait des deux sortes de justice – celle de Dieu et celle des hommes – ; saint Augustin distinguait dans le même esprit le droit humain et le droit divin. La morale et le droit, la morale et la politique, s’ils ne sont évidemment pas sans rapports, ne se situent pas sur le même plan et ne sauraient être confondus.
Le pseudo-rationalisme égalitaire refuse ces distinctions parce qu’il assimile la société à une machine, qu’on pourrait piloter depuis un point central. Il n’existe pas, dans cette conception, de loi supérieure qu’on puisse opposer au pouvoir de l’État. L’État est véritablement omnipotent puisqu’il est censé représenter l’intérêt général et que celui-ci est la condensation de tous les intérêts particuliers. Or, il est frappant de le noter, un philosophe positiviste comme Hayek redécouvre le rôle des traditions dans une société complexe en démontrant que ce pseudo-rationalisme repose sur une profonde méconnaissance des limites de la raison[37].
*
La dualité du millénarisme et de la gnose montre que l’utopie égalitaire peut prendre deux directions opposées. Dans le premier cas, elle opte pour le collectivisme, en sorte que l’individu aspire à se fondre dans la masse. Dans le second, elle opte au contraire pour un individualisme radical ; l’individu s’affranchit de la collectivité, de ses lois et de sa morale, puisqu’il prétend même, selon la gnose, « devenir Dieu », en sorte que nul ne puisse être supérieur à lui.
Cette dualité est une nécessité logique. Il est en effet impossible de concevoir et encore plus de réaliser une société où l’inégalité aurait disparu. Par conséquent, l’égalitarisme, qui confond l’égalité avec la justice, l’inégalité avec l’injustice, conduit nécessairement à l’utopie et celle-ci n’offre que deux solutions à ses spéculations aberrantes : soit l’homme s’anéantit dans la collectivité, soit il s’en dissocie moralement, pour que, dans un cas comme dans l’autre, il ne sente personne au dessus de lui.
La continuité du millénarisme au socialisme est manifeste, une pseudo-science ayant remplacé la religion comme alibi aux pulsions révolutionnaires.
Le cas de la gnose est plus complexe. Elle est individualiste et elle est, à l’origine du moins, réservée à une élite. Elle pose une inégalité radicale entre les gnostiques, qui seuls seront sauvés, et la plèbe des gens ordinaires qui n’ont pas accès à la gnose, les hyliques. Elle peut en rester là. Il est permis alors de parler d’une gnose introvertie, comme celle de la plupart des sectes gnostiques des premiers siècles. Mais il y a aussi une gnose extravertie, comme celle du libre Esprit. Il ne lui suffit pas d’avoir affranchi les élus de la morale et des traditions, elle est mue par la haine de ces disciplines qu’elle a rejetées pour elle-même et qu’elle veut faire disparaître partout. Jadis, elle a vu dans le millénarisme l’instrument qui lui permettrait d’assouvir sa soif de destruction et elle a aiguillonné et manipulé les masses dans ce but en jetant l’étincelle dans le bûcher de la populace pour qu’il devînt un brasier. Aujourd’hui, le nihilisme de la gnose ancienne est sorti des sectes où il avait longtemps été cantonné pour s’infuser dans la masse du peuple. Cette nouvelle gnose universelle a été véhiculée non seulement par les Juifs sabbatéens, mais aussi apparemment par les hauts grades de la franc-maçonnerie. Cette dernière est, comme la gnose, fondée sur le secret et l’initiation. Comme la gnose, c’est une religion, puisqu’elle oppose le sacré au profane, et nullement une philosophie comme elle le prétend abusivement. Mais, à la différence de la gnose, la franc-maçonnerie est un contenant sans contenu déterminé. Il n’y a pas de doctrine maçonnique. Comme la gnose, les loges et obédiences maçonniques sont réservées à une élite, mais, contrairement à celle-ci, elles ont l’ambition de constituer un réseau de solidarité, d’intérêts et d’influence qui s’étende sur la société tout entière.
Quoi qu’il en soit, quelle que fût l’influence réelle de la franc-maçonnerie à cet égard, quel que soit ce qui reste de la gnose originelle dans le secret des conventicules maçonniques ou sabbatéens, le fait est que le nihilisme de la gnose a connu une formidable expansion au XIXe siècle et surtout au XXe. Il a fallu pour cela que la gnose se greffât sur un courant philosophique inauguré par Diogène le cynique au IVe siècle av. J.-C. et perpétué jusqu’aux temps modernes sous le déguisement du stoïcisme : il s’agit du cosmopolitisme, idéal des soi-disant « citoyens du monde », qui sont non seulement mondialistes, mais surtout nihilistes, rejetant les principes et les valeurs enseignés par la religion et les traditions. Elle y a trouvé le moyen de convertir l’humanité entière à ses vues ou plutôt de les lui imposer. La mutation de la gnose, qui s’est d’abord opérée dans la littérature, a finalement donné l’idéologie dominante du monde actuel, portée par la superclasse mondiale née à la fin du XXe siècle, et qui est donc le cosmopolitisme. Cependant, en cessant d’être une religion réservée à une élite pour devenir une idéologie ouverte à tous, la gnose s’est dénaturée en se diluant.
Les mouvements révolutionnaires qui entreprennent de réaliser l’utopie égalitaire peuvent éventuellement éradiquer les inégalités de la société établie, du moins les inégalités sociales ou économiques, à défaut des autres, notamment des inégalités biologiques, mais ils en engendrent inévitablement d’autres. C’est le paradoxe de l’égalitarisme.
Dans le cas du collectivisme, qui fut celui du millénarisme et qui est aujourd’hui celui du socialisme, la collectivité est tout, l’individu n’est rien. L’égalité est alors réalisée en principe puisque « rien » est égal à « rien ». En pratique, cependant, il faut bien des chefs pour diriger le mouvement et organiser la nouvelle société, et ceux-ci ne sont pas vraiment égaux à ceux qu’ils dirigent… On se souvient de la nomenklatura de feue l’URSS et l’on sait bien, au demeurant, que la « dictature du prolétariat », certes provisoire selon Marx, était en réalité la tyrannie du parti communiste.
Dans tous les cas, il apparaît une inégalité fondamentale entre les bons, ceux qui soutiennent la révolution, et les méchants, ceux qui s’y opposent, entre les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires. Pour les collectivistes d’hier et d’aujourd’hui, ces derniers sont les rois, les nobles, les prêtres, les bourgeois, les capitalistes… Pour les cosmopolites, ce sont les réactionnaires, les traditionalistes, les racistes, l’extrême droite…
En outre, si l’on peut rêver d’éradiquer les inégalités sociales et économiques, les inégalités de nature demeurent. On comprend que l’égalitarisme soit lyssenkiste et anti-scientifique, et que, dans sa volonté de créer un homme nouveau, il nie les conclusions de la génétique et la puissance de l’hérédité. Celle-ci est pourtant une évidence : il suffit de comparer les vrais jumeaux aux faux jumeaux du même sexe ; les premiers se ressemblent presque parfaitement, tant sur le plan physique que sur le plan mental, alors que les autres ne se ressemblent pas davantage que deux frères ou deux sœurs d’âges différents, sous réserve évidemment de la différence d’âge.
Pendant longtemps, l’utopie égalitaire est restée marginale dans ses deux composantes, en dépit d’éruptions sporadiques. Elles pouvaient être alliées et complémentaires, et, comme on l’a vu, les frères du libre Esprit inspiraient les mouvements millénaristes. Il en va tout autrement depuis trois siècles, depuis la crise de la conscience européenne, ou plutôt de la conscience occidentale, que Paul Hazard a décrite dans un grand livre et qu’il a datée des années 1680 à 1715[38]. Les idéologues de la révolution, que la doxa appelle les « philosophes des Lumières » (avec une majuscule à leurs prétendues « Lumières »), alors qu’ils ont répandu les ténèbres de leur pensée pseudo-rationaliste, ont fait prévaloir l’utopie égalitaire en Occident. C’est alors que le clivage droite-gauche s’est constitué. Il domine la vie politique et intellectuelle[39]. Alors que la gnose individualiste et le millénarisme collectiviste étaient complémentaires auparavant, l’antagonisme latent qui existait entre eux a éclaté. Désormais, le socialisme issu du millénarisme et le cosmopolitisme qui perpétue la gnose, ces deux pôles de l’utopie égalitaire, sont entrés en concurrence pour la domination des peuples.
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Chrétiens ou non, les Français doivent admettre que la foi ne va pas sans la raison ni la raison sans la foi, au moins sans la foi dans les traditions nationales. Dans la France d’aujourd’hui, comme jadis dans celle du XIe siècle, il est urgent de réagir au retour en force de l’utopie égalitaire, subversive et dévastatrice. Nous ne pourrons, tous ensemble, en venir à bout, que si les Français, hommes de foi et de raison, puisent dans la fidélité à leurs traditions les raisons d’espérer dans leur avenir.
Remarque
Le présent article est la nouvelle édition, revue et corrigée, de la communication que nous avons présentée le 11 mai 1985 au colloque sur le thème « Socialisme et religion sont-ils compatibles ? » organisé par le Club de l’Horloge (devenu depuis « Carrefour de l’Horloge »). Yvan Blot, Maurice Boudot, Raymond Bourgine, François-Georges Dreyfus, Nicole Fontaine, Michel de Guillenchmidt, Pierre-Patrick Kaltenbach, Michel Leroy, Claude Polin et le R.P. Philippe Vercoustre, OP, y sont notamment intervenus. Les actes en ont été publiés en 1986 aux éditions Albatros, augmentés des contributions de Jean-Marie Benoist, Georges Berthu, Didier Maupas et Nicolas Plantrou, ainsi que de trois annexes établies, avec notre collaboration, par le cercle de Rouen du Club de l’Horloge, sous la direction de son président, Philippe Lecœur.
[1] Friedrich Engels, La guerre des paysans en Allemagne, éditions sociales, 1974.
[2] La Sainte Bible, traduite par le chanoine Augustin Crampon, 1923, réimpression aux éditions D.F.T., Argentré-du-Plessis, 1989.
[3] Œuvres de saint-Augustin, tome 37, La Cité de Dieu, Livres XIX -XXII, Desclée de Brouwer, 1960 ; notes complémentaires de G. Bardy, pp. 772-773.
[4] Condamnation qui fut encore rappelée par le saint office le 12 juillet 1944.
[5] Norman Cohn, Les Fanatiques de l’Apocalypse – millénaristes révolutionnaires et anarchistes mystiques au Moyen-Age, Payot, 1983, pp. 9-10 (trad. de The Pursuit of Millenium [La poursuite du millenium], Londres, 1970).
[6] On dit le plus souvent qu’il y a vingt-sept livres dans le Nouveau Testament en comptant un livre par épître, ce qui n’a pas de sens : l’épître à Philémon, qui fait moins d’une page, est tenue pour un livre à elle toute seule ! Il vaut mieux considérer que toutes les épîtres ne forment qu’une seul et même livre. De même, les écrits des douze petits prophètes de l’Ancien Testament ont longtemps été réunis en un seul livre par les chrétiens et ils le demeurent pour les Juifs.
[7] Norman Cohn, op. cit., p. 113.
[8] Cité par Norman Cohn, op. cit., p. 261.
[9] Cité par Igor Chafarévitch, Le Phénomène socialiste, Le Seuil, 1977, p. 125.
[10] Chamfort, Maximes et pensées, Caractères et anecdotes, 1975, Gallimard, 1970, § 899, p. 252. L’auteur met hypocritement la phrase entre guillemets en l’attribuant à « Je ne sais quel homme », mais, comme il n’émet pas la moindre réserve, il faut bien admettre qu’il la fait sienne sans avoir l’honnêteté d’assumer ce cri de haine.
[11] Cf. Henry de Lesquen et le Club de l’Horloge, La Politique du vivant, Albin Michel, 1979.
[12] Cf. Mircea Eliade, Le Mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969.
[13] Cf. Gervais Dumège, Textes sur le Magistère de l’Église, Éd. de l’Orante, 1975.
[14] Wilhelm E. Mühlmann, Messianismes révolutionnaires du tiers monde, Gallimard, 1968, p. 313.
[15] Alain Besançon, Les Origines intellectuelles du léninisme, Calmann-Lévy, 1977 ; La Confusion des langues, Calmann-Lévy, 1978.
[16] Friedrich-August von Hayek, Droit, législation et liberté, 3 t., PUF, 1980-1983.
[17] Mircea Eliade, Le Yoga, Payot, 1983.
[18] C’est l’opinion d’Arno Borst ; cf. Les Cathares, Payot, 1984, p. 68.
[19] Ce clivage reproduisait sur le plan synchronique celui qu’avait connu le zoroastrisme sur le plan diachronique. Dans sa version primitive, purement monothéiste, Angra Manyu, le principe du mal, était une créature d’Ahura Mazda. Dans sa version tardive, adoptée par les Sassanides, Angra Manyu, renommé Ahriman en pehlevi, était tenu pour l’égal d’Ahura Mazda, le Dieu bon.
[20] Cf. Georges Duby, Les trois Ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Gallimard, 1978. Sur les trois fonctions, voir aussi les ouvrages fondamentaux de Georges Dumézil (1898-1986).
[21] G. Duby, op. cit.
[22] Gershom G. Scholem, Le Messianisme juif, Calmann-Lévy, 1974, pp. 40 et 42.
[23] Bernard Gui, Manuel de l’inquisiteur, 2 t., Les Belles Lettres, 1984.
[24] Marguerite Porete, Le Miroir des âmes simples et anéanties, Albin Michel, 1984, pp. 115, 59, 104, 165, 78, 173, 231.
[25] Cité par N. Cohn, op. cit., p. 191.
[26] Sacrée congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Libertatis nuntius sur quelques aspects de la « théologie de la libération », 6 août 1984
[27] Cf. N. Cohn, op. cit., pp. 232-3.
[28] Igor Chafarévitch, op. cit.
[29] Wilhelm Mühlmann, op. cit.
[30] Gershom Scholem, Le Messianisme juif, op. cit., p. 198.
[31] In Michel Salomon, L’Avenir de la vie, Seghers, 1981, p. 274.
[32] Œuvres de Saint Augustin, tome 35, La Cité de Dieu, livre XI, chap. 28, p. 121.
[33] Cf. Gérard Walter, Les Origines du communisme, Payot, 1975.
[34] Cf. G. Duby, op. cit., p. 14.
[35] Ibid., p. 56.
[36] Ibid., p. 273.
[37] F.-A. v. Hayek, Droit, législation, liberté, op. cit.
[38] Paul Hazard, La crise de la conscience européenne – 1680-1715, 1935, Fayard, 1961, 2009. Il pouvait parler de conscience européenne puisqu’à l’époque considérée l’Europe et l’Occident ne faisaient qu’un. Le monde russe était encore classé en Asie, les Balkans appartenaient à l’empire Ottoman et le Nouveau Monde ne comptait pas.
[39] La gauche étant l’expression idéologique de l’utopie égalitaire, la droite ne peut se définir que de manière négative, comme tout ce qui s’oppose à la gauche, de même que la bonne santé se définit comme le contraire de la maladie.