Dissertation sur le cosmopolitisme

Diogène (1877) par Jules Bastien-Lepage.

La dissertation sur le cosmopolitisme est la septième annexe de Sagesse des nationaux-libérauxElle complète le commentaire V.7.

Logique de l’utopie égalitaire
Comme on ne peut concevoir de rapports sociaux sans une forme quelconque d’inégalité, l’utopie égalitaire signifie en réalité que, dans la société idéale imaginée par la gauche, les inégalités ancrées dans la nature ou dans la tradition auront disparu, remplacées par celles qui résulteront de la nouvelle construction sociale parfaitement rationnelle et qui seront donc légitimes, à la différence des anciennes, lesquelles auront été définitivement abolies. Au sens strict, on devrait donc plutôt parler d’utopie anti-inégalitaire.

Le collectivisme veut absorber les individus dans la collectivité en sorte qu’ils soient égaux, dès lors qu’ils ne seront plus rien. L’utopie égalitaire est ici conçue paradoxalement sur le mode de la caserne, où les seules inégalités qui subsisteront seront purement administratives. Il a abouti au socialisme, lequel s’est radicalisé, d’une part, dans le communisme, d’autre part, dans le fascisme. Si le second a été inventé par l’Italien Benito Mussolini au début du XXe siècle, le premier est beaucoup plus ancien, puisqu’il l’a été par l’Iranien Mazdak au VIe siècle. Le communisme de Platon dans La République était resté purement théorique et n’avait rien d’égalitaire, reposant sur le division de la société en classes fonctionnelles constituées d’individus inégaux par nature. Cependant, avant la révolution de 1789 et surtout la naissance du marxisme au XIXe siècle, le collectivisme a été toujours et partout relégué à la marge de la société, porté seulement par des sectes millénaristes comme les taborites de Bohême ou les anabaptistes de Münster.

Unité du cosmopolitisme
Tout au contraire, le cosmopolitisme, quant à lui, qui vient du fond des âges, puisqu’il fut inventé vers -350 par un philosophe de l’Antiquité grecque, Diogène le cynique, a connu une grande fortune jusqu’à la chute de l’empire romain et à nouveau à partir de la « Renaissance ». Le cosmopolite, qui se dit « citoyen du monde », kosmopolitês en grec, pour n’être citoyen de nulle part, veut détruire les frontières afin d’effacer les identités individuelles et collectives. L’utopie égalitaire est alors conçue sur le mode du carnaval, où les individus seront délivrés des inégalités fondées sur les traditions et les institutions en ayant recouvré la liberté naturelle.

Le cosmopolitisme est un tout qui fait système, bien qu’un auteur particulier puisse n’être que partiellement cosmopolite et bien que les idées aient tendance à s’hybrider, surtout entre les deux pôles de la gauche, puisque, tout antagonistes qu’ils soient, ils ont un socle commun, l’utopie égalitaire. La cité est un tout, avec ses frontières, ses traditions et ses lois. Le cosmopolite rejette la cité en totalité, aussi bien les frontières que les traditions et les lois ; les frontières proprement dites, physiques et extérieures, autant que les frontières morales et intérieures de la cité, qui séparent le bien du mal, le beau du laid, le vrai du faux et, plus généralement, les valeurs des anti-valeurs. Dans le cosmopolitisme, mondialisme et nihilisme sont aussi inséparables que systole et diastole.

Le cosmopolitisme ne justifie pas à proprement parler la « transgression individuelle », expression qui suppose des normes morales à transgresser, c’est un nihilisme qui récuse toutes les valeurs authentiques. La transgression individuelle est sans doute compatible avec le patriotisme, mais non le nihilisme.

Cette unité du cosmopolitisme sous ses deux faces, son envers et son endroit que sont le nihilisme et le mondialisme, est un fait de l’histoire des idées. C’est en outre une nécessité logique. Si l’on rejette l’identité nationale, on n’a aucun motif à être attaché à la souveraineté nationale qui a pour objet de la protéger. Si l’on rejette la souveraineté nationale, c’est qu’on ne se soucie pas de l’identité nationale.

Empire et cosmopolitisme
La généalogie du cosmopolitisme après Diogène est un phénomène vaste et complexe, dont le tableau est impressionnant. Il est indissociable depuis l’origine de l’idéal de l’empire, on peut même dire qu’il est à son principe, comme le montre l’admiration qu’Alexandre le grand, qui avait mal assimilé les leçons de son précepteur Aristote, témoignait à Diogène : « Si je n’étais pas Alexandre, je voudrais être Diogène. » L’empire, imperium en latin, est la forme institutionnelle qui répond à l’idéologie cosmopolitique. C’est en effet une autorité sans attaches qui s’impose aux sociétés particulières en effaçant les frontières qui les séparent et qui a vocation à englober l’humanité entière dans un État mondial. Il est dans l’essence de l’empire de s’opposer à la cité ou à la nation, forme moderne de la cité, autant qu’aux différences ethniques ou raciales. C’est ainsi que le saint-empire romain germanique avait pris comme patron l’Égyptien saint Maurice et que celui-ci avait fini par être représenté sous les traits d’un congoïde.

L’empire au sens strict n’est pas un simple agglomérat soumis à un seul sceptre, comme le furent les prétendus empires assyrien ou babylonien, l’empire mède fondé par Déjocès qui a précédé l’empire perse achéménide ou comme le seront bien plus tard les « empires coloniaux » de la France et des autres pays occidentaux. C’est une entité politique originale qui demande à tous les peuples qu’elle incorpore de reconnaître son autorité, son imperium, comme légitime, au-delà du simple rapport de forces, et qui a vocation à s’étendre à tous les peuples de la terre, justement parce qu’il tient son autorité comme la seule source du pouvoir légitime.

Le premier véritable empire fut l’empire perse achéménide fondé par Cyrus en -550. Alexandre ne l’a pas détruit, il s’en est emparé en en prenant la succession. Mais le zoroastrisme, religion des Grands Rois ou « rois des rois », ne leur avait jamais fourni le corpus idéologique qui aurait pu fonder cette autorité. Cyrus et ses successeurs n’avaient pas la théorie de leur pratique. En revanche, Alexandre, ses successeurs lagides et séleucides, et les empereurs romains à leur suite la trouveront dans le cosmopolitisme du cynisme et du stoïcisme.

Du cynisme au stoïcisme
C’est dans la cité d’Athènes, où il était un métèque, que Diogène le cynique a inventé le cosmopolitisme, en lui attribuant d’emblée une formule chimiquement pure. Bien qu’elle ait survécu sous son nom jusqu’à la fin de l’empire romain au Ve siècle ap. J.-C., l’école cynique proprement dite a perdu toute influence après la mort de Diogène et de ses disciples immédiats, et c’est par l’intermédiaire du stoïcisme de Zénon de Citium que le cosmopolitisme a prospéré et qu’il été transmis à la postérité et jusqu’à nous.

Zénon était disciple du cynique Cratès de Thèbes, lui-méme disciple de Diogène. Autant dire que le stoïcisme est en réalité une philosophie jumelle, et même un clone du cynisme. Zénon n’a fait que changer l’enseigne du cynisme, qui était trop lourde à porter. L’adjectif grec « kynikos », qui a donné cynique en français, signifie « canin », « qui se rapporte au chien », kyôn en grec. L’idéal que proclamaient les cyniques était le retour à la nature et ils se vantaient de vivre comme les chiens. Provocateur, Diogène se masturbait en public… On comprend qu’une telle philosophie pouvait difficilement prospérer sous ce nom, du moins dans la bonne société, et qu’il fallait qu’elle prît un déguisement. Elle est donc devenue le « stoïcisme », le stoïcien, « stôikos » en grec, tirant son nom du portique, « stoa », galerie à colonnade, où Zénon enseignait à ses disciples. La référence était nettement plus élégante… Le stoïcisme, c’est le cynisme en tenue de camouflage. La survivance résiduelle d’un cynisme canal historique a permis aux penseurs du stoïcisme d’effacer le souvenir des origines compromettantes de leur école.

À l’origine, la seconde école était tout aussi radicale que la première, qu’elle copiait à l’identique, puisque Zénon faisait notamment l’éloge de l’inceste et du cannibalisme… Mais ses héritiers ont détruit ses ouvrages les plus scandaleux et c’est une version édulcorée, dans laquelle le noyau anti-moral des origines était enveloppé dans une morale universelle désincarnée, tout en gardant son potentiel subversif latent, qu’elle est devenue l’idéologie officielle de l’empire. Presque tous les successeurs d’Alexandre de Macédoine, souverains des dynasties séleucide ou lagide, se déclarèrent stoïciens. Après eux, ce fut celle de l’empire romain, sous Marc Aurèle, surplombant le culte que le peuple continuait à rendre aux dieux.

Le stoïcisme est le plus grand succès de communication de l’histoire de la philosophie. Il faut dire que la réputation des hommes et des idées obéit à la loi de rétroaction positive, par l’effet de l’imitation et du conformisme, et de l’argument d’autorité qui en résulte, en sorte que, plus elle est élevée, plus elle a tendance le devenir, moins il est facile de la contester, plus il est avantageux de l’avaliser. La postérité n’est pas toujours le juge impartial de la réputation que l’on croit, loin de là ; il arrive souvent au contraire qu’elle véhicule indéfiniment des idées fausses et qu’elle favorise leur diffusion exponentielle. Le stoïcisme a profité ainsi d’une « cascade d’opinion », selon l’expression consacrée, et celle-ci a traversé les siècles en mettant quasiment à l’abri des critiques cette philosophie frelatée. Au dictionnaire des idées reçues, on associe celle-ci au sens courant qui en dérive et qui est ainsi défini dans le dictionnaire : « Courage pour supporter la douleur, le malheur, les privations… voir “héroîsme” ».

Le stoïcisme est donc devenu synonyme du courage pour supporter le fardeau des malheurs. Mais ce succès repose sur le mensonge et l’hypocrisie. L’indifférence aux coups du sort qui reste la pierre de touche des stoïciens et qu’ils ont hérités de Diogène et de Zénon est une attitude purement égoïste. Ce n’est pas pour rien que l’empereur Marc Aurèle a écrit des « Pensées pour moi-même » (le titre n’est pas de lui, mais il répond au contenu de l’ouvrage). Épictète célèbre l’amitié tout en nous expliquant que nous ne devons pas être affectés le moins du monde par les malheurs qui arrivent à notre ami. Le stoïcien ne doit pas non plus éprouver la moindre peine de la mort de son enfant. Ce que les stoïciens veulent nous faire prendre pour de la vertu n’est qu’une indifférence aux autres qui doit nous éviter la souffrance que pourrait nous causer la compassion ou l’amour que nous leur porterions. Il ne leur est jamais venu à l’idée d’aimer son prochain comme soi-même et cette pensée leur semblait même absurde et farfelue. Mais cela ne les empêchait pas de prêcher hypocritement le principe de l’amour universel ! Les stoïciens se drapaient dans de grands sentiments pour se mettre au dessus du commun des mortels en occultant leur égoïsme foncier, qui aboutissait à l’hypertrophie du moi : Sénèque affirmait ainsi, pensant visiblement à lui-même en toute modestie, que « le sage ne diffère de Dieu que par la durée ». Le stoïcisme est une escroquerie intellectuelle et morale. Il est incroyable que cette éthique en toc lui ait donné jusqu’à nous la plus belle des réputations. Et l’on voit d’où viennent les formules creuses de l’humanitarisme ou de la philanthropie qui sévissent aujourd’hui !

Le soi-disant « citoyen du monde » ne peut avoir une morale authentique puisqu’il renie la tradition et la révélation. C’est pourquoi le stoïcien professe en réalité, derrière la façade en stuc d’un discours prétentieux, un égoïsme et un utilitarisme qui sont aux antipodes de l’honnêteté morale.

En 212, l’édit de Caracalla a conféré la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’empire. Mais, déjà, un siècle plus tôt, le stoïcien Épictète soutenait que l’on ne devait pas dire : « Je suis athénien, ou je suis romain », mais : « Je suis un citoyen de l’univers ».

Résurgence du stoïcisme et du cosmopolitisme
L’« humanisme » de la Renaissance, au XVIe siècle, était lourd de tendances cosmopolites. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’on a donné leur nom à l’humanisme, à la Renaissance et au moyen âge, mais ces appellations étaient fort bien trouvées pour traduire les conceptions desdits humanistes. Bien qu’ils n’arrivassent pas à la cheville des grands penseurs de la scolastique médiévale comme saint Thomas d’Aquin ou le bienheureux Jean Duns Scot, et de tant d’autres, ils faisaient profession de mépriser les siècles qui les avaient précédés, marqués selon eux par l’obscurantisme. Ils voulaient rompre avec le passé immédiat, condamné comme un âge sombre, et ils prétendaient faire renaître la civilisation en se réclamant d’un passé lointain idéalisé, l’Antiquité gréco-romaine.

Ce parti pris emportait deux conséquences. Premièrement, une prise de distance avec la religion de leurs pères, puisque ce « moyen âge » ainsi vilipendé avait été la grande époque de la foi et de la pensée chrétiennes. alors que l’Antiquité avait été païenne. Deuxièmement, une rupture avec la tradition, qui n’existe que dans la continuité de la transmission, de génération en génération. L’admiration qu’ils vouaient aux Grecs et aux Romains, dont ils ne descendaient pas, en dehors de ceux d’Italie, leur faisait manquer de respect envers leurs ancêtres. Les conditions étaient ainsi réunies pour une résurgence du cosmopolitisme.

C’était pire pour les humanistes français. Grand lecteur des auteurs antiques, ils ne pouvaient ignorer que les armées romaines de Jules César, « Le Coupé » (les Romains portaient les mêmes surnoms que les gens de la pègre moderne), avaient tué un million d’hommes, de femmes et d’enfants pendant la guerre des Gaules, de -58 à -51, ce qui est l’équivalent de six millions de morts pour la France d’aujourd’hui, six fois plus peuplée. César s’en était vanté lui-même dans La Guerre des Gaules. On voit que l’humanisme des Romains était tout relatif. De plus, une bonne partie des victimes de la barbarie romaine ont laissé après eux des enfants dont descendent les Français actuels, tout autant que ceux du XVIe siècle. Le populicide gaulois (moins courant, ce mot est plus français que « génocide ») était dans l’angle mort, si l’on peut dire, des humanistes du XVIe siècle et il l’est resté jusqu’aujourd’hui dans l’histoire officielle. Il est pourtant moralement contestable d’éprouver une sympathie sans bornes pour ceux qui ont exterminé ses ancêtres.

Ce n’est pas forcer le trait que d’accuser les « humanistes » français d’un double reniement : celui de « nos ancêtres les chrétiens » qui avaient vécu après Clovis, mais aussi celui de « nos ancêtres les Gaulois » qui avaient vécu avant Vercingétorix.

Les « humanistes » prétendaient aussi découvrir la nature humaine, comme si on les avait attendus pour cela. Il était périlleux de se réclamer de l’« homme » in abstracto, puisque c’était, d’une part, se détourner de Dieu, d’autre part, s’affranchir des attaches avec la cité ou la nation, comme si l’on était un « citoyen du monde ».

Le grand historien médiéviste Jacques Heers a écrit un ouvrage magnifique intitulé Pour en finir avec le moyen âge. Le corollaire du théorème de Heers, c’est qu’il faut en finir avec la PRH, la prétendue Renaissance humaniste, qui a été en réalité une rechute dans le stoïcisme et le cosmopolitisme. Le véritable humanisme est incompatible avec le cosmopolitisme et il est donc tout le contraire de la pensée des soi-disant « humanistes » de la prétendue « Renaissance ».

Née au XVIe siècle, la RPR, religion prétendue réformée – comme on l’appelait sous Louis XIV – de l’Allemand Martin Luther et du Français Jean Cauvin, dit Calvin, n’avait en elle-même rien de cosmopolite, au contraire, puisqu’elle a abouti au puritanisme, donc à un puissant renforcement de la contrainte morale ; et aussi au principe pas très catholique, imposé par les circonstances, « cujus regio, ejus religio », qui voulait que les sujets d’un roi adoptassent obligatoirement la même religion que celui-ci, principe qui ajoutait des frontières religieuses aux frontières politiques, à l’encontre du cosmopolitisme, et qui emportait de facto la dislocation du saint-empire romain germanique, constituant ainsi les prémices du nationalisme du XIXe siècle. Pourtant, le « sola Scriptura », seulement l’Écriture, le principe du libre examen et le rejet du Magistère de l’Église, et même de tout magistère, qu’ils impliquaient sapaient la tradition, au moins dans le domaine de la foi. De plus, en dépit des proclamations antijuives de Luther, les protestants sont revenus à l’Ancien Testament, la Bible hébraïque – allant même jusqu’à exclure du canon les livres deutérocanoniques parce qu’ils étaient écrits en grec et non en hébreu –, dont ils faisaient souvent une lecture littérale, ce qui a poussé beaucoup d’entre eux à vouloir s’identifier au peuple israélite de l’Antiquité, avec lequel ils n’avaient pourtant aucun lien charnel, et ce qui les amenait, sinon à renier leurs ancêtres, du moins à prendre leurs distances avec eux, en dissociant la culture de la nature. Parallèlement, certains « humanistes », comme l’Allemand Jean Reuchlin et l’Italien Jean Pic de La Mirandole, se sont abîmés dans les ténèbres et les délires de la cabale, sans même s’apercevoir que celle-ci tenait les seuls Juifs pour des « étincelles de la Divinité (Chekinah) » disséminées au milieu du fumier des non-Juifs (Goyim) – ce qui n’a pas empêché ces deux auteurs de jouir de la plus haute estime dans l’université. Il était pourtant difficile de déraisonner davantage et de s’éloigner autant de la tradition de l’Occident.

Refus de l’autorité, perte de la tradition, ces tendances du protestantisme, certes partielles, ont pu faire le lit des idées cosmopolites en créant un état social et un climat intellectuel favorable à la « libre-pensée », aimable dénomination de la pensée subversive, où elle pouvait prospérer. Érasme fut le personnage emblématique de cette liaison paradoxale et clandestine entre protestantisme et cosmopolitisme. Que l’on pense aussi à la protection accordée à Baruch Spinoza et à tant d’autres « libres-penseurs » par les Provinces-Unies des Pays-Bas, fer de lance de la réforme calviniste et simultanément foyer de la subversion de l’Occident lors de ce que Paul Hazard a appelé la « crise de la conscience européenne », au cours de la période cruciale qui va de 1680 à 1715 et qui a consommé la révolution dans les esprits avant qu’elle le fût dans les faits de 1789 à 1815.

Le retour à l’Antiquité gréco-latine s’est donc traduit par une résurgence du stoïcisme, que le christianisme, religion de l’Incarnation, avait relégué aux oubliettes en Occident. Érasme, rendu célèbre par un Éloge de la folie qui, sous couleur de satire, gommait la différence entre le normal et l’anormal, la raison et la déraison, se considérait comme un « citoyen du monde » et militait pour la paix universelle en déclarant : « Le monde entier est notre patrie à tous ». Que l’on songe aussi par exemple au « Fais ce que vouldras » de l’abbaye de Thélème imaginée par François Rabelais, maître ès sarcasmes à visée subversive.

L’idéal du retour à la nature qui était resté latent dans le stoïcisme s’est combiné à la théologie de l’hérésiarque Pélage, qui niait le péché originel, pour donner naissance, chez Michel de Montaigne, au « bon sauvage », personnage mythique qui a fait florès. Le même Montaigne écrivait par exemple : « Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul », formule typique des sarcasmes de désacralisation dont les cosmopolites font aujourd’hui un usage immodéré. Son ami intime Étienne de La Boétie a proclamé, dans son Discours de la servitude volontaire : « Comment douter que nous ne soyons tous naturellement libres, puisque nous sommes tous égaux ? ». Il en concluait que tout pouvoir était illégitime et tyrannique. En Espagne, Michel de Cervantès a tourné en dérision l’idéal de la chevalerie et les valeurs guerrières dans son fameux Don Quichotte.

C’est bien parce que la culture universitaire française est imprégnée d’idéologie cosmopolite qu’elle a porté aux nues ces deux auteurs illisibles que sont Rabelais et Montaigne, en attribuant plus de poids à la puissance subversive des leurs ouvrages qu’à leur qualité littéraire intrinsèque et en ne craignant pas de les mettre au niveau de ces géants des lettres que furent les grands auteurs classiques, tels Racine ou Pascal, dans un éclectisme absurde.

Le retour à la nature a aussi inspiré l’axiome « Deus sive natura » (Dieu, c’est-à-dire la nature) énoncé un siècle plus tard par Baruch Spinoza, panthéiste et professeur d’immoralité.

Le stoïcisme a inspiré le jus gentium, « droit des gens » (des nations), lequel fut à l’origine des « droits de l’homme » et du « droit international ». Aux XVIe et XVIIe siècles, le droit des gens a abouti à la théorie du « droit naturel » moderne, coupé de la tradition, inventée par les dominicains et les jésuites espagnols de l’école de Salamanque (Francisco de Vitoria, Francisco Suárez…) et reprise par Hugo De Groot, dit Grotius, ainsi que par Samuel von Pufendorf.

Au XVIIIe siècle, Charles-Irénée, abbé de Saint-Pierre, proposa, dans son Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, une fédération européenne qui effacerait les nations. Le cosmopolitisme s’est aussi nourri de la théorie de l’état de nature de John Locke et il a été célébré par les idéologues de la révolution, les soi-disant « Lumières » françaises comme Voltaire, avec la caution du philosophe allemand Emmanuel Kant, auteur en 1784 d’une dissertation intitulée Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitiqueweltbürgerlicher »).

Marginalisation du cosmopolitisme
C’est pourtant le collectivisme de Jean-Jacques Rousseau, théoricien du contrat social et de la volonté générale, qui l’a emporté dans un premier temps lors de la révolution de 1789, laquelle a instauré une tyrannie jacobine, avec sa Terreur et ses Colonnes Infernales, avant que Karl Marx prenne le relais au XIXe siècle et que ses idées communistes finissent par s’imposer dans le sang à la moitié du monde au cours du XXe siècle.

Au XIXe siècle, l’essor concomitant du nationalisme, du socialisme et du libéralisme laissait peu de champ au cosmopolitisme. Le nationalisme lui était opposé par définition. Le socialisme aussi, dans son principe, quoique le fonds commun qu’il partageait avec lui comportât des virtualités d’hybridation qui se sont surtout manifestées au siècle suivant dans la social-démocratie, laquelle était aussi mâtinée de libéralisme.

Le cas de celui-ci est plus complexe. Dans son principe, le libéralisme n’est pas cosmopolite puisqu’il défend la liberté individuelle, laquelle est héritée de la tradition, avec le droit de propriété. Il en résulte, primo, qu’il légitime de grandes inégalités, ce qui rend difficile de le ramener à une expression de l’utopie égalitaire, secundo, qu’il se rattache au moins en partie à la tradition, tertio, qu’il défend des valeurs authentiques et qu’il n’est donc nullement nihiliste. De plus, les libéraux sont fondamentalement pour la concurrence des États et ne sauraient donc se rallier à l’idéal utopique d’un État mondial.

Pour autant, il est vrai que le libéralisme classique en tient pour la liberté absolue des échanges, qu’il s’oppose à toute forme de barrières douanières et de protectionnisme, et que c’est un point de convergence avec le cosmopolitisme.

Le national-libéralisme, qui peut se réclamer de Frédéric List, ne tombe pas dans ce travers.

Le courant libéral est très divers. Friedrich August von Hayek, après Edmund Burke, se réclamait de la tradition et il est allé jusqu’à dire que le libéralisme était plutôt un « familialisme » qu’un individualisme.

En revanche, le courant qui mène de Milton Friedman aux « libertariens » tels que Murray Rothbard et Aynd Rand est essentiellement cosmopolite dans son ensemble, à quelques exceptions près, comme Hans-Hermann Hoppe.

Il faut se souvenir qu’aux États-Unis le mot « liberalism » est à peu près synonyme de gauche et n’a rien à voir avec le libéralisme au sens français du terme. De plus, c’est une dérive sémantique qui consiste à parler de « libéraux-libertaires » pour désigner un courant qui fait partie de la mouvance cosmopolite et qui n’a rien à voir avec le libéralisme proprement dit.

Si le collectivisme est anticosmopolite, il ne peut jamais être vraiment nationaliste en raison de son socle idéologique, qui est l’utopie égalitaire. Réciproquement, si le cosmopolitisme est en effet anti-collectiviste, il ne peut jamais être vraiment libéral, pour la même raison. Liberté et propriété sont des moyens d’expression de l’identité des individus et elles sont donc dans leur essence contraires au dogme anti-identitaire qui constitue le cosmopolitisme.

Permanence du courant cosmopolite
Les idées cosmopolites n’avaient pas pour autant disparu au XIXe siècle. Elles s’étaient réfugiées dans l’art et la littérature, où elles ont été illustrées par Victor Hugo, adversaire de la peine de mort et partisan des États-Unis d’Europe ; par Gustave Flaubert (« Je ne suis pas plus français que chinois et l’idée de la patrie m’a toujours paru bornée et d’une stupidité féroce »), par Charles Baudelaire, tenté par l’inceste et par la drogue, en Allemagne par Heinrich Heine, qui se voulait le champion du cosmopolitisme et prophétisait son avènement, et par une bonne partie des auteurs romantiques, portés sur les « fleurs du mal », le culte de Satan et les fantasmes de la gnose, bien que ce courant sentimental fût hétérogène et qu’il eût simultanément, chez d’autres auteurs, arboré les couleurs du nationalisme et appelé à la renaissance nationale des peuples d’Occident. Ensuite, la beauté du style et la magie de la musique ont été mises au service du sordide, avec le naturalisme de Guy de Maupassant et le vérisme de Giacomo Puccini. Dans un autre genre, la perversité a été célébrée dans un style alambiqué par André Gide et Marcel Proust (on observe à partir de Paul Verlaine et d’Arthur Rimbaud, au demeurant poètes de grand talent, une prolifération d’écrivains homosexuels, alors qu’il n’y en avait pour ainsi dire aucun avant eux). Cependant, le sommet de la littérature dégénérée cosmopolite a été atteint avec Ulysse de l’Irlandais James Joyce (1922), parodie de l’épopée d’Homère qui élève la caricature et le ricanement au rang des beaux-arts pour subvertir toute tradition, tout héritage, toute identité. C’était indépassable. Les auteurs du « Nouveau Roman » ont pourtant essayé de faire pire en supprimant l’action et les personnages, mais ils n’avaient pas le talent pour donner de la vie à leur néant littéraire.

L’impressionnisme, sous-art qui a affranchi la peinture des règles classiques sans en édicter d’autres, a ouvert la voie à toutes les dérives, tant il est vrai que la beauté, dans l’art, naît du sentiment de la difficulté surmontée. Ce fut ensuite le cubisme de Pablo Picasso, l’expressionnisme d’Ernst Nolte ou de Vassily Kandinsky, et l’art dégénéré en général, dit « art moderne », dérision de l’art, anti-art qui érige la laideur en beauté. Le non-art dégénéré dit « art contemporain », prétendu « art conceptuel » qui fait litière de la beauté et se complaît dans le ridicule ou dans l’immonde, depuis Marcel Duchamp et son « ready-made » (objet manufacturé), qui a fait pour les gogos d’un urinoir une œuvre d’art, et ses nombreux successeurs, jusqu’à Jeff Koons ou Paul McCarthy.

Ce fut encore la musique dégénérée aux prétentions intellectuelles, atonale, « dodécaphonique » ou « sérielle », d’Arnold Schoenberg, Alban Berg, Anton von Webern, Karlheinz Stockhausen et Pierre Boulez, qui avait été préparée par les dissonances de Bela Bartok et d’Igor Stravinski, le scandaleux auteur du massacre du printemps… Le raz-de-marée de la subversion a même atteint l’art de la table – ce qui dénote dans le progrès général de la gastronomie française qui a eu lieu pour le grand bénéfice des gourmets depuis plusieurs générations – grâce à l’invention de la « cuisine moléculaire », en vérité chimique, cuisine déstructurée qui a fait table rase, c’est le cas de le dire, de la tradition culinaire et a mis de l’idéologie dans nos assiettes, escroquerie alimentaire indigeste qui a été illustrée, si l’on peut dire, par Ferran Adrià et Thierry Marx, à seule fin, apparemment, de prouver que le cosmopolitisme peut nous rendre malade…

De même, dans un autre domaine, « l’architecture fonctionnelle » a éliminé la beauté au nom de l’utilité, avec la Charte d’Athènes de Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier, qui a eu une immense postérité.

On n’oubliera pas le dadaïsme de Samuel Rosenstock, dit Tristan Tzara, le surréalisme d’André Breton, la célébration des arts primitifs ou « premiers », d’André Breton à André Malraux et Jacques Chirac.

Le phénomène de loin le plus destructeur, cependant, fut la vogue de la danse et de la musique nègres popularisées par Joséphine Baker ou Louis Armstrong et qui a été suivie, une génération après, par la quasi-élimination de la variété française, remplacée par le « rock and roll » et ses succédanés, sachant que la musique nègre importée des États-Unis d’Amérique, qui est centrée sur le rythme, est obscène de part en part et qu’elle déstructure la personnalité en affranchissant le cerveau reptilien de la tutelle des deux cerveaux supérieurs, selon l’analyse de Paul MacLean.

Hybris de la raison
Les idées cosmopolites sont toujours restées prégnantes dans la pensée philosophique, sous l’aura du stoïcisme, autant du moins que le christianisme, religion de l’Incarnation, n’a pas tenue celle-ci en tutelle. Depuis la « Renaissance », le virus du cosmopolitisme imprègne la philosophie occidentale, qui est infectée par l’hybris de la raison, coupée de la tradition, de la religion et de la révélation, et par là-même des postulats légitimes qui découlent de celles-ci.

On peut suivre le fil conducteur qui mène de Diogène à Kant. Le philosophe a tendance à se juger infiniment supérieur au vulgum pecus, qui est, à ses yeux, dépourvu d’intelligence et bourré de préjugés contraires à la raison. Il est donc tenté de céder aux vertiges du cosmopolitisme, de se considérer comme un « citoyen du monde » en s’exonérant des devoirs et des traditions de la cité, quand il refuse que la philosophie soit ancilla theologiae, servante de la théologie, et quand il ne veut pas reconnaître, avec Edmund Burke, qu’il y a des préjugés légitimes et que la raison livrée à elle-même devient folle si elle travestit ses postulats pour en faire de fallacieuses évidences.

Le vertige de la raison propre à la philosophie, depuis qu’elle s’est séparée de la religion chez les Grecs de l’Ionie, sujets de l’empire perse achéménide au VIe av. J.-C., peut conduire à la gnose. Mot qui vient du grec gnôsis, connaissance, employé ici de manière inhabituelle sans génitif, non pas connaissance de quelque chose, mais connaissance en soi, pour désigner un savoir absolu, dont la possession serait la condition nécessaire et suffisante pour accéder au salut, et qui est opposé à pistis, la foi, laquelle implique la volonté d’accepter une croyance révélée, ou tout au moins extérieure à l’individu. La gnose, née sous l’influence du zoroastrisme, mais détachée de celui-ci, a été l’aiguillon d’un courant philosophique qui a entretenu une aspiration récurrente au cosmopolitisme. Après les cathares, la France a connu les Frères du libre esprit, les Rose-Croix, enfin les hauts grades de la franc-maçonnerie, véhicules de la gnose dont il ne faut pas sous-estimer l’influence.

Les ténors de la subversion masquée
Le saint-simonisme, doctrine de Claude-Henri de Saint-Simon, est à l’origine du socialisme, mais il avait des aspects cosmopolites, puisque son fondateur réclamait la formation d’une fédération européenne et que, pour lui, le progrès de l’industrie devait avoir pour effet d’effacer les frontières entre les peuples. Son disciple Auguste Comte, fondateur du « positivisme », a voulu être le prophète d’une « religion de l’humanité », sans acception de peuple ou de nation. La « philanthropie » dont ils se réclamaient l’un et l’autre a servi ensuite d’étiquette commode, jusqu’à nos jours, pour travestir les idées cosmopolites sous le manteau de la compassion universelle.

Sont venus ensuite deux ténors de la subversion masquée, dont la qualité littéraire a fait croire à la profondeur philosophique et dont la valeur intrinsèque est inversement proportionnelle à la réputation ; ce furent Frédéric Nietzsche et Henri Bergson (dont le père était né Bereksohn), au demeurant fort différents l’un de l’autre. Le premier, Nietzsche, a professé paradoxalement, dans le fracas d’un discours grandiloquent et captieux sur la « volonté de puissance » et le « surhomme », un nihilisme radical qui conduisait à la négation de la tradition, de la religion et de toutes les valeurs. Le second, Bergson, disciple d’Auguste Comte dont il avait adopté la « religion de l’humanité » tout en se faisant passer pour chrétien, a distillé les idées cosmopolites dans un discours superficiel et séduisant, antiscientifique et sentimental, sur un imaginaire « élan vital », pour alimenter la propagande pacifiste et appeler à une « morale ouverte » (sic), en vue de la création d’une humanité nouvelle au sein de laquelle les anciens peuples se seraient noyés, ainsi qu’à une « société ouverte » régie par le droit naturel, opposée aux « sociétés closes » constituées par les vieilles nations, débarrassée des traditions et dépourvue d’identité, afin d’en finir avec les sociétés particulières, ce qui a fourni un socle doctrinal à la création de la SDN (Société des nations) prévue par le président des États-Unis Woodrow Wilson dans ses « quatorze points », embryon de l’État mondial dont rêvent les cosmopolites, soi-disant « citoyens du monde ».

Progressisme et cosmopolitisme
La notion de progrès n’avait à l’origine pas le moindre rapport avec le cosmopolitisme. Le rêve de l’état de nature et l’apologie du bon sauvage s’y opposaient. La « révolution » réclamée par les cosmopolites devait donc trouver pour eux son sens premier, soit le retour à l’état originel, encore que celui-ci fût imaginaire et que ce retour fût utopique. Mais, au XIXe siècle, le progrès scientifique, technique, industriel et économique devint tel que seuls des esprits passéistes et bornés pouvaient encore en nier l’étendue et les avantages. On pourrait appeler justement « progressisme » la croyance naïve que le progrès matériel, conjugué à celui des connaissances, entraînerait nécessairement le progrès moral et spirituel de l’homme, celui des lettres et des arts, de la culture et de la civilisation. Ainsi défini, le progressisme n’a rien à voir avec la gauche en général ni avec le cosmopolitisme en particulier. Mais les forces idéologiques ont une stratégie et s’emploient à accaparer des thèmes porteurs pour séduire les masses. Le marxisme a donc inventé un « sens de l’histoire », déterminisme historique qui devait conduire inéluctablement à la victoire du communisme, à la société sans classes et au dépérissement de l’État. On sait ce qui est advenu. Les cosmopolites, à leur tour, se sont réclamés de ce prétendu sens de l’histoire en lui donnant un aboutissement différent.

C’est ainsi que le progressisme est devenu synonyme de gauche, d’autant plus aisément qu’une bonne partie de la droite renâclait bêtement à reconnaître l’évidence et les bienfaits du progrès. Les réactionnaires ne sont pas tous républicains. Initialement, on a donc appelé « progressistes » les gens de gauche qui n’adhéraient pas ouvertement au communisme, mais qui en étaient proches, autrement dit les « compagnons de route ». Aujourd’hui, le progressisme est devenu un terme de propagande pour désigner la mouvance cosmopolite. L’argument sous-jacent est que le progrès moral de l’humanité qui doit nécessairement s’accomplir, malgré les résistances des hommes du passé qui constituent la droite et l’extrême droite, impliquerait l’effacement des traditions et des frontières, la consolidation d’un « État de droit » qui garantirait la « non-discrimination » comme faisant partie des « droits de l’homme », et la constitution d’une « gouvernance mondiale ».

Les cosmopolites, soi-disant progressistes, se sont employés très logiquement à accaparer la modernité. Par un détournement de sens, alors que « moderne » est simplement synonyme d’actuel ou de contemporain, ils ont décrété qu’était moderne seulement ce qui s’opposait aux traditions et à l’identité, à l’opposé de la sagesse et à la modestie de bon aloi qui remontait à Bernard de Chartres, au XIIe siècle : « Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants ». Il n’y a de science, par exemple, qu’en raison des découvertes faites par les génies qui nous ont précédés. Dans cette perspective qu’il faut bien qualifier d’inepte, la néophilie a fait des ravages : art moderne, art contemporain, et la série des « nouveaux » : nouveau théâtre, nouveau roman, nouvelle cuisine, puis, après 1968, nouveaux philosophes, nouveaux économistes, nouvelle droite… La néophilie est un symptôme de la pathologie cosmopolite.

De même que l’expression « citoyen du monde » est une subreption dans les termes, puisqu’on ne peut être citoyen que d’une cité, qu’il n’y a pas de cité sans frontières et que le monde n’est donc pas une cité, puisqu’il n’a pas de frontières, le projet utopique de « gouvernement mondial » ou d’« État mondial » est essentiellement négatif et vise en réalité à réduire à néant les États particuliers qui représentent une nation, homologue moderne de la cité antique, remplacés par un « État de droit » (Rechtsstaat) où le pouvoir est exercé par les juges et les techniciens, les hommes politiques étant cantonnés dans un rôle de figuration, sous la tutelle de la superstructure mondiale, qui dicte ses politiques et ses lois, par exemple avec l’OMS ou le GIEC.

Victoire métapolitique du cosmopolitisme
Ces idées avaient aussi continué leur chemin dans la philosophie du droit, avec le concept de Rechtsstaat, ou « État de droit », développé par les jurisconsultes allemands du XIXe siècle, qui, sous prétexte de protéger la liberté individuelle, évacuaient la souveraineté nationale au profit du gouvernement des juges et d’une théocratie laïcisée sans frontières.

Mais encore, en lisière de la vie politique, avec l’« abolitionnisme » de Victor Schoelcher – lequel, au lieu d’une évolution calme et progressive vers la libération de tous, exigeait une rupture brutale qui a partout entraîné une catastrophe économique et sociale dont les esclaves affranchis ont été les premières victimes –, préfiguration du « mouvement des droits civiques » de Martin Luther King aux États-Unis et de la « révolution arc-en-ciel » de Nelson Mandela en Afrique du sud.

Et aussi dans la vie religieuse, avec la théologie moderniste d’Alfred Loisy, qui a ouvert une brèche dans l’autorité du Magistère et de la tradition en général, la théologie crypto-panthéiste de la « noosphère » et du « point Oméga » conçue par le père jésuite Pierre Teilhard de Chardin, puis le concile Vatican II (1965) et la réforme liturgique du pape Paul VI (1969), qui ont consacré le rejet de la tradition et la promotion du relativisme au sein de l’Église catholique au nom de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux.

Le mouvement pacifiste, bien qu’il fût instrumentalisé par les communistes, a lui aussi posé les bases de la future victoire métapolitique du cosmopolitisme, qui devait se substituer à l’« internationalisme » de Marx, lequel consacrait en réalité l’existence des nations, ainsi que Joseph Staline l’avait bien compris et comme l’avait montré la formation de l’URSS.

L’idéal de la « construction européenne » propagé par Richard Coudenhove-Kalergi et Jean Monnet a fortement contribué, après la seconde guerre mondiale, à miner le sentiment national et l’amour de la patrie, faisant ainsi le lit du cosmopolitisme. Aujourd’hui, l’Union européenne est devenue une machine à imposer l’ordre cosmopolite aux pays membres, comme l’a prouvé éloquemment la réaction des institutions européennes contre la loi hongroise qui interdisait de faire de la propagande homosexuelle aux enfants.

Le facteur le plus important fut cependant le récit manichéen de l’histoire de la seconde guerre mondiale, présentée comme la victoire du Bien sur le Mal, avec la diabolisation d’Adolf Hitler, du racisme, du « nazisme » et du fascisme en général, complétée par l’amalgame de ces courants de la gauche révolutionnaire avec la droite ou l’extrême droite et l’institution de la religion de la Choah, religion officielle protégée aujourd’hui en France contre l’hérésie et le blasphème par la loi Gayssot (1990).

Révolution cosmopolite
Le cosmopolitisme a supplanté l’idéologie de Karl Marx, le marxisme, forme moderne du collectivisme, après la révolution de 1968, quand la gauche a basculé du second vers le premier. Ce bouleversement intellectuel et politique a été préparé par l’influence de la psychanalyse de Sigmund Freud, de l’anthropologie relativiste de Franz Boas, de la théorie pure du droit de Hans Kelsen, du structuralisme de Claude Lévi-Strauss – qui a même réussi à contaminer les mathématiques par l’entremise du groupe Bourbaki fondé par André Weil, dans la lignée de Georg Cantor –, de la sociologie relationnelle de Norbert Elias.

Il a été préparé aussi par l’« individualisme méthodologique » de Joseph Schumpeter, héritier du nominalisme de Guillaume d’Ockham, et qui, s’il n’est pas la simple évidence que la société est une collection d’individus, signifie que les phénomènes sociaux ne doivent pas être considérés en eux-mêmes, comme des structures ou des systèmes, ce qui peut s’appliquer à la rigueur dans certains domaines, notamment en économie, avec la théorie de l’équilibre général, mais qui ne saurait être étendu à tous, ainsi que l’existence de la linguistique comme discipline scientifique suffirait à le démontrer.

Il a été préparé encore par l’essor de courants sociaux comme le mouvement « hippie » ou le mouvement « New Age » (Nouvel Âge), par la vogue des spiritualités exotiques, par la montée en puissance de nouvelles thématiques comme l’autogestion et l’écologie.

Enfin, par des formes transitoires entre les deux pôles de la gauche, collectivisme et cosmopolitisme, comme le « socialisme autogestionnaire », de Josip Broz Tito à Edmond Maire et Benny Lévy, comme le « marxisme culturel » de l’école de Francfort, avec Max Horkheimer, Theodor Adorno, Herbert Marcuse et Jürgen Habermas, promoteur d’un « patriotisme constitutionnel » qui est la négation du patriotisme authentique, le « situationnisme » et le « conseillisme » de Guy Debord, ou comme l’« écologie sociale » et le « communalisme » de Murray Bookchin, comme l’écologisme « pastèque », vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur, qui a permis la reconversion des marxistes extrémistes d’obédience trotskiste, orphelins de la « dictature du prolétariat »…

Le cosmopolitisme, idéologie dominante mondiale
Le cosmopolitisme est devenu l’idéologie dominante mondiale en intégrant notamment l’écologisme, le féminisme et l’homosexualisme comme des composantes de son système de pensée et en s’appuyant aujourd’hui philosophiquement sur l’existentialisme de Jean-Paul Sartre et sur le déconstructionnisme de Jacques Derrida, nouveaux Diogène qui, avec le renfort de quelques autres auteurs français comme Gilles Deleuze ou Michel Foucault, ont donné naissance aux États-Unis à la « French Theory » (Théorie française), dont dérivent des formes radicalisées comme la « théorie du genre » de Judith Butler, la « Justice sociale critique », le « wokisme » (mouvement de l’éveil), la « cancel culture » (mouvance de l’anathème) et le « décolonialisme », diffusées et imposées non seulement par des universitaires, mais aussi par des groupes violents d’extrême gauche tels que les « Black Blocks », les « No Borders » (sans frontières) ou les « Antifas » (soi-disant antifascistes, alors qu’ils combattent la droite, et que le fascisme était de gauche).

La doctrine de Sartre, pour laquelle « l’existence précède l’essence », a donné enfin au vieux cosmopolitisme de Diogène et Zénon la métaphysique dont il avait toujours manqué. En dotant l’individu d’une liberté inconditionnée, Jean-Paul Sartre allait à l’encontre de la doctrine de Karl Marx, pour qui « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est au contraire leur être social qui détermine leur conscience ». Le philosophe marxiste Georg Lukács en a conclu à bon droit que l’existentialisme était incompatible avec le marxisme. Et, en effet, ils campent sur les deux versants opposés de l’utopie égalitaire.

Existentialisme et déconstructionnisme ont été appuyés par un foisonnement de théories adjacentes, qui aboutissent au cosmopolitisme par des voies diverses, telles que la « société ouverte » de Karl Popper, à cet égard disciple de Bergson, concept popularisé par George Soros, le « postmodernisme » de Jean-François Lyotard, le « nomadisme » et le « tribalisme » chers à Michel Maffesoli, le « convivialisme » d’Ivan Illich, le « principe de responsabilité » de Hans Jonas, l’« écologie profonde » d’Arne Næss, l’« hypothèse Gaïa » de James Lovelock, qui prend la Terre pour un être vivant, l’« égoïsme rationnel » d’Alissa Rosenbaum, dite Ayn Rand, papesse des « libertariens », qui rivalisait dans ce rôle avec Murray Rothbard, l’« altruisme efficace » de William Crouch, dit William MacAskill, et de Peter Singer, plus fort encore, l’antispécisme, qui élargit le concept d’antiracisme, du même Peter Singer, ardent défenseur de la cause animale et qui justifie paradoxalement l’avortement et l’infanticide, le « multispécisme » de W. Ford Doolittle, qui invite l’homme à se considérer comme le composant d’un être multispécifique complexe, largement microbien…, la théorie du « développement personnel » de Jonathan Lehmann ou Jordan Peterson – qu’on pourrait surnommer « le stoïcisme pour les nuls » –, la « créolisation » d’Edouard Glissant chère à Jean-Luc Mélenchon, ou encore la « défense sociale nouvelle » de Marc Ancel, qui voulait rééduquer le criminel au lieu de le punir… et surtout la religion de la Shoah de Claude Lanzmann, qui fut lui-même proche de Jean-Paul Sartre et de son égérie Simone de Beauvoir, religion nouvelle qui surplombe le christianisme, religion du Golgotha, depuis que le pape Jean-Paul II a ordonné aux carmélites de déguerpir du camp d’Auschwitz pour aller prier ailleurs.

Le tout forme une constellation idéologique qui, en dépit de sa diversité apparente et de ses contradictions internes, provient en dernière analyse d’une seule et même source, qui n’est autre que la pensée de Diogène le cynique et son idée centrale d’abolir les lois et traditions de la cité, en même temps que les frontières de toute nature. Le cosmopolitisme a beau être multiforme, il est un dans son essence. On peut écrire à son propos : au commencement était la parole de Diogène.

Pour autant, on ne doit pas sous-estimer les contradictions du cosmopolitisme et surtout celles de la mouvance idéologique qui en est issue. Elles résultent essentiellement du fait que la cible est l’homme occidental de race caucasoïde et de sexe masculin. Ainsi, premièrement, la sympathie de principe des « islamo-gauchistes » pour les immigrés mahométans leur fait accepter bien des pratiques, par exemple le voile imposé aux femmes, qui heurtent l’égalitarisme et le féminisme des cosmopolites orthodoxes. Deuxièmement, l’exaltation de la race, en fait essentiellement de la race congoïde, par haine des caucasoïdes, ou celle des minorités ethniques, qui se dressent contre la majorité, de culture occidentale, sont contraires à la négation de l’identité individuelle ou collective qui est le fond de la pensée cosmopolite. Où l’on voit que la praxis de l’idéologie cosmopolite s’accorde mal avec sa théorie.

Conditions sociales et économiques de l’avènement du cosmopolitisme
Si le mouvement des idées n’est nullement réductible à celui des conditions sociales et économiques, il va de soi qu’il n’en est pas indépendant et surtout que les idées ne peuvent agir en infusant dans les masses que lorsque les conditions en sont réunies. Le cosmopolitisme était l’idéologie officielle des royaumes macédoniens qui ont succédé à l’empire d’Alexandre, puis il est devenu celle de l’empire romain, mais il est douteux qu’il ait pénétré dans la population. Au contraire, celle-ci a accueilli le christianisme qui, pour être universaliste, est fondé sur le dogme de l’Incarnation et récuse le cosmopolitisme. Mais au XXe siècle, la décadence de la fonction souveraine et de la fonction guerrière a abouti à la formation d’une société matérialiste, société essentiellement unifonctionnelle qui a été un terrain favorable pour la diffusion des idées cosmopolites, lesquelles sont la négation des valeurs authentiques.

L’essor du cosmopolitisme à l’époque de la PRH avait été pour ainsi dire sans effet avant le XIXe siècle et n’a connu sa consécration qu’après la révolution de 1968 en France et dans le monde occidental, parce que nos pays étaient devenues des sociétés matérialistes et unifonctionnelles. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas la mondialisation qui est la cause du mondialisme en particulier ni du cosmopolitisme en général, la meilleure preuve en étant que l’essor des nationalismes a été postérieur aux grandes découvertes des Portugais et des Espagnols. C’est au contraire la proximité territoriale des races, peuples, ethnies ou communautés qui renforce le sentiment identitaire de chacune d’entre elles et peut conduire à des conflits sanglants, comme au Liban en 1975 ou en Yougoslavie en 1992.

Cependant, la poussée des idées cosmopolites dans la seconde moitié du XXe siècle a donné un résultat inédit : la formation de la superclasse mondiale (SCM), ainsi que l’a nommée Samuel Huntington. Cette classe sociale anationale est d’un type nouveau, bien que la « finance apatride et vagabonde » dont on parlait un siècle avant en ait été le germe. La mondialisation était nécessaire à la naissance de la SCM, mais c’est le cosmopolitisme qui lui a permis de se constituer et ici, contrairement aux fantasmes marxistes, c’est bien la « superstructure », le monde des idées, qui a changé la société, et non l’inverse. Ensuite, par un effet de rétroaction positive, la SCM est devenue le principal agent de la domination de l’idéologie cosmopolite. Son bras séculier est la superstructure mondiale, immense galaxie d’organisations dites abusivement « internationales » et de leurs satellites que sont les innombrables ONG, organisations « non gouvernementales ».

Dans chaque pays, la SCM est représentée par un groupe cosmopolite qui s’emploie à devenir une oligarchie, c’est-à-dire à confisquer le pouvoir en lui conservant les apparences trompeuses de la démocratie. L’oligarchie cosmopolite tient les media par l’argent et impose sa doxa par l’endoctrinement des masses. Elle a de nombreux relais. L’école et l’université sont acquises à l’idéologie cosmopolite et s’emploient avec acharnement à endoctriner enfants et jeunes adultes. La classe médiatique entretient la propagande cosmopolite par tous les canaux, journaux, radios, télévisions, grâce à une masse de journalistes qui ont adopté ce prêt-à-penser dans les écoles qui les ont formés, et déformés. Les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter censuraient à qui mieux mieux pour imposer la doxa du cosmopolitiquement correct quand le code pénal et la répression du délit d’opinion qu’il a institué en France depuis la loi Pleven du 1er juillet 1972 n’y suffisaient pas. Le rachat de Twitter, devenu X, par Elon Musk en 2022 et la prise de fonctions du président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump, en 2025, semblent heureusement y avoir mis un terme. Sur le mode mineur, quantité de comiques, souvent talentueux, comme Guy Bedos, et de chanteurs de variétés, comme Serge Gainsbourg ou Michel Polnareff, qui l’étaient moins, ont vulgarisé les idées cosmopolites et n’ont pas peu contribué à l’aliénation des masses, qui est la condition de leur soumission à l’oligarchie.

Si l’on peut affirmer, en schématisant, que le libéralisme est l’idéologie pour ainsi dire « naturelle » des commerçants et des industriels, le cosmopolitisme est l’idéologie naturelle des financiers. Au départ, le face-à-face entre le prêteur et l’emprunteur est un échange personnel concret, mais la finance n’a cessé d’aller vers toujours plus d’abstraction : titrisation des dettes, dématérialisation des titres, actions au porteur des sociétés « anonymes », développement exponentiel des marchés financiers ; il est loin le temps où, dans la Bourse du Palais Brongniart, à Paris, les agents de change criaient : « Je prends ». D’ailleurs, il n’y a plus d’agents de change. Jean-Charles Naouri, alors directeur de cabinet du ministre Beregovoy, les a liquidés entre 1984 et 1986 au nom du progrès. L’économie mondiale est devenue cet immense casino que dénonçait le grand économiste français Maurice Allais, prix Nobel de science économique.

Le paysan qui est propriétaire d’un champ, le rentier qui est propriétaire d’un immeuble, l’industriel qui est propriétaire d’une usine ou le commerçant qui est propriétaire d’un magasin ont un rapport avec un actif matériel bien localisé dans l’espace, dont ils tirent leur revenu. Le financier qui est propriétaire d’un actif immatériel pendant un laps de temps qui peut être inférieur à une seconde, dont la vie professionnelle est tournée vers la spéculation, ne trouve rien dans son métier qui l’attache à un lieu déterminé et encore moins à une patrie. Il parle anglais à longueur de temps et n’échange que par Internet avec des individus de tous pays et de toutes origines auxquels il est lié par une communauté d’intérêts. La finance est le centre névralgique de la superclasse mondiale.

Phénoménologie du cosmopolitisme
On ne naît pas cosmopolite, on le devient. En effet, quelles que soient ses prédispositions héréditaires, l’individu est soumis dans son enfance aux normes que ses parents lui inculquent et que la société lui impose. Il devient cosmopolite quand il s’en détache et qu’il les rejette, soit par simple opposition à la morale, soit plus largement par hostilité à la société tout entière.

On le devient quand on fait passer ses intérêts avant ses devoirs et quand on adopte des idées qui font litière de ceux-ci en permettant de satisfaire ceux-là. Les nécessités de l’ordre social font peser sur tout individu depuis son enfance de fortes contraintes issues des coutumes et des traditions, de la morale et de la religion, de la loi et du droit, qu’il a plus ou moins de mal à supporter et à accepter et contre lesquelles il arrive qu’il se révolte. Si l’on agit contrairement à la morale à laquelle on adhère en principe, on est en effet dans une situation inconfortable de dissonance cognitive. Souvent, on se bornera à se trouver des excuses pour ne pas avoir mauvaise conscience. On peut aussi bien rejeter la morale établie en se donnant une autre morale ou plutôt une anti-morale. C’est là que l’idéologie cosmopolite présente tout son pouvoir de séduction. Les délinquants et les libertins sont donc particulièrement tentés par le cosmopolitisme.

Le rejet des règles sociales peut aboutir à l’immoralité ou à la délinquance, c’est alors une pratique qui peut se passer de théorie, ou qui se contente d’une théorie rudimentaire. Mais la dissonance cognitive qui en résulte incite à aller plus loin. Le libertin, plus encore que le délinquant, a besoin d’une idéologie qui justifie son comportement antisocial. C’est alors qu’il est tenté par le cosmopolitisme.

Pour peu qu’il soit porté à raisonner, il fera sienne une anti-morale, ou plutôt une négation de la morale, conception où son comportement redeviendra légitime. L’homosexualité en est un cas d’école. Ainsi, dans une société chrétienne traditionnelle où l’homosexualité est considérée comme un péché par la religion, comme un vice par la morale, comme une maladie par la médecine, un homosexuel peut être tenté de se regrouper avec ses semblables pour former une contre-société, puis une coterie politique, qui contribuera au renversement des valeurs et donc au cosmopolitisme. On en voit le résultat aujourd’hui, avec la pénalisation de l’homophobie ou de la discrimination contre les homosexuels, le PACS, puis le mariage homosexuel, enfin puisque, « quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites », la théorie du genre, la promotion de la transsexualité et même, chose proprement incroyable, la pénalisation des parents qui tentent de remettre leurs enfants sur le chemin de la normalité et de la vertu.

L’Occident est une civilisation chrétienne et le christianisme tient l’homosexualité pour un péché grave. Condamnée juridiquement en principe sous l’Ancien Régime, elle était tolérée en pratique, sauf exceptions rarissimes, et elle est devenue parfaitement licite en France depuis 1791. Il ne devrait donc pas y avoir de question homosexuelle, dès lors que les relations intimes entre des individus adultes et consentants ne regardent qu’eux-mêmes. Pourtant, il s’est formé une coterie LGBT (c’est-à-dire « Lesbiennes, Gays [homosexuels masculins], Bisexuels, Transsexuels ou « Transgenres »), puissante dans le monde occidental et qui a mis le sujet à l’ordre du jour du débat politique. C’est l’un des instruments les plus influents de la propagande cosmopolite puisqu’elle s’attaque aux traditions, au mariage, à la famille, à la frontière qui sépare la vertu du vice, le normal de l’anormal – à tel point qu’il est aujourd’hui dangereux de qualifier un individu hétérosexuel de « normal ». La sexualité ou, plus précisément la manière dont celle-ci est encadrée par les normes, est un point névralgique de l’ordre social. La coterie LGBT est donc conduite tout naturellement à embrasser la totalité de l’idéologie cosmopolite en rejetant intégralement l’identité collective et les traditions.

Plus généralement, on peut conclure qu’un immoraliste est un cosmopolite en puissance.

La seconde voie qui mène au cosmopolitisme est celle du minoritaire. Il appartient à une minorité qui ne partage pas toutes les règles de la majorité et qui tient à préserver son identité particulière au sein de la société d’accueil. Le cosmopolitisme est donc ici la conclusion logique du refus de l’assimilation dont font preuve certains allogènes. L’identité du peuple sur le territoire duquel ils se sont installés n’étant pas la leur, ils ne peuvent pas ou ne veulent pas l’adopter. Ils ont alors deux possibilités. Soit ils s’isolent dans leur communauté avec ceux qui ont la même origine qu’eux, c’est le communautarisme, qui conduit forcément au séparatisme. Soit ils s’emploient à saper, à discréditer et à subvertir les traditions de ce peuple en se faisant les promoteurs du cosmopolitisme. Guy Scarpetta l’avoue cyniquement dans son Éloge du cosmopolitisme (1981). Les trois personnages qui se sont réclamés le plus ouvertement de l’idéologie cosmopolite en France depuis 1968, tout en proclamant leur détestation de l’identité nationale française, ont été Bernard-Henri Lévy, Guy Scarpetta et Daniel Cohn-Bendit, tous les trois juifs. Ce n’était évidemment pas le fait du hasard. Cependant, pour être juste, il faut ajouter aussitôt qu’il en va exactement de même pour quantité d’allogènes issus d’une immigration plus récente, qu’ils soient d’origine musulmane ou de race congoïde. Le Libanais Amin Maalouf, élu secrétaire perpétuel de l’Académie française en 2023, succédant dans cette fonction à deux autres allogènes, la Géorgienne Hélène Carrère d’Encausse (Hélène Zourabichvili) et le Juif Maurice Druon, en est un bon exemple, lui qui vante le « nomadisme » et qui tient les identités pour « meurtrières ».

C’est le rejet du sacré et la négation des valeurs qui fait le fond du cosmopolitisme. Or, l’opposition du sacré au profane est une donnée immédiate de la conscience humaine. Le projet nihiliste des cosmopolites ne peut donc infuser dans la société qu’en créant de nouvelles valeurs qui vont être opposées aux anciennes. Dès lors, la négation des valeurs passera par l’inversion des valeurs. Un exemple paradigmatique est la consécration du droit de l’avortement, qui est la mise à mort d’un enfant innocent et que l’on a voulu inscrire dans la constitution française, et qui n’a précédé en France que de quelques années l’abolition de la peine de mort pour les criminels.

Remarques
1. Le panorama du courant cosmopolite de Diogène à nos jours est si vaste qu’il peut sembler désespérant. On pourrait s’imaginer qu’il ne laisse pas de place dans le champ des idées occidentales pour une pensée anti-égalitaire, anticosmopolite, nationale, libérale et identitaire. Ce serait une lourde erreur. D’abord, bien sûr, parce que le christianisme occidental, hormis des hérésies marginales, est la religion de l’Incarnation et que son universalisme est résolument anticosmopolite. De ce fait, l’importance pratique du cosmopolitisme a toujours été en Occident, avant le XXe siècle, en proportion inverse de la place impressionnante qu’il avait acquis dans la théorie.

Ensuite, il va sans dire que Michel de Montaigne ou François Rabelais, que l’université a glorifiés, sont pourtant fort inférieurs à tous égards à Blaise Pascal, à Jean Racine et aux autres grand auteurs classiques du siècle suivant, qui ont fait un bien meilleur usage de la culture antique. Au XIXe siècle, non seulement la tentative de Victor Hugo de rivaliser avec Racine ou Corneille a été un fiasco, et la « bataille d’Hernani » un Waterloo littéraire, mais, pour ce qui est de la prose, il ne fut pas non plus l’égal de Joseph de Maistre ou François-René de Chateaubriand. Le XIXe siècle, qui fut tout sauf « stupide » – épithète que Léon Daudet a cru bon de lui accoler… stupidement – a redécouvert le génie du christianisme avec Chateaubriand, la beauté des cathédrales gothiques avec Eugène Viollet-Le-Duc et la grandeur de nos ancêtres les Gaulois avec Amédée Thierry et Henri Martin, qui seront suivis de Camille Jullian à la génération suivante.

De surcroît, l’on peut citer de nombreux penseurs importants qui se situent à l’opposé du cosmopolitisme et qui l’ont toujours emporté intellectuellement sur les promoteurs de celui-ci. Aux sept principaux philosophes qui ont défendu le cosmopolitisme ou qui lui ont au moins ouvert la voie, qui furent Diogène le cynique, Pélage de Bretagne, Guillaume d’Ockham, Baruch Spinoza, Emmanuel Kant, Frédéric Nietzsche et Jean-Paul Sartre, on peut opposer sept immenses penseurs qui ont affirmé la primauté de la volonté et montré la nature de l’identité : Aristote le Stagirite, saint Augustin d’Hippone, le bienheureux Jean Duns Scot, René Descartes, Guillaume Leibniz, Arthur Schopenhauer et Martin Heidegger.

Aux nombreux auteurs cosmopolites ou semi-cosmopolites cités ci-dessus, on peut opposer les dix maîtres à penser du national-libéralisme : Edmund Burke, Hippolyte Taine, Gustave Le Bon, Vilfredo Pareto, Ludwig von Mises, Carl Schmitt, Friedrich August von Hayek, Konrad Lorenz, Jacques Monod et Julien Freund. On pourrait allonger la liste en ajoutant notamment Frédéric Bastiat, Ernest Renan, Michel Villey ou Ivan Blot,  autres penseurs considérables.

En outre, les progrès de la science, en dépit des contre-feux allumés par le lyssenkisme et la pseudo-science, ont fait définitivement justice des mythes, des illusions et des mensonges qui sont inhérents à l’égalitarisme de la gauche sous toutes ses formes et au cosmopolitisme en particulier. Ils ont démontré que l’égalité n’était pas dans la nature, que l’identité de l’homme et celle de la société découlaient de leur fonds génétique et que la culture des nations occidentales avait une lointaine origine indo-européenne. Dans le domaine de la biologie, à la liste des glorieux anciens que furent Carl von Linné, Jean-Baptiste de Lamarck, Alfred Wallace, Charles Darwin, Grégoire Mendel, Hugo De Vries, Ronald Fisher…, on ajoutera d’autres noms fameux : Konrad Lorenz, Cyril Darlington, Carleton Coon, Jacques Monod, James Watson, Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Edward Wilson, Richard Dawkins… Dans le domaine de la psychologie, on citera Cyril Burt, William Shockley, Hans Eysenck, Pierre Debray-Ritzen, Arthur Jensen, Richard Lynn, John Philippe Rushton… Pour les études indo-européennes et l’histoire des religions, Georges Dumézil, André Dupont-Sommer, Geo Windengren, Jacques Duchesne-Guillemin, Marija Gimbutas, Jean Haudry…

2. Il est regrettable que la plupart des gens de la droite nationale ou populiste s’abstiennent encore d’appeler par son nom le cosmopolitisme qu’ils combattent, soit qu’ils ignorent le nom, soit qu’ils l’évitent. Ils disent à la place mondialisme, multiculturalisme, progressisme, droits-de-l’hommisme, libéralisme libertaire, ultra-libéralisme (sic) et plus récemment wokisme… ; c’est un festival d’approximations ou de contresens. Cette inintelligence du phénomène cosmopolite a de graves conséquences politiques, surtout en France, où les deux pôles de la gauche sont représentées par deux formations opposées, parrainées en 2022, l’une par Jean-Luc Mélenchon, plutôt collectiviste, l’autre par Emmanuel Macron, parfaitement cosmopolite. En réservant le nom de gauche à la première, ou en prétendant que le clivage droite-gauche a disparu, on méconnaît le fait que celui-ci s’est simplement métamorphosé et l’on risque de se fourvoyer dans de mauvaises stratégies politiques.

Il est vrai que les cosmopolites ont rarement la franchise de combattre sous leur bannière. Ils préfèrent presque toujours se réclamer de formules incapacitantes, comme l’antiracisme, la diversité, le vivre-ensemble, les droits de l’homme, le refus de l’exclusion, l’inclusion, la non-discrimination… Il y a quand même eu de notables exceptions. Jacques Derrida a signé un manifeste sans ambiguïtés : « Cosmopolites de tous les pays, encore un effort ! » ; Guy Scarpetta, un « Éloge du cosmopolitisme » ; Ulrich Beck, dans « Qu’est-ce que le cosmopolitisme ? », a fait l’apologie dudit concept, en se réclamant de Kant et de sa dissertation Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique. Bernard-Henri Lévy et Daniel Cohn-Bendit se sont eux aussi ouvertement réclamés du cosmopolitisme.

Il est pourtant nécessaire de désigner l’ennemi par son nom. Si l’on parle de « l’idéologie arc-en-ciel » ou de la « révolution arc-en-ciel » avec Martin Peltier, on manque de mot pour désigner ses partisans, on emprunte au vocabulaire de l’ennemi une expression valorisante, et surtout on présente ladite idéologie comme un phénomène moderne, en coupant, si l’on ose dire, le cosmopolitisme de ses racines. Si l’on parle de « mondialisme », on oublie la moitié de l’idéologie cosmopolitique, qui est également nihiliste, s’attaquant tout autant aux frontières intérieures et morales entre les valeurs et les anti-valeurs qu’aux frontières extérieures et physiques entre les peuples.

Beaucoup n’osent pas dénoncer le cosmopolitisme par crainte d’être traités d’« antisémites ». Sur le fond, cet amalgame n’est pas sérieux. Diogène n’était pas juif et les Israélites n’ont joué aucun rôle, à l’exception notable de Spinoza, dans la diffusion des idées cosmopolites avant le XIXe siècle. Certes, aujourd’hui, de nombreux Juifs défendent ces idées et plusieurs s’en réclament ouvertement, on l’a vu, comme Bernard-Henri Lévy ou Daniel Cohn-Bendit, oubliant en général de les appliquer au cas du sionisme, le nationalisme israélien. Mais cela ne change rien au fait que le cosmopolitisme n’a strictement rien à voir dans son principe avec la haine envers les Juifs. Et quel que soit le rôle incontestable que jouent aujourd’hui de nombreux Israélites, comme George Soros, dans la promotion des idées cosmopolites, il ne faut pas oublier que le sionisme est un nationalisme et qu’il est donc intrinsèquement anticosmopolite.

L’opposition entre les deux pôles antagonistes de la gauche est profonde. L’internationalisme de Marx n’est pas un cosmopolitisme. Joseph Staline, son fidèle disciple, a écrit en 1913 un livre intitulé « Le marxisme et la question nationale » qu’un nationaliste pourrait presque signer. Et, s’il a combattu le cosmopolitisme, ce n’était nullement par hostilité aux Juifs ou « antisémitisme », mais bien parce que le marxisme, étant collectiviste, était nécessairement anticosmopolite et en outre, concrètement, qu’il ne pouvait pas accepter que des Juifs soviétiques entretinssent une double allégeance après la création de l’État d’Israël en 1948.

Le prétendu « antisémitisme » de Staline est un bobard forgé par les trotskystes, qui étaient presque tous juifs comme Trotsky lui-même et qui ont donc voulu se présenter comme des victimes de cet antisémitisme imaginaire. La meilleure preuve, c’est qu’à la mort de Staline en 1953 son bras droit n’était autre que le Juif Lazare Kaganovitch, qui a continué, jusqu’à sa mise à l’écart avec le « groupe anti-parti », à défendre contre Khrouchtchev la mémoire de l’ancien Vojd. Quant au « complot des blouses blanches », neuf médecins, dont six Juifs, qui ont été accusés de vouloir empoisonner les dignitaires du Kremlin, affaire qui est censée démontrer l’antisémitisme de Staline, il suffit de remarquer qu’elle a éclaté en 1953 quelques semaines seulement avant la mort du maître de l’URSS, ce qui veut dire que celui-ci et ses collaborateurs étaient soignés par des Juifs jusqu’à cette date et qu’il ne serait donc devenu « antisémite » qu’in extremis. Ce n’est pas sérieux. Il faut aussi rappeler la dénonciation de « l’art décadent », autrement dit l’art dégénéré cosmopolite, par André Jdanov, théoricien du « réalisme socialiste », manifestation d’anticosmopolitisme qui n’avait absolument rien à voir avec une prétendue hostilité à l’égard des Juifs, alors que ceux-ci étaient largement majoritaires dans les cercles dirigeants et qu’ils le sont longtemps restés, même après l’élimination de Trotsky et de ses partisans en 1925.

Outre l’influence des trotskystes dans le monde occidental, la fortune de ce bobard a une triple raison. En premier lieu, au cours de la guerre froide, il a alimenté la propagande anticommuniste des Américains et de leurs alliés. En deuxième lieu, lorsqu’Alexandre Soljénitsyne a fait découvrir aux Occidentaux l’horreur du Goulag, la propagande judéo-israélienne a voulu occulter le fait que les cadres et dirigeants de l’appareil répressif de la patrie du communisme, y compris le système concentrationnaire, étaient des Juifs à 90%, et que le Slavocide, qui avait fait dix-huit millions de morts – trois fois six millions – entre 1917 et 1953 parmi les Russes, Biélorusses et Ukrainiens, avait donc été perpétré principalement par des Juifs ; elle a réussi, par ce tour de bonneteau, à présenter les coupables comme des victimes. En troisième lieu, dès lors que Staline se rapprochait du « mal absolu » qu’avait incarné Adolf Hitler, lequel avait exterminé six millions de Juifs, et même qu’il le dépassait quant au nombre de victimes, il fallait à tout prix en faire un antisémite, pour que l’antisémitisme restât l’expression du mal absolu, ce qui est le premier dogme de la religion de la Choah.

Dès lors que la doxa enseigne que l’anti-cosmopolitisme de Staline n’était qu’un faux-semblant pour dissimuler son antisémitisme, l’équation est posée entre les deux notions : tout anticosmopolite est antisémite, tout antisémite est anticosmopolite. Voilà pourquoi la plupart des hommes de droite n’osent pas appeler le cosmopolitisme par son nom, tant ils ont peur de se voir affubler l’étiquette infamante qui ramène aux « heures les plus sombres de notre histoire » par la reductio ad Hitlerum

3. La philosophie stoïcienne de l’empire romain avait une fonction parallèle à celle qu’aura plus tard la religion musulmane de l’empire du califat. L’islam est un universalisme sans incarnation à vocation égalitaire qui veut, lui aussi, abolir les frontières entre les peuples et les ethnies. C’est une orthopraxie et non une orthodoxie, ce qui signifie que le pieux musulman doit avant tout obéir aux commandements de la charia, la loi islamique, plutôt qu’adhérer à une foi. En Algérie, les militants du FIS (Front islamique du salut) ont défilé en 1991 en clamant en anglais : « Islam is a way of life » (l’islam est un mode de vie). Et non une foi, donc. On pourrait être tenté de qualifier l’islam de « cosmopolitisme puritain », ce qui serait abusif et, à vrai dire, une contradictio in adjecto, car, si l’islam se rapproche du cosmopolitisme, il ne saurait se confondre avec lui dès lors qu’il repose sur une révélation, celle contenue dans le Coran, parole de Dieu, et dans les dits du prophète, la Sunna, et que s’ajoute à cela l’autorité de l’ijma, du consensus des oulémas pour les sunnites, de celle des ayatollahs, pour les chiites, alors que, dans le cosmopolitisme, l’homme est livré à lui-même, privé de la religion, de la révélation et de la tradition. L’islam efface seulement les frontières extérieures des peuples, qu’il voudrait tous rassembler au sein du dar-el-islam, mais non les frontières intérieures de la société entre les valeurs et les anti-valeurs, puisqu’il fait peser au contraire sur ses adeptes le poids d’une morale intransigeante, islam voulant dire « soumission » en arabe, la langue du Coran, qui est celle d’Allah.

À lire :

  • Milloz (Pierre), Le cosmopolitisme ou la France – l’idéologie cosmopolite, voilà l’ennemi, Godefroy de Bouillon, 2011
  • Peltier (Martin), La révolution arc-en-ciel en marche, DIE, Parnac, 2019
  • Peltier (Martin), L’empire arc-en-ciel, DIE, Parnac, 2020
  • Peltier (Martin), Le vrai nom du grand bordel : arc-en-ciel – au bour de la révolution, un empire et sa religion, éditions du Verbe Haut, 2025
  • Scarpetta (Guy), Éloge du cosmopolitisme, Grasset, coll. Figures dirigée par Bernard-Henri Lévy, 1981.

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