Archives d’Auteur : Henry de Lesquen

Nous sommes nos gènes

Jarosław Kaczyński et Lech (†), son frère jumeau, hommes d’État polonais.

Voyage en génétique comportementale avec Robert Plomin

Robert Plomin est l’un des chercheurs en génétique comportementale les plus réputés, les plus cités et les plus mis en avant. Américain aux origines polonaises, il a passé une partie importante de sa carrière à estimer l’héritabilité des traits de caractère, c’est-à-dire à démêler l’inné de l’acquis dans la personnalité à l’aide d’études principalement réalisées auprès d’enfants adoptés et de jumeaux. Par la suite, les progrès de la technique lui ont permis d’adopter une approche moléculaire, c’est-à-dire de partir à la chasse aux gènes. En 2018, il publia chez Penguin Blueprint: How DNA Makes Us Who We Are, ouvrage adressé au grand public qui résume le travail accompli durant sa carrière. La traduction française a été faite par Peggy Sastre, et est parue en 2023 aux Presses de la cité alliées avec Perrin sous le titre de L’Architecte invisible. Comment l’ADN façonne notre personnalité. Disons-le d’emblée, cette traduction n’est pas très bonne, mais elle a le mérite d’exister.

Les études d’adoption
La première partie de l’ouvrage dénonce le freudisme et les approches psychologiques qui ont dominé une bonne partie du XXe siècle, approches qui ont fait la part belle aux facteurs environnementaux. Selon elles, si les mêmes traits ont tendance à se retrouver au sein des mêmes familles, c’est à cause de l’environnement familial. Mais les parents et leurs enfants partagent la moitié de leurs gènes, tout comme les membres d’une fratrie partagent la moitié de leurs gènes. N’est-ce pas plutôt là l’origine de leur similarité ? Pour répondre à cette question, Robert Plomin a pris la suite, avec de nouveaux matériaux, des nombreux auteurs qui, depuis plus d’un siècle, ont démontré l’hérédité du tempérament, de l’intelligence, des talents et des dons, ce qui ne diminue en rien son mérite propre[1]. Il rappelle qu’il existe deux grandes méthodes qui permettent d’établir l’héritabilité des traits psychologiques, c’est-à-dire de déterminer la part de la génétique dans les différences entre les individus d’une même population. La première, ce sont les études qui portent sur les enfants adoptés. Les enfants adoptés ressemblent-ils plus à leurs parents biologiques ou à leurs parents adoptifs ? Les enfants adoptés par une même famille et issus de parents biologiques différents se ressemblent-ils comme des frères et sœurs biologiques ? Des réponses à ces questions ont été apportées par le Colorado Adoption project (CAP, ou projet d’adoption du Colorado), mis en place par Robert Plomin en 1975. Cette considérable étude consistait à étudier chaque année 250 familles adoptives et 250 familles-témoins par le biais de batteries d’analyses, de questionnaires et d’observations au sein même des foyers. Quatre livres et des centaines d’articles scientifiques ont commenté les résultats du CAP, qui ont mis en évidence une héritabilité substantielle de l’intelligence et de la personnalité, de la petite enfance à l’âge adulte.

Les études de jumeaux
La deuxième méthode consiste à comparer des jumeaux monozygotes aux jumeaux hétérozygotes, c’est-à-dire de vrais jumeaux avec de faux jumeaux de même sexe. Si les premiers partagent 100 % de leurs gènes[2], les deuxièmes, comme des frères et sœurs, n’en partagent que la moitié. Qu’ils soient vrais ou faux, ils ont partagé le même utérus et, la plupart du temps, le même foyer. Si la génétique est importante pour un trait de comportement, les jumeaux monozygotes devraient plus se ressembler que les jumeaux hétérozygotes. Robert Plomin s’est installé à Londres en 1994 pour travailler la question à l’aide d’une nouvelle étude longitudinale, la Twins Early Development Study (TEDS, ou étude sur le développement gémellaire précoce). Il a invité les parents de jumeaux nés entre 1994 et 1996, soit près de 20.000 paires, à participer à ses recherches, et 16 000 familles ont accepté. Au bout de 20 ans, la TEDS a permis de recueillir 55 millions d’éléments issus de batteries d’examens, de questionnaires, d’observations, et recueillies auprès des jumeaux, de leurs parents et de leurs professeurs. Cette étude a donné lieu à plusieurs dizaines de thèses de doctorat et à plus de 300 articles scientifiques. Comme le CAP, la TEDS montre une héritabilité importante de tous les traits de comportement. Robert Plomin écrit : “Par exemple, dans le domaine cognitif, nous avons constaté que les résultats scolaires des enfants dans toutes les matières, des humanités aux sciences, sont considérablement héritables. Nous avons également examiné en profondeur certains aspects de l’aptitude spatiale, comme la lecture d’une carte routière, avec des conclusions démontrant là encore l’omniprésence de l’héritabilité. […] Concernant la personnalité et la psychopathologie […], nous avons découvert une forte héritabilité dans l’enfance du manque de sympathie et de l’indifférence à autrui […].”

Les jumeaux séparés à la naissance
Nous pouvons dire un mot sur les jumeaux séparés à la naissance. Ils ne sont pas nécessaires à l’étude de l’héritabilité des traits de comportement, mais leur existence est une preuve flagrante de l’importance de la génétique. Parmi les premiers à avoir été étudiés, il y a les jumeaux Jim, nés dans l’Ohio en 1940 et adoptés à quatre semaines par deux couples qui ne savaient pas que leur fils avait un frère jumeau. Ils ont été réunis pour la première fois en 1979, à 39 ans, et leur ressemblance était frappante : ils étaient mauvais en orthographe, mais bons en mathématiques, avaient souffert de migraines depuis l’âge de 18 ans, avaient été shérif à temps partiel, se rongeaient les ongles, avaient la même voiture, allaient en vacances au même endroit, leur première épouse avait le même prénom, et leur deuxième aussi… ainsi que leur fils et leur chien. La liste ne s’arrête pas là. Le cas des jumeaux Jim est particulièrement extraordinaire, ce qui a contribué à sa forte médiatisation. Ils ont fait partie de la Minnesota Study of Twins Reared Apart (MISTRA, l’étude du Minnesota sur des jumeaux élevés séparément), qui comportait 56 paires de jumeaux monozygotes. Elle a montré que les jumeaux monozygotes séparés à la naissance étaient tout aussi similaires dans leur tempérament, dans leur personnalité, jusque dans leurs passe-temps, que les jumeaux monozygotes qui avaient grandi dans le même foyer.

L’inné de l’acquis, c’est-à-dire le poids de l’hérédité dans les divers événements de la vie d’un homme
Après ce constat frappant de l’importance de la génétique dans la constitution du tempérament, Robert Plomin écrit : “La première loi de la génétique comportementale est si bien documentée que, désormais, l’intérêt consiste à exploiter les études d’adoption et de jumeaux pour aller au-delà de l’estimation de l’héritabilité.” Selon cette première loi, découverte par le généticien Eric Turkheimer, tous les traits de comportement sont héritables chez l’homme. En déclarant vouloir aller au-delà de l’estimation de l’héritabilité, Robert Plomin pense à plusieurs choses. D’abord, que ces études permettent d’explorer ce qu’il y a d’inné dans l’acquis. Dans les années 1980, il eut l’idée d’analyser des événements existentiels, a priori d’origine environnementale, comme les ruptures amoureuses, les difficultés financières ou encore les cambriolages, avec la méthode d’analyse des jumeaux. Si les accidents de la vie n’étaient que le fruit du hasard, on ne devrait pas y déceler d’influence génétique. Or, les vrais jumeaux sont deux fois plus similaires que les faux jumeaux quant aux événements existentiels éprouvants. Prenons le divorce. L’on sait que les enfants de parents divorcés sont plus susceptibles de divorcer, ce qui n’est généralement pas vu comme le résultat d’une influence génétique. Cependant, une étude d’adoption estime son héritabilité à 40 %, et ne décèle aucun facteur environnemental susceptible de le prédire dès lors que le facteur génétique est pris en compte. En fait, les enfants d’une mère biologique divorcée avaient de plus fortes chances de divorcer que les autres, même quand ils étaient adoptés par des parents qui n’étaient pas séparés. Comment la génétique influence-t-elle le divorce ? Probablement par la personnalité, qui, elle, est directement génétique. Les chercheurs ont fini par constater que tous les aspects de la vie étaient plus ou moins héritables, comme le temps passé devant la télévision, qui a pourtant été longtemps considéré comme la mesure environnementale par excellence.

L’augmentation de l’héritabilité avec l’âge
La deuxième découverte faite à l’aide des études de jumeaux et d’adoption est que l’héritabilité de l’intelligence augmente avec le temps. Il s’agit là d’une idée contre-intuitive pour beaucoup de gens qui pensent que nous sommes conçus par l’ADN de nos parents, certes, mais que l’environnement ne cesse de nous façonner au cours de la vie. En 1983, lorsque Robert Plomin visita l’URSS avec une délégation américaine, il était commun aux chercheurs communistes d’accepter l’influence de la génétique sur le comportement… pour les enfants. L’environnement, c’est-à-dire l’endoctrinement par la société communiste, devait balayer plus tard les influences génétiques. En réalité, les données montrent que le poids de l’ADN augmente avec le temps. Le QI, par exemple, particulièrement touché par cet effet, est héritable à 20 % durant l’enfance et à plus de 85 % à l’âge adulte. Ce phénomène n’est pas encore tout à fait bien compris. Il semblerait que durant l’enfance, l’activation de nouveaux gènes et le développement du cerveau augmentent l’héritabilité ; plus tard, les individus dotés d’un haut potentiel intellectuel tendraient à fréquenter des milieux qui stimuleraient leurs capacités, ce qui augmenterait la similarité phénotypique des individus de génotype semblable et donc, paradoxalement, l’héritabilité mesurée, en réduisant du même coup la part imputable à l’environnement dans les différences individuelles.

Les traits de comportement sont polygéniques
La troisième découverte est que l’intelligence, la personnalité comme les troubles psychologiques ne sont jamais monogéniques. C’est-à-dire qu’il n’y a pas un gène de l’autisme, de la dépression ou de la bipolarité. Il y en a une multitude, ce qui permet de placer les individus sur un spectre. Cette approche quantitative pousse Robert Plomin à considérer que “l’anormal est normal”, et que la frontière par delà laquelle on est vraiment autiste ou vraiment schizophrène est floue, et donc inopérante. La rhétorique est démagogique, mais les implications pour la psychologie clinique sont importantes[3].

Des gènes généralistes
La quatrième découverte est l’existence de gènes généralistes. De nombreux troubles se muent en d’autres selon le contexte, avec à leur fondement, pourtant, les mêmes gènes. Le trouble anxieux généralisé, par exemple, est en partie causé par les mêmes gènes que la dépression. Trois grands complexes génétiques ont été trouvés : les troubles intériorisés (comme l’anxiété et la dépression), les troubles extériorisés (comme les comportements agressifs et antisociaux), et les troubles qui rassemblent les expériences psychotiques, notamment hallucinatoires, la schizophrénie, la bipolarité et la dépression. Par la suite, l’on a découvert que ces trois complexes génétiques se regroupaient partiellement pour former un facteur général de la psychopathologie.
Il en va de même pour l’intelligence. Il existe un facteur général d’intelligence, qui implique l’existence de gènes généralistes de l’intelligence. On trouve ainsi une forte corrélation génétique entre la lecture, les mathématiques et les sciences[4]. En tendance, un élève bon en mathématiques est bon en français ou en histoire. Ces corrélations ne sont jamais de 1, et l’on doit bien en conclure qu’il existe aussi des gènes spécialistes, lesquels expliquent nos points forts et nos points faibles.

La nature de l’environnement
Enfin, la dernière découverte notable concerne l’environnement. Les études d’adoption ont montré que, si les membres d’une même famille se ressemblent dans leur tempérament, c’est uniquement à cause de la génétique, qui les unit. Ce que les chercheurs appellent l’environnement partagé, c’est-à-dire le milieu familial, n’a aucun incidence sur le caractère. Les traits de comportement n’ont certes jamais une héritabilité de 100 %, mais cela est dû à ce que Robert Plomin appelle l’environnement non partagé. Il y a des exceptions, certes, mais minimes : par exemple, un quart des différences de QI peuvent s’expliquer durant l’enfance par l’environnement partagé, mais l’effet disparaît à l’adolescence ; il en va de même avec la réussite scolaire, dont 20 % de la variance vient de l’environnement partagé, mais l’effet disparaît aussi à l’adolescence. Alors, quelles sont ces mystérieuses influences environnementales non partagées ? Ce que l’on peut dire, c’est qu’il s’agit d’événements idiosyncratiques, fortuits, non systématiques et qui ne durent pas dans le temps. Bref, ils sont difficiles à étudier.

Parents, vous pouvez souffler !
Tout cela pousse Robert Plomin à dire que l’influence des parents, comme celle de l’école ou des expériences de la vie, sont importantes, mais qu’elles ne sont pas cruciales. Il écrit : “L’ADN est le seul élément faisant une différence systématique substantielle puisqu’il est à l’origine de 50 % de la variance des traits psychologiques. Le reste est dû à des expériences environnementales fortuites, sans effets à long terme.” À notre avis, Robert Plomin est bien timoré. Il aime à dire que le QI est héritable à 50 ou 60 %, ce qui est vrai, mais c’est une moyenne qui mélange les données récoltées auprès d’adultes et d’enfants. Il sait très bien qu’à l’âge adulte, le QI est héritable à plus de 80 %, et l’intelligence générale, évoquée plus tôt, à plus de 90 %. Quant aux traits de personnalité, quand ils sont mesurés correctement, ils semblent avoir une héritabilité pouvant atteindre 85 voire 90 % — bien plus que les 50 % de Robert Plomin. Enfin, il ne dit pas tout, notamment pour le QI. De quoi est faite sa part environnementale qui, à l’âge adulte, atteint donc un peu moins de 20 % ? S’il y a une part d’environnement non partagé, il y a aussi très probablement du bruit biologique, comme le pensait Arthur Jensen[5].

La régression vers la moyenne
Nous aimerions relever l’un des rares passages de L’Architecte invisible qui laissent dubitatif. Page 155[6], Robert Plomin affirme : “Étant donné que les enfants sont génétiquement semblables à 50 % à leurs parents, la génétique prévoit que le QI moyen des enfants régressera à mi-chemin entre le QI de leurs parents et la moyenne de la population. Par exemple, des parents ayant un QI moyen de 130 devraient avoir des enfants dont le QI moyen est de 115 […].” Dans les années 1960, l’idée de régression vers la moyenne permettait aux généticiens cosmopolites de nier la possibilité théorique du dysgénisme. Selon eux, toute sélection finirait par être contrebalancée par la régression vers la moyenne. Ici, dans un chapitre socialisant, Robert Plomin s’en sert pour affirmer que, si les individus finissent par tendre vers la moyenne de la population, la méritocratie ne pourra pas évoluer vers un système de “castes” trop rigides. Nous aurions préféré qu’il citât ses sources, car si la régression vers la moyenne existe, nous doutons qu’elle soit aussi importante. Surtout, les enfants régresseront vers la moyenne de leur groupe endogame, leur caste, leur milieu social, et non celle de la population générale[7].

La chasse aux gènes
Robert Plomin raconte comment les tentatives de découverte des gènes du comportement furent des fiascos systématiques dans les années 1990 et 2000. L’on pensait trouver des PSN[8] avec de gros effets. “Par exemple, pour des héritabilités d’environ 50 %, dix gènes représentant chacun 5 % de la variance auraient fait l’affaire. Si les effets avaient été aussi importants, il aurait suffi d’un échantillon d’à peine 200 personnes pour avoir assez de puissance pour les détecter[9].” Malgré de nombreux gènes candidats, aucune étude suivant ce principe ne réussit à être reproduite. Les premiers succès dans la recherche des gènes ont eu lieu dans les années 2010, grâce, notamment, à la baisse du prix du génotypage. Pour déceler des résultats significatifs, les études d’association pangénomique (EAPG, en glais GWAS, pour genome-wide association studies) impliquent l’analyse du génotype de centaines de milliers de personnes. Concrètement, il s’agit de rechercher un lien statistique entre un PSN et un trait phénotypique. Robert Plomin note que la “première percée” concernait le nombre d’années d’étude[10], dont l’héritabilité est de 50 %. Un million de personnes étaient analysées, et les effets trouvés étaient… tout petits.Les PSN associés aux années d’études n’expliquent, au mieux, que 0,03 % de la variance. Bout à bout, les trouvailles de cette étude gigantesque n’expliquent que 10 % de la variance.
Les EAPG permettent l’élaboration d’indices polygéniques. Leur objectif est “de fournir un indice génétique unique pour prédire un trait, qu’il s’agisse de la schizophrénie, du bien-être ou de l’intelligence[11].” Un indice polygénique est composé de centaines ou milliers de PSN, chacun noté de 0 à 2 en fonction du nombre d’allèles associés au phénotype recherché, et la place de chaque PSN dans l’indice est pondérée par la force de la corrélation trouvée par l’analyse GWA. Aujourd’hui, l’indice polygénique de l’intelligence a été constitué grâce à une étude GWA réalisée auprès de 270.000 personnes. Il prédit 4 % de la variance — mais couplé avec celui du niveau d’instruction, il prédit 10 % de la variance des résultats sur les analyses de QI[12]. La prochaine étape consistera à trouver l’héritabilité manquante, c’est-à-dire à expliquer le fossé qu’il y a entre l’héritabilité issue des études de jumeaux et celle des PSN.

Robert Plomin répond aux critiques
À la fin de l’ouvrage, Robert Plomin répond à différentes critiques, mais pas à celles de Jay Joseph ou de Ken Richardson, deux psychologues connus pour être de fervents critiques de la génétique comportementale. La raison est probablement que ces deux chercheurs sont désormais isolés et ne sont pas pris au sérieux par la communauté scientifique, laquelle a forgé un consensus solide autour de la question de l’héritabilité des traits de comportement. On peut néanmoins accepter que les études de jumeaux sont imparfaites, mais leurs défauts conduisent à… sous-estimer l’héritabilité des traits de comportement plutôt que l’inverse[13].
Robert Plomin répond à ceux qui estiment que l’héritabilité manquante est révélatrice de l’échec de la génétique comportementale qu’elle est normale. L’approche moléculaire de la génétique comportementale n’en est qu’à ses balbutiements. Et malgré sa nouveauté, un indice polygénique de la réussite scolaire est aujourd’hui plus prédictif de la réussite scolaire que le niveau d’éducation des parents ou leur occupation professionnelle.
Robert Plomin répond aussi à la critique selon laquelle il ne parle pas des différences entre les groupes. Il y oppose plusieurs arguments : (1) Les causes des différences individuelles ne sont pas forcément les mêmes que celles des différences entre les groupes. (2) Les différences génétiques se trouvent “au sein des groupes plutôt qu’entre les groupes”. (3) Il y a des méthodes puissantes pour expliquer les différences individuelles, mais pas pour expliquer les différences entre les groupes. (4) Il ne peut pas aborder toutes les questions. (5) Les indices polygéniques sont construits à partir de populations blanches, et ils ne sont donc pas aussi prédictifs pour les autres groupes.

Nous répondons à la réponse de Robert Plomin
Prenons le temps de décortiquer ces remarques. (4) Nous admettons qu’il ne peut pas aborder tous les sujets ; nous soupçonnons tout de même qu’il s’agit avant tout d’une marque de prudence. Un indice en ce sens : au début de l’ouvrage, Robert Plomin admet n’avoir pas écrit plus tôt un tel ouvrage de vulgarisation de génétique comportementale, parce que cela aurait été dangereux pour sa carrière[14]. S’il est dangereux de parler des différences individuelles, alors nous pouvons imaginer ce que cela coûte d’évoquer les différences raciales. Par ailleurs, il suffit de s’intéresser à ce qui a pu arriver à Charles Murray, Philippe Rushton ou Arthur Jensen pour s’en convaincre.
(2) Sur le fond, le fait que les différences se situent principalement entre les individus n’est pas un argument sérieux. Il s’agit, comme le dit David Reich[15], de prudentes déclarations qui permettent d’éluder la question trop sensible des différences moyennes entre les populations.
(3) Robert Plomin a raison de dire qu’il n’y a pas de méthode qui permette d’étudier les différences entre les groupes avec autant de facilité que pour les différences individuelles. Pour autant, il n’est pas impossible de le faire — Arthur Jensen a élaboré une méthode statistique pour déterminer la part génétique dans les différences raciales en intelligence, c’est la méthode des vecteurs corrélés (MCV, method of correlated vectors). Nous l’avons vu plus haut, l’intelligence générale est héritable à plus de 90 %. L’idée de Jensen est alors la suivante : comparer les races en fonction de la corrélation des résultats aux analyses de QI avec l’intelligence générale. Si les différences raciales sont génétiques, ou largement génétiques, alors elles devraient être plus saillantes sur les parties les plus corrélées à l’intelligence générale. Les résultats vont en ce sens, mais la méthode des vecteurs corrélés n’est pas infaillible et a fait l’objet de critiques sévères. On peut donc considérer ses résultats avec prudence, tout en observant que la controverse a permis l’amélioration de la technique[16]. Dans tous les cas, les résultats qu’elle propose ne sont qu’un un indice de plus dans le faisceau.
(1) Le premier argument de Plomin est classique. Il est vrai que l’héritabilité entre les individus n’est pas nécessairement la même que celle qu’il y a entre les groupes. Cependant, une relation mathématique forte les unit. Plus l’héritabilité entre les individus est élevée, plus il y a de chance qu’elle soit élevée aussi entre les groupes[17] ; et plus il faudrait imaginer des forces environnementales extrêmement puissantes pour que cette dernière puisse être nulle. Avec une héritabilité individuelle du QI de 80-85 %, cet effet de l’environnement qui abaisserait le QI des noirs aux États-Unis est hautement improbable[18].
Un autre moyen d’établir la nature des différences raciales dans les résultats aux analyses de QI consiste à se soucier de l’invariance de la mesure, c’est-à-dire à opérer une analyse statistique pour vérifier que les analyses de QI mesurent bien la même chose tant chez les noirs que chez les blancs — c’est le cas, la littérature sur cette question est solide[19].
Les études de brassage génétique (admixture studies) sont un autre moyen d’analyser la nature des différences raciales en intelligence. Si les différences raciales sont génétiques, alors le degré de métissage des individus devrait être corrélé à leur intelligence, ce qui est aussi le cas[20].
Enfin, Robert Plomin évoque le fait que les indices polygéniques (5) sont fondés sur des populations blanches, ce qui pourrait les rendre moins prédictifs pour les autres populations, notamment pour les populations noires. En réalité, les résultats sont tout de même probants[21]. Notons que les institutions qui détiennent les précieuses données génomiques sont très réticentes, pour dire le moins, à les partager avec les chercheurs intéressés par l’intelligence ou les différences raciales[22].

Conclusion
L’Architecte invisible est un ouvrage convaincant. Il faut en retenir que c’est la génétique qui façonne l’intelligence et la personnalité, pas l’école ou la famille. Robert Plomin sous-estime l’héritabilité des traits de comportement, par démagogie, mais la part environnementale qu’il décrit n’est de toute façon ni durable, ni substantielle, ni systématique. Elle échappe à toute volonté et à tout conditionnement. Son optimisme quant aux progrès de la génomique est communicatif, mais il pose un voile pudique sur la question raciale bien qu’elle bouille en Occident. La génomique apporte des réponses que l’on pourra de moins en moins ignorer[23], et c’est pourquoi les grands journaux scientifiques et les banques de données génomiques freinent des quatre fers quand il s’agit de traiter la question.

Pierre de Tiremont


[1] Pour le QI, nous pouvons citer Cyril Burt, William Shockley, Hans Eysenck ou encore Arthur Jensen.

[2] En réalité, le génome des jumeaux monozygotes diverge en moyenne par cinq mutations très précoces, transmissibles à leurs descendants. Les études de jumeaux, qui partent du principe que les jumeaux monozygotes sont entièrement identiques, sous-estiment donc l’héritabilité. Voir Le Monde du 20 janvier 2021 : « Les vrais jumeaux, des ‘doubles’ pas tout à fait parfaits”.

[3] Nous verrons plus tard comment les indices polygéniques permettent de prédire les maladies mentales.

[4]  Il va de soi que l’hérédité ne porte que sur les dispositions héréditaires, notamment sur la capacité d’apprentissage et non sur l’apprentissage lui-même. Par exemple, on est plus ou moins doué pour les langues, mais on ne connaîtra une langue étrangère que si on l’a apprise, à l’école ou ailleurs.

[5] Dans The g Factor [Le facteur g], Praeger (1998), p. 169, Arthur Jensen parle des “effets additifs d’un grand nombre d’événements plus ou moins aléatoires — le « bruit » durant le développement — qui ont des petits effets positifs ou négatifs sur le développement neurophysiologique de l’enfant.”

[6] Nous donnons les pages de la traduction en français.

[7] Pour une plus ample discussion autour de ce phénomène, l’on peut se référer à cette conversation entre Edward Dutton et Michael Woodley of Menie : https://youtu.be/Rf59iSANMe4.

[8] Les PSN (polymorphismes portant sur un seul nucléotide) sont des variations mineures du génome au sein d’une population.

[9] L’Architecte invisible, p. 180.

[10] Il y a derrière ce phénotype plusieurs traits comme l’intelligence, la santé mentale ou la conscienciosité.

[11] Ibid., p. 200.

[12] Robert Plomin, “Celebrating a Century of Research in Behavioral Genetics” [Célébration d’un siècle de recherche dans la génétique du comportement], Behavior Genetics [Génétique du comportement] (2023)

[13] Matthew A. Sarraf & Michael A. Woodley of Menie, “Genetic Determinism” [Déterminisme génétique], Encyclopedia of Evolutionary Psychological Science [Encyclopédie de la science de la psychologie évolutionnaire] (2018). Voir aussi, sur le blogue d’Emil O. W. Kirkegaard, “Heritabilities are usually underestimated” [Les héritabilités sont généralement sous-estimées].

[14] L’Architecte invisible, p. 15.

[15] Voir notre article “Le sophisme de Lewontin vu par les autres”.

[16] Voir cet article d’Emil Kirkegaard :  https://emilkirkegaard.dk/en/2022/12/the-status-of-phil-rushton/

[17]  L’héritabilité concerne la part génétique des différences individuelles au sein d’une même population. Le terme d’héritabilité entre les groupes, consacré depuis les années 1970, se rapporte à la part génétique dans les différences moyennes entre deux populations.

[18] On trouvera la formule mathématique dans Russel T. Warne, “Between-Group Mean Differences in Intelligence in the United States Are >0% Genetically Caused: Five Converging Lines of Evidence” [Les différences moyennes en intelligence entre les groupes aux États-Unis sont >0% causées par la génétique : cinq séries de preuves convergentes], American Journal of Psychology [Journal américain de psychologie] (2021).

[19] Ibid. Si des forces environnementales encore non déterminées réduisaient les performances des noirs sur les épreuves de QI, l’on pourrait s’en apercevoir à l’aide d’une analyse statistique de leurs résultats comparés à celui des blancs. La structure du facteur g, c’est-à-dire la nature des différentes corrélations qui le composent, ne serait alors pas la même pour les deux groupes.

Voir aussi Dalliard, “The Elusive X-Factor: A Critique of J. M. Kaplan’s Model of Race and IQ” [Un facteur X insaisissable : critique du modèle de la race et du QI de J. M. Kaplan], Open Differential Psychology [Psychologie différentielle libre], 2014, p. 21.

[20] Ibid.

[21] Ibid.

[22] Voir cet article de James Lee : https://www.city-journal.org/nih-blocks-access-to-genetics-database ; et cet article de Stuart Ritchie : https://stuartritchie.substack.com/p/nih-genetics.

[23] Il faut bien insister sur le fait que les universitaires font l’autruche. Les sondages montrent qu’ils savent pertinemment que les différences raciales sont largement génétiques.

Les dix raisons du mythe européen

L’enlèvement d’Europe, Rembrandt (1632)

L’Europe n’est qu’une expression géographique. Il n’y a ni civilisation européenne ni race européenne ni ethnie européenne ni peuple européen. Il y a une civilisation occidentale, dont ne font partie ni la Russie ni l’Ukraine ni la majorité des pays des Balkans, une race caucasoïde, qui inclut beaucoup de peuples non européens, une ethnie française, un peuple français.
Nous dirons, pour paraphraser Joseph de Maistre : « J’ai déjà rencontré un Français, un Italien, un Russe… mais l’“Européen”, s’il existe, c’est à mon insu. »
Et pourtant, force est de constater que le mythe européen fait florès, et depuis longtemps. Il y a à cela dix raisons, qui sont autant de contresens.

1. L’illusion géographique

Les anciens Grecs ont appelé « Europe » (Eurôpê) les pays qui étaient à l’ouest de la mer Égée, comme l’Attique, et « Asie » (Asia) ceux qui étaient à l’Est, comme l’Ionie. Mais, par la suite, Hérodote a découpé le monde en trois parties, la troisième étant la Libye (Libyê), devenue pour nous l’Afrique, et il a étendu les notions d’Europe et d’Asie respectivement vers les extrémités occidentales et orientales de l’Ancien Monde, et cela, de manière fort artificielle, du point de vue de la géographie physique. Il suffit en effet de regarder une mappemonde pour comprendre que l’Europe et l’Asie ne font qu’un. On doit même ajouter que l’isthme de Suez n’a pas plus de raison de séparer deux continents, l’Asie et l’Afrique, que ne le fait l’isthme de Panama, et que de la Floride au Vénézuéla il y a plus de distance qu’entre l’Espagne et le Maroc, qui ne sont séparés que par le détroit de Gibraltar. La mer des Caraïbes est plus large que la Méditerranée. L’Amérique du nord et du centre se détache bien davantage de l’Amérique du sud que l’Eurasie ne le fait de l’Afrique. Il vaudrait mieux parler d’un seul continent, l’Eurasafrique, au lieu de trois… L’Ancien Monde ne fait qu’un et le continent européen n’existe tout simplement pas.
Les géographes sont donc coupables d’avoir paresseusement conservé des notions anciennes qui n’avaient pas de fondement scientifique. De surcroît, à la demande de l’empereur de Russie Pierre Le Grand (mort en 1725), qui voulait occidentaliser son pays, qu’on mettait avant lui en Asie, un géographe aux ordres a repoussé la frontière de l’Europe, que l’on fixait auparavant au Dniepr, fleuve qui coule à l’est de l’Ukraine actuelle et qui se jette dans la Mer Noire, jusqu’à l’Oural, bien que les collines qui sont au centre de cette chaîne de montagnes n’aient que 500 mètres de haut et qu’on les franchisse aisément ; par conséquent, celle-ci ne constitue en aucune façon une frontière naturelle entre deux espaces.
Le penchant des hommes à confondre les catégories, à s’imaginer que les mots sont des choses et à s’abandonner à des vues simplistes a fait ensuite que l’on a prêté à chacun de ces deux continents conventionnels, l’Europe et l’Asie, une unité culturelle propre qu’ils n’avaient en rien, ni l’un ni l’autre. Aujourd’hui, un Libanais, maronite ou non, qui est un Asiatique, est bien plus proche d’un Grec, pourtant qualifié d’Européen, que d’un Chinois.
La géopolitique s’en est aussi mêlée. On se souvient de Charles de Gaulle évoquant une mythique Europe « de l’Atlantique à l’Oural » et qui semblait par là prêter à cette Europe une unité historique et culturelle imaginaire.
Il faut se délivrer de l’illusion géographique. L’Europe est mal définie au regard de la géographie physique et, même si elle l’était, cela ne lui donnerait aucun titre à figurer dans la géographie humaine. Pourquoi cette prétendue Europe aurait-elle plus d’unité culturelle que l’Asie ou l’Afrique, qui n’en ont aucune ?

2. Le prestige de la Grèce

Lorsqu’il fut question de l’adhésion de la Grèce à la Communauté économique européenne, future Union européenne, ce qui n’avait rien d’évident, eu égard à la corruption et à la gabegie typiquement orientales qui sévissaient dans le pays, le président français Valéry Giscard d’Estaing a déclaré que l’on ne pouvait pas fermer la porte de l’Europe à Platon… C’était une belle ineptie. La Grèce actuelle a beau parler un sabir lointainement dérivé de la langue de Platon, elle a très peu à voir avec la Grèce antique, dont le territoire a connu plusieurs grands remplacements, sous chacun des quatre empires successifs dont elle a fait partie : brassage de populations sous l’empire macédonien fondé par Alexandre ; populicide perpétré par les Romains et repeuplement du pays par des immigrés venus d’Asie ; invasion des Slaves venus du nord sous l’empire byzantin ; massacres et déportations massives sous l’empire turc ottoman. Autant dire qu’il ne reste plus grand-chose aujourd’hui dans ce territoire de ce qu’il y avait jadis, à l’origine de la Grèce. Rastapopoulos ne ressemble guère à Périclès, ni physiquement ni moralement. En outre, si l’héritage de la Grèce antique a irradié la civilisation occidentale, il n’en demeure pas moins que la civilisation gréco-romaine aujourd’hui disparue était très différente de la nôtre.
C’est le prestige de la Grèce antique qui nous a fait accroire que l’Europe existait, comme s’il y avait une essence de l’Europe, c’est lui qui fait encore adhérer à l’idée frauduleuse d’une unité européenne, parce que c’est elle qui a inventé le mythe européen au temps d’Hérodote. Il est amusant de penser que, dans la mythologie grecque, Eurôpê, notre Europe, était une princesse de Phénicie, le Liban actuel, et qu’elle était donc asiatique et sémitique. Le dieu Zeus, transformé en taureau, l’a enlevée avant de recouvrer une forme humaine pour s’unir à elle et lui donner trois enfants. Ceux-ci auraient fondé des villes qui auraient formé une province, laquelle aurait reçu le nom le leur mère, avant que celui-ci fût étendu par Hérodote aux terres qui étaient au nord et à l’ouest.
En outre, le pays qui a conservé le nom de Grèce, et qui n’a pratiquement que cela en commun avec celle de l’Anitquité, a recueilli bien à tort une part du prestige de cette dernière et elle est tenue de ce fait, contre toute vérité, pour un élément incontournable de notre civilisation.

3. La confusion entre Europe et chrétienté

Il est de fait que la chrétienté, c’est-à-dire l’ensemble des peuples chrétiens, a coïncidé à peu près avec le pseudo-continent européen jusqu’à la colonisation qui a suivi les grandes découvertes à partir du XVIe siècle et qui l’a étendue à toute l’Amérique, ainsi qu’en Afrique noire et en Océanie, sans oublier, en Asie, les Philippines. Il ne s’ensuit pas que tous les peuples d’Europe ni que tous les peuples chrétiens aient jamais partagé la même civilisation.
Le christianisme est né en Palestine, donc en Orient, parmi les Juifs, avant de se répandre dans le monde entier suivant le précepte du Christ : « Allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit… » (Matthieu, XXVIII 19). Cette religion universaliste, qui s’adresse à tous les hommes, s’est émancipée grâce au Christ Jésus du fonds sémitique et ne saurait être identifiée à une civilisation particulière, pas même à l’Occident, bien que l’Église catholique et apostolique soit aussi romaine et que le pape, évêque de Rome, soit appelé « souverain pontife », ayant repris ce titre aux anciens Romains.
Jusqu’aux conquêtes arabes qui ont suivi la mort de Mahomet en 632, la chrétienté incluait le Proche-Orient et l’Afrique du nord, et elle était donc autant asiatique et africaine qu’européenne. De plus, si l’islam a éradiqué le christianisme en Afrique du nord, de la Libye au Maroc, celui-ci est resté vivace en Égypte et dans tout le Proche-Orient pendant longtemps et il y a survécu jusqu’à nos jours. La lointaine Éthiopie est aussi demeurée chrétienne.
Il n’y a donc eu de coïncidence entre l’Europe et la chrétienté que du VIIe au XVe siècle et celle-ci n’a jamais été parfaite, d’autant que les Turcs ottomans, qui ont dominé les Balkans, lesquels portent un nom turc, pendant quatre cents ans, du XVe au XIXe siècle, ont introduit l’islam en Europe, en convertissant les Albanais, les Bosniaques et les Pomaques de Bulgarie, sans compter ce qui reste de la Turquie en Europe autour d’Istamboul. D’autres Turcs sont venus de l’est, ce furent notamment les Tatars de Russie, résidu de la Horde d’or.
L’essentiel, cependant, n’est pas là. La proximité religieuse de tous ceux qui partagent la foi dans le Christ n’implique aucune forme d’unité culturelle ou politique, ni même religieuse. Il est légitime, il est salutaire, que les chrétiens d’Occident se passionnent pour la cause des chrétiens d’Orient, qui sont persécutés par les musulmans, faisant passer au second plan un passé chahuté et les controverses doctrinales qui les ont séparés jadis. Il n’empêche que celles-ci ont brisé l’unité religieuse.
Les chrétiens du Proche-Orient adhéraient soit au nestorianisme, hérésie condamnée au concile d’Éphèse en 431, soir au monophysisme, hérésie condamnée au concile de Chalcédoine en 451.
Pour ce qui est des chrétiens d’Europe orientale, l’œcuménisme mis à la mode par le concile Vatican II (1965) ne doit pas nous faire oublier l’histoire, qui a creusé un fossé entre les deux ou plutôt les trois parties de l’Europe – Occident, Orient, monde russe. La rupture de 1054 était plus qu’un simple schisme, puisque le légat du pape, évêque de Rome, a déposé sur l’autel de la cathédrale Sainte Sophie, à Constantinople, une bulle d’excommunication. Celle-ci condamnait le patriarche parce qu’il refusait d’ajouter dans le Credo la précision essentielle du Filioque (« Je crois au Saint Esprit, qui procède du Père et du Fils »). En ce sens, il est abusif de qualifier les chrétiens byzantins d’« orthodoxes », comme s’ils partageaient intégralement la foi des catholiques romains et alors qu’ils sont en réalité hérétiques.
En fait, la division de l’Europe entre l’Orient et l’Occident remontait plus haut. Elle datait de celle de l’empire romain effectuée en 394 par l’empereur Théodose, qui le partagea entre ses deux fils, attribuant l’Occident, qui parlait latin, à Honorius et l’Orient, qui parlait grec, à Arcadius. D’où la frontière des alphabets : latin à l’Ouest, grec et, surtout, cyrillique, adapté du précédent pour les Slaves, à l’est.
La chrétienté est une notion religieuse et humaine qui ne définit pas une civilisation. Même pendant les huit cents ans où elle a coïncidé peu ou prou avec l’Europe, elle n’a conféré à celle-ci aucune unité culturelle.

4. La confusion entre Europe et Occident

La France appartient à la civilisation occidentale, mais celle-ci n’englobe pas toute l’Europe et elle s’étend aujourd’hui hors d’Europe, en Amérique et jusqu’aux antipodes, en Australie et Nouvelle-Zélande. Comme nous le rappelle la phrase ressassée de Paul Valéry (« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »), la plupart des civilisations que les hommes ont créées ont aujourd’hui disparu. Il en reste six dans le monde contemporain : l’Occident, l’Orient, le monde russe, le monde indien, le monde chinois et l’Afrique noire. En Europe, l’Occident s’arrête à l’est à la frontière des alphabets (étant précisé que le roumain s’écrivait en cyrillique jusqu’au XIXe siècle), frontière qui est aussi celle des religions : christianisme romain à l’ouest, christianisme byzantin à l’est. La prétendue réforme de l’Allemand Martin Luther et du Français Jean Calvin au XVIe siècle, qui a donné naissance au protestantisme, n’a pas brisé l’unité culturelle de l’Occident. Les catholiques s’imaginent souvent que leur foi est plus proche de celle des « orthodoxes » que de celle des protestants. C’est une erreur, notamment parce que catholiques et protestants continuent à professer le même Credo, et non les « orthodoxes ».
Il y a en fait trois Europe et non deux. Bien que les Russes aient adopté le christianisme byzantin, ils ont formé une civilisation propre, qui résulte de l’interpénétration des éléments slaves et turcs, avec un forte infusion de sang mongoloïde. Les pays dits « orthodoxes » des Balkans appartiennent à la civilisation orientale, tout autant que l’Arménie et l’Éthiopie, pays qui ont adopté le christianisme monophysite, et tout autant que les pays musulmans du Proche-Orient et d’Afrique du nord. L’islam n’a pas fait apparaître une nouvelle civilisation, il a confisqué celle qui était née avec Cyrus, fondateur de l’empire perse achéménide en 550 av. J.-C., et qui fut successivement zoroastrienne et chrétienne avant les conquêtes musulmanes.
La civilisation occidentale s’est formée en Europe sur les ruines de la civilisation gréco-romaine, mais elle n’a jamais été que celle de l’ouest de l’Europe, avant de s’étendre hors d’Europe.
Comme l’a écrit Henri de La Bastide, l’Occident est la « civilisation de la personne », en ce sens qu’elle met la liberté individuelle au cœur de sa conception de l’homme. Les chrétiens d’Occident, s’ils sont appelés à l’obéissance envers Dieu, ne sont pas ses esclaves, à la différence des Orientaux, qui peuvent s’appeler Théodule, s’ils sont chrétiens, ou Abdallah, s’ils sont musulmans, prénoms qui signifient « esclave de Dieu » respectivement en grec et en arabe. L’Occidental s’agenouille devant Dieu comme un sujet devant son seigneur, l’Oriental se prosterne, comme un esclave devant son maître. Avec le principe du libre examen, le protestantisme résulte au fond d’une radicalisation de l’individualisme qui est inhérent à la civilisation de la personne. Le mariage se fait en Occident par l’échange de consentements entre l’homme et la femme. Rien de tel en Orient dans la cérémonie du mariage, où la femme n’a pas son mot à dire.
On peut affirmer aussi bien que l’Occident est la civilisation de l’Incarnation, avec un « I » majuscule, en référence au dogme chrétien de l’Incarnation du Christ, vrai Dieu et vrai homme. Seul le christianisme occidental l’a vraiment compris. Les grandes hérésies qui sont nées en Orient ont toutes été fondées sur le refus de recevoir le mystère de l’Incarnation dans toute sa profondeur. Les « ariens », disciples d’Arius, soutenaient que le Christ avait été créé par le Père. Les nestoriens ne voulaient pas que la Vierge Marie fût dite Theotokos, Mère de Dieu. Les monophysites n’acceptaient pas que le Christ eût une nature humaine qui s’ajoutât à sa nature divine, qu’il fût à la fois vrai Dieu et vrai homme. Les monothélites ne voulaient pas admettre qu’il eût une volonté humaine. Les byzantins eux-mêmes, qui se sont dégagés non sans mal de ces quatre hérésies précédentes, ont rejeté le dogme du Filioque, selon lequel le Saint-Esprit procède non seulement du Père, mais aussi du Fils. Or, si le Saint-Esprit, qui sauve les hommes en leur donnant la grâce, ne procédait pas du Fils, la mission de celui-ci pour le salut des hommes se serait achevée avec le sacrifice de la Croix, alors que, selon la foi catholique, elle se poursuit par le Saint-Esprit jusqu’à la fin des temps. Les fidèles dont l’âme est pénétrée par la grâce sont habités ainsi par la manifestation conjointe des trois Personnes divines. Si l’on nous pardonne cet oxymore, nous dirons que l’infusion de la grâce dans l’âme réalise une « incarnation spirituelle » qui prolonge l’effet salvifique du sacrifice du Christ Rédempteur jusqu’à son retour glorieux à la fin des temps. Le chrétien d’Occident sait qu’il a en lui une part de divin qui lui donne vocation à la liberté.
On peut aussi écrire « civilisation de l’incarnation » avec un « i » minuscule, en prenant le mot dans un sens plus faible par analogie avec celle du Christ. Le fait que Dieu ait choisi de s’incarner en prenant la nature humaine confère à celle-ci, que tout homme partage, la grandeur et la dignité. Telle est la conception de l’homme qui prévaut en Occident et qui n’est ni celle de l’Orient ni celle du monde russe. La jonction de l’âme, principe spirituel, et du corps, réalité matérielle, est une première forme d’incarnation, mais celle-ci prend toute sa majesté en Occident parce que l’on y croit que le Christ, modèle du chrétien, est à la fois vrai Dieu et vrai homme.

5. La proximité de l’Occident et du monde russe

Pierre le grand a tout fait pour occidentaliser la Russie, notamment en déplaçant la capitale de Moscou à Saint-Pétersbourg. Le mouvement s’est poursuivi après lui et l’empire a subi une profonde influence de l’Allemagne et de la France, d’autant que de nombreux Allemands s’y sont installés et ont constitué une bonne partie de ses élites. Et c’est une idéologie venue d’Occident, le marxisme, que les communistes ont imposé aux Russes, de la révolution bolchévique de 1917 à l’effondrement de l’URSS en 1991. Si le monde russe est resté une civilisation distincte, il n’en demeure pas moins que celle-ci est la plus proche de la nôtre. C’est pourquoi certains, fermant les yeux sur ses particularités manifestes, voudraient inclure la Russie dans l’Occident. C’est une erreur. Les différences culturelles restent très profondes. Il faudrait priver la Russie de ses traditions et de sa religion pour qu’elle pût vraiment s’identifier à l’Occident.
Non, la Russie ne fait pas partie de l’Occident. Ainsi, l’Europe n’est pas une.

6. La confusion entre caucasoïde et « Européen »

Dans le langage courant des Français, lorsqu’il n’est pas cosmopolitiquement correct, on oppose volontiers les « blancs » aux immigrés extra-européens, comme si la race « blanche » était réservée à l’Europe. Cette façon de parler a beau relever d’une salutaire conscience de race et s’inscrire dans une longue tradition, elle est erronée et crée la confusion.
Au moyen âge, on ne connaissait pas l’Afrique noire et l’on confondait les Berbères d’Afrique du nord, arabisés ou non, qui étaient plus ou moins métissés de congoïdes et avaient donc souvent la peau foncée, avec ceux-ci. « Maure » ou « Sarrasin » était synonyme de « noir » et c’est de là que l’ingrédient des excellentes galettes bretonnes, qu’on appelle aussi « blé noir », tire son nom. Mais les Nord-Africains ou Maghrébins n’ont pas plus de 10% ou 15% de sang congoïde en moyenne. À la base, ce sont des caucasoïdes.
La race est un fait d’observation élémentaire que la science confirme et précise. Il y a cinq races humaines : caucasoïdes ou « blancs », mongoloïdes ou « jaunes », congoïdes, capoïdes et australoïdes, les trois dernières races étant qualifiées collectivement de « noirs ». Or, la race caucasoïde ne se limite nullement à l’Europe. Elle inclut les Arabes et les Berbères, nettement métissés en Afrique du nord, surtout en Égypte et au Maroc, et aussi les Indo-Européens d’Asie, Arméniens et Indo-Iraniens, ces derniers étant métissés d’australoïdes dans le sous-continent indien. Un Libanais est tout aussi « blanc » qu’un Grec. De surcroît, l’Europe n’est pas parfaitement caucasoïde. Les Russes sont fortement métissés de mongoloïdes.
Le langage courant, quand il parle des « blancs » par opposition aux non-Européens, confond la race, catégorie biologique, et l’ethnie, catégorie culturelle. Les ethnies d’Afrique ou d’Asie relèvent certes d’une autre civilisation que la nôtre, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elles soient toutes d’une autre race. En outre, si les Russes (Grands-Russes, Biélorusses, Ukrainiens), les Roumains (y compris les Moldaves), les Bulgares (y compris les Macédoniens), les Serbes (y compris les Monténégrins), les Bosniaques, les Albanais et les Grecs sont des caucasoïdes, sous la réserve que nous avons faite pour les Russes, cela ne signifie pas que leurs ethnies fassent partie de notre civilisation.
Il vaut donc mieux parler de Français, de Fançais de sang ou d’Occidentaux que de « blancs » ou d’« Européens ». Quant aux allogènes venus d’Afrique ou d’Asie, on peut les caractériser par leur religion, comme musulmans ou bouddhistes par exemple, ou par leur race, comme congoïdes ou mongoloïdes.

7. La confusion entre nordique et « Européen »

Les races se subdivisent elles- mêmes en sous-races (terme de taxinomie qui n’a rien de péjoratif). Par exemple, les Français sont un mélange intime de trois sous-races de la race caucasoïde : alpine, méditerranéenne et nordique. La première est peu répandue hors de France, la deuxième l’est au contraire sur tout le pourtour de la Méditerranée, au Proche-Orient comme en Afrique du nord. La troisième, qu’on appelait naguère « race aryenne », jouit d’un grand prestige depuis Gobineau et, si elle existe hors d’Europe dans les peuples indo-européens, elle y est presque toujours très diluée. Comme on sait, les nordiques sont de grands dolichocéphales aux cheveux blonds ou roux, aux yeux bleus, à la peau claire. Un certain courant de pensée, qui semble avoir des accointances inavouées avec l’idéologie hitlérienne, affirme que c’est le sang nordique qui définit l’Europe. L’ennui de cette théorie, c’est que la proportion de celui-ci varie considérablement selon les pays et surtout que l’on ne peut pas réduire la culture à la race ou à la sous-race. La forte prévalence de la sous-race nordique dans le monde russe explique sans doute en grande partie la proximité de cette civilisation avec la nôtre, mais elle ne suffit pas à les confondre.

8. La confusion entre Indo-Européens et « Européens »

Il est encore plus absurde de confondre les « Européens » avec les Indo-Européens. Tous les Européens ne sont pas des Indo-Européens : la Finlande, l’Estonie et la Hongrie parlent des langues finno-ougriennes et les Basques d’Espagne ou de France parlent une langue particulière qui n’est pas indo-européenne. Tous les Indo-Européens ne sont pas européens : comme le nom conventionnel d’Indo-Européen l’indique, on les trouve également en Inde, mais ils ne sont pas seulement là en Asie, ils sont aussi en Iran et en Arménie.
Lorsque les Proto-Indo-Européens qui vivaient au nord de la Mer Noire sont partis il y a 5.000 ans à la conquête du monde, au début de l’âge du bronze, ils sont allés dans toutes les directions, autant en Asie qu’en Europe. Et ils ont été à l’origine de quatre des six civilisations du monde contemporain : les Indo-Aryas, du monde indien ; les Perses, de l’Orient ; les Francs, de l’Occident ; les Russes, du monde russe. Il n’y a pas une civilisation indo-européenne, il y en a quatre, et l’Europe est partagée entre trois d’entre elles : l’Occident, l’Orient et le monde russe.
Ajoutons que le monde indo-européen est divisé en deux selon des critères à la fois linguistiques et biologiques. Le malheur, pour les tenants de la thèse d’une « Europe » qui trouverait une unité et une identité dans ses origines indo-européennes, c’est que, dans cette bipartition, la Russie se trouve classée avec l’Inde et l’Iran, donc en Asie ! En effet, l’évolution phonétique à partir du proto-indo-européen nous fait distinguer, à l’est, les langues satem : balto-slaves, indo-iraniennes, arménienne, et, à l’ouest, les langues centum (prononcer kêntoum) : germaniques, celtiques, romanes, albanaise, grecque, catégories dénommées respectivement d’après le nombre « cent » en avestique (langue iranienne) et en latin (langue italique, origine des langues romanes, dont le français). Or, la division satem/centum coïncide avec la diffusion différentielle des haplogroupes paternels (relatifs au chromosome Y) caractéristiques des Indo-Européens : R1a à l’est, chez les Indo-Iraniens, les Baltes et les Slaves : R1b à l’ouest chez les autres peuples indo-européens, avec un certain mélange en Europe centrale. Les Arméniens sont la seule exception, qui sont satem et plutôt R1b, mais il est probable que leur langue était centum à l’origine, comme celles des « Peuples de la mer » qui ont ravagé le Proche-Orient au XIIe siècle av. J.-C. et dont ils faisaient partie, et qu’elle a évolué sous l’influence du substrat ourartéen, ainsi que du voisinage iranien.
Pour compléter la démonstration, nous mentionnerons pour mémoire les Hittites et les Tokhariens, branches disparues de la famille indo-européenne, qui occupaient respectivement l’Asie mineure et l’actuel Sin-Kiang, et qui étaient à la fois centum et R1b.

9. L’idéologie de la « construction européenne »

Le projet d’États-Unis d’Europe conçu au XVIIIe siècle par l’abbé de Saint-Pierre, repris au XIXe par Victor Hugo, a été relancé au XXe siècle par le métis austro-japonais Richard de Coudenhove-Kalergi et c’est un agent américain, Jean Monnet, « l’inspirateur », disait de Gaulle, qui l’a mis en œuvre avec la création de la CECA, Communauté européenne du charbon et de l’acier, en 1951. L’échec de cette dernière n’a pas empêché le projet de prospérer, une fois mis sur les rails, pour devenir la Communauté économique européenne, puis l’Union européenne. Dans la vision cosmopolite de Monnet, cette Europe unie ne devait être qu’une étape vers l’État mondial. Mais pour beaucoup de ses partisans, elle est un but en soi.
C’est un projet ambivalent. Dans un premier sens, l’Europe existerait déjà depuis des siècles et il ne s’agirait que de réunir ce qui n’aurait jamais dû être séparé, en effaçant les nations, ou, au mieux, en les réduisant au niveau de simples provinces d’un État fédéral. Dans un second sens, c’est la construction européenne qui créera l’Europe et celle-ci sera l’aboutissement merveilleux d’un processus d’unification qui fera la synthèse des meilleurs éléments culturels et spirituels des nations disparues.
Dans un cas comme dans l’autre, on nage dans l’utopie et on nie l’identité. L’Europe n’étant qu’une expression géographique, la « construction européenne » est artificielle. Et même si elle s’était limitée aux nations occidentales, et donc si l’Union européenne ne comprenait pas la Grèce, Chypre, la Bulgarie et la Roumanie, elle ne pourrait construire qu’un empire au dessus des nations et celui-là dévitaliserait celles-ci. La « construction européenne » relève du « constructivisme » dénoncé par Hayek, elle est contraire à la réalité sociale, qui est fondée sur les traditions.
Il pourrait y avoir un empire européen, mais il ne peut y avoir de « nation européenne ». Qu’est-ce que la nation, en effet ? C’est une communauté de destin historique fondée sur les liens du sang et constituée autour d’une ethnie prépondérante sur un territoire continu. Ce qui manque, ici, c’est l’ethnie prépondérante. Hitler a bien essayé de créer un IIIe Reich, qui aurait été plutôt du reste un empire qu’une nation, autour de l’ethnie allemande, mais son coup a raté, et on ne voit pas aujourd’hui quelle nation ou quelle ethnie pourrait tenter à nouveau l’entreprise.
Après la guerre, cependant, de nombreux responsables ou militants hitlériens se sont reconvertis sans encombre dans la « construction européenne » derrière Walter Hallstein, qui avait été membre de l’Association des juristes socialistes-nationaux et qui fut le premier président de la Commission de la Communauté économique européenne, de 1958 à 1967 (on l’appelait la Commission Hallstein). Hallstein est considéré comme l’un des « pères de l’Europe »… et l’Union européenne est parfois qualifiée de Quatrième Reich !
On nous dit : « Le nationalisme, c’est la guerre » (Mitterrand). Ou encore : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens ; le nationalisme, c’est la haine des autres » (de Gaulle). Ce sont des fariboles. Les hommes ont toujours fait la guerre, et les guerres civiles ou les guerres de religion n’ont pas été moins cruelles, bien au contraire, que les guerres entre les nations. Du reste, au XXe siècle, avec la seconde guerre mondiale et après celle-ci, ce sont des idéologies, fascisme, communisme, libéralisme, qui se sont combattues, plutôt que des nations.
On peut même avancer que l’idéal de la nation inculque aux hommes un sentiment communautaire qui apaise les tensions entre les classes et les groupes. La nation, c’est la paix ! Et les diverses nations du monde peuvent cohabiter pacifiquement à l’abri des frontières qui les séparent. En revanche, les empires, qui nient par définition le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », sont déchirés par des luttes intestines et entretiennent des antagonismes latents qui peuvent déboucher sur les pires violences. On l’a bien vu à la fin de la Yougoslavie, ce mini-enpire qui a éclaté en 1991, et dont la fin s’est traduite par le cortège des horreurs du nettoyage ethnique. Il est donc plus juste de déclarer : l’empire, c’est la guerre !
Il n’est pas plus sensé d’opposer patriotisme et nationalisme. Question de définition, sans doute, mais, ce faisant, on aboutit inévitablement à saper l’idéal de la nation en le frappant d’un soupçon d’illégitimité. Il peut y avoir de petites patries locales ou provinciales, mais la grande patrie, c’est nécessairement la nation et il ne peut y en avoir une autre au dessus d’elle.
La « construction européenne » est un idéal fallacieux dont le contenu objectif est purement négatif. Elle est dirigée contre les nations, leur identité et leur souveraineté. L’européisme est une manifestation et un instrument du cosmopolitisme.

10. L’hostilité à l’Amérique

Une bonne partie des européistes, bien que ce ne fût certes pas le cas de Jean Monnet, veut que l’Europe s’unisse pour faire pièce aux États-Unis d’Amérique. Certes, il y a de bonnes raisons de s’opposer à l’impérialisme yanki, sur le plan poltique, et à l’américanisation de nos sociétés, sur le plan culturel. Mais ce n’est pas une raison, comme le fait absurdement la PND, prétendue nouvelle droite, pour nier que les États-Unis appartiennent à l’Occident, tout autant que l’Angleterre qui les a enfantés. Cette thèse aberrante témoigne d’une confusion des genres entre la politique et la culture. Une civilisation est une réalité culturelle, nullement une entité politique. François Ier, roi de France, pouvait s’allier au Grand Turc contre Charles Quint, empereur d’Allemagne, dans l’intérêt de la nation sans renier sa civilisation. De même, on peut soutenir que la France doit s’allier à la Russie contre l’Amérique sans nier que celle-ci soit occidentale et sans affirmer que celle-là l’est.
L’hostilité à l’impérialisme américain peut aussi conduire à souhaiter une Europe des nations, non pas une fédération, évidemment, ni même une confédération, mais une alliance économique, politique et militaire entre États souverains. La fusion de ceux-ci dans une Europe supranationale ne ferait que les affaiblir tous. Le pouvoir technocratique qui s’est déjà formé avec la Commission de Bruxelles est, par nature, incapable de mener une grande politique. N’oublions pas que Jean Monnet, l’inventeur de l’Europe, était un agent américain. Jamais l’Europe n’avait été aussi supranationale et jamais elle n’avait été aussi soumise à l’impérialisme yanki qu’elle ne l’est aujourd’hui, comme la guerre en Ukraine l’a prouvé depuis 2022.
Contre l’impérialisme américain, il nous faut plus de nation, et moins d’Europe.

Conclusion : le mythe européen contre l’identité nationale

Toutes les raisons invoquées en faveur de l’unité de l’Europe ou de la « construction européenne » sont fallacieuses. L’Europe est une utopie, la nation est une réalité. Le mythe européen est essentiellement antinational et donc cosmopolite. Consciemment ou non, ses promoteurs et ses partisans sont des ennemis des nations, dont ils cherchent à détruire l’identité et la souveraineté. Il n’y a pas d’identité européenne, en sorte que les jeunes Français soi-disant « identitaires » qui proclamaient en anglais – dans la langue de l’impérialisme et du cosmopolitisme –, « Defend Europe ! » (« Défendez l’Europe »… et non l’Occident, la nation ou la France) pour combattre l’immigration extra-européenne – ce qui était en soi une œuvre pie –, et qui se réclamaient absurdement d’une identité européenne imaginaire sous l’influence de la funeste PND, étaient en réalité des anti-identitaires, ennemis de l’identité réelle, qui est nationale, et ils étaient donc objectivement cosmopolites.
L’Europe supranationale ne peut être qu’un magma technocratique, dépourvu de toute légitimité démocratique, et inféodé à l’Amérique. Ce projet utopique est heureusement voué à l’échec. Son effondrement est certain, tant il va contre les réalités. Mais le plus tôt sera le mieux. L’Angleterre nous a montré l’exemple avec le Brexit décidé par référendum en 2016. Nous devons militer pour que la France sorte aussi de l’Union européenne et, évidemment, de la monnaie unique européenne, l’euro. Il est de notre devoir de patriotes et de nationalistes de défendre l’identité et la souveraineté de la nation. Et pour cela, il faut détruire l’Union européenne.
Vive la nation ! Vive la France !

Remarque : une vidéo tirée de cet article a été mise en ligne le 20 décembre 2022 sur la chaîne YouTube « Henry de Lesquen » et reprise sur la chaîne Odysee du même nom.

« Nul n’est méchant volontairement », remarques sur une théorie de Platon

Le philosophe Platon, par Joseph de Ribera (1637)

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          I – La responsabilité des philosophes

          S’il est vrai que « la philosophie occidentale n’est qu’une longue suite de notes en bas de page sur l’œuvre de Platon »[1], il serait intéressant d’étudier les positions de l’auteur de La République et des Lois à propos de la justice et des peines. On se contentera d’évoquer ici la célèbre théorie de Platon sur la responsabilité morale : « Nul n’est méchant de son plein gré et avec intention, mais seulement par l’effet de son ignorance.« [2] Léon Robin signale de nombreux passages où l’idée apparaît[3]. On la trouve aussi bien dans les premiers écrits (les deux Hippias, le Protagoras) que dans le dernier, les Lois. C’est donc une doctrine constante chez Platon. « Le savoir, dit-il, est une belle chose, et capable d’exercer sur l’homme une autorité (…). Dans le cas précis où l’on connaît ce qui est bien et ce qui est mal, il n’est pas possible que rien ait sur lui le dessus, au point de nous faire agir autrement que ne nous le prescrit ce savoir. » (Protagoras, 352 c) On ne fait le mal que par ignorance, « car nous voulons le bien » (Gorgias, 468 c). Mais, de plus, « c’est involontairement… que toute âme ignore tout ce qu’elle ignore » (Le Sophiste, 228 c). Par conséquent, « nul n’est méchant volontairement« .

          Or, l’ignorance est une « maladie de l’âme, au même titre que la folie » (Timée, 86 b). Celui qu’on veut regarder comme un « méchant volontaire » est donc en réalité un malade : « Vertu, c’est pour l’âme… une sorte de santé, de beauté, de vigueur ; vice en est maladie, laideur, faiblesse. » (La République, IV, 444 d-e) Ce que le vulgaire appelle « perversité » est en réalité une maladie (Le Sophiste, 228 d).

          Georges Dumézil a donné une nouvelle interprétation, simple et naturelle, des dernières paroles de Socrate : « Ô Criton, nous devons un coq à Asklépios, payez la dette et n’oubliez pas ! » (Phédon, 118 a)[4] On comprend généralement que Socrate se félicite d’être délivré de la vie, qu’il considère comme une maladie, et qu’il veut en remercier Asklépios-Esculape, le dieux des médecins. Cependant, « Socrate n’est pas bouddhiste. La vie, pour lui, était un temps d’épreuves et de peines, mais aussi de chances et de joies. » Il faut se rappeler que Criton a voulu le faire fuir de sa prison. Or, Socrate doit mourir « pour se conformer aux lois, même injustement utilisées par l’autorité légitime« . Ce que lui propose Criton est une faute qui, comme toutes les fautes, repose sur une opinion erronée. « La maladie qui fait dépérir le corps est… la sœur jumelle de l’opinion fausse qui corrompt l’âme… La guérison qui vaut un coq à Asklépios, c’est celle de Criton lui-même… Criton, convaincu, se range au parti des lois : il est guéri.« 

          Finalement, il faut plaindre le criminel : « Il est au contraire digne de pitié, l’homme qui fait le mal, aussi bien que celui qui est la proie d’un mal » (Les Lois, 731 d). Le méchant n’est pas responsable de ses actes, qu’il faut imputer soit à l’hérédité, soit au milieu : « Ceux qu’il en faut accuser, ce sont les auteurs de la naissance, toujours, plutôt que les enfants nés d’eux ; puis ceux qui les élèvent, plutôt que les élèves eux-mêmes » (Timée, 87 b).

          Platon semble donc invoquer le strict déterminisme du monde phénoménal pour nier la responsabilité. En réalité, sa théorie paradoxale de la « faute involontaire » ne fait pas disparaître la notion de faute, ni le besoin d’expiation, et se prête à des interprétations contradictoires. Selon Schopenhauer, Platon aurait résolu le premier l’antinomie de la liberté et de la nécessité, dans le langage symbolique du mythe. Dans l’histoire d’Er le Pamphylien, à la fin de La République, nous apprenons que les âmes choisissent leur destinée ; une fois ce choix fait, elles suivent la loi de la nécessité qui régit le monde matériel[5]. Il n’y aurait aucune raison de penser, contrairement à ce qui nous est dit dans La République, que le mythe d’Er soit une invention de Socrate ou de Platon ; sans doute exprimait-il à l’origine cette croyance, traditionnelle en Europe, que l’homme ne subit pas son destin, mais qu’il l’accomplit librement. Mais la version qu’en donne Platon est quelque peu différente ; la décision des âmes n’est pas vraiment libre, car elle est conditionnée par l’expérience acquise dans la vie antérieure. Sur un plan plus élevé, on constate donc, à nouveau, que le mal ne peut provenir que de l’ignorance. Cette doctrine est pratiquement identique à celle de l’hindouisme (notions de karma et de samsâra), dont Platon est probablement tributaire par l’intermédiaire de Pythagore. Elle altère profondément notre conception de l’homme[6].

          La notion de faute involontaire semble contradictoire à un esprit occidental. Il est naturel que beaucoup aient tiré du principe que « nul n’est méchant volontairement » la conclusion que nul n’est coupable, considérant qu’on ne saurait commettre une faute sans l’avoir voulu. Dans cette perspective, il est tentant de proclamer l’innocence absolue de l’homme. Pour Jean-Jacques Rousseau, l’homme est naturellement bon ; c’est la société qui le corrompt. C’était déjà la position de l’hérésiarque Pélage (mort vers 422), qui contestait le péché originel. La doctrine du péché originel a pour fonction de justifier la présence du mal dans le monde, alors que Dieu est tout-puissant et infiniment bon. D’abord, pour le mal que subit l’homme, victime apparemment innocente. Ensuite – c’est là qu’on en vient à la responsabilité des criminels -, pour le mal dont l’homme lui-même est l’auteur, alors qu’il a été créé à l’image de Dieu. La pensée de la gauche, qu’elle soit socialiste ou cosmopolite, a hérité de ce pélagianisme. Pour elle, en particulier, le criminel n’est pas vraiment coupable de son acte ; c’est, au fond, la société qui en est responsable ; il n’y a plus de péché que le péché social (le concept de péché social appartient à la soi-disant théologie de la libération, gnose marxiste du christianisme moderne).

          Le pélagianisme a, sans doute, puisé à d’autres sources que l’œuvre de Platon et doit beaucoup à la tradition gnostique, selon laquelle l’homme est une parcelle de la divinité et a été « jeté » malgré lui dans un monde pervers. Mais la doctrine de la faute involontaire, chez Platon, est une pièce essentielle dans un système collectiviste inspiré par une pensée rationaliste (ou constructiviste au sens de Hayek). A ce titre, le « divin » philosophe est bien l’ancêtre des idéologues de la gauche[7].

          En ce qui concerne toutefois les conséquences pratiques de la notion de faute involontaire, Platon est relativement hésitant, quand il distingue deux sortes de « méchants » : « S’il est loisible… de prendre en pitié celui dont le mal est guérissable, de le traiter avec douceur…, en revanche, à l’égard d’un pécheur et d’un méchant qui sont réfractaires à toute influence modérative et à toute exhortation, il faut lâcher bride à sa colère. » (Les Lois, 731 d) Pour les premiers, la rééducation ; pour les seconds, la punition. La nécessité de la peine n’est donc pas supprimée, bien que le crime soit « involontaire », parce qu’elle demeure un moyen de dissuasion (et peut-être aussi, pour Platon, d’expiation), vis-à-vis de ceux qu’on ne peut espérer amender.

          Dans la pure conception de la gauche, le châtiment est illégitime, dès lors que le crime est le symptôme de l’exploitation capitaliste. Tout change au lendemain de la révolution. Le criminel devient alors un témoin de la réaction, qui s’oppose à la construction de la société parfaite. L’acte du criminel est le même en apparence, mais le jugement sur la société a changé. Avant, le mal était transféré de l’homme à la société ; après, il est au contraire transféré de la société à l’homme et les délits politiques sont regardés comme des crimes de droit commun.

          II – La victime et le bourreau

          Partant des mêmes prémisses, on peut aboutir à des conclusions radicalement différentes. C’est ce que montre l’exemple de Joseph de Maistre, un des principaux représentants modernes de la gnose contre-révolutionnaire, avec Guénon et Evola. Dans sa « profession de foi » des Soirées de Saint-Pétersbourg[8], il établit, après Platon, que nul n’est méchant volontairement :

          « Nul être intelligent ne peut aimer le mal naturellement (…). Si donc l’homme est sujet à l’ignorance et au mal, ce ne peut être qu’en vertu d’une dégradation accidentelle, qui ne saurait être que la suite d’un crime. Ce besoin, cette faim de science, qui agite l’homme, n’est que la tendance naturelle de son être, qui le porte vers son état primitif et l’avertit de ce qu’il est[9]. Il gravite… vers les rayons de lumière…

          « Il cherche dans le fond de son être quelque partie saine sans pouvoir la trouver : le mal a tout souillé, et l’homme entier n’est qu’une maladie (Hippocrate). …Centaure monstrueux, il sent qu’il est le résultat de quelque forfait inconnu, de quelque mélange détestable qui a vicié l’homme jusque dans son essence la plus intime. »

          Dans cette dégradation, l’homme a perdu la volonté nécessaire pour agir : « …L’homme se sent blessé à mort. Il ne sait ce qu’il veut, il veut ce qu’il ne veut pas ; il ne veut pas ce qu’il veut ; il voudrait vouloir. Il voit dans lui quelque chose qui n’est pas lui et qui est plus fort que lui.« 

          Sans doute ne reste-t-il pas dans l’ignorance de son état : « Tous les (autres) êtres… sont dégradés, mais ils l’ignorent ; l’homme seul en a le sentiment, et ce sentiment est tout à la fois la preuve de sa grandeur et de sa misère, de ses droits sublimes et de son incroyable dégradation. » Il a conscience de ses péchés sans avoir la force de s’en détourner. Joseph de Maistre cite Ovide à ce propos : « Je vois le bien, je l’aime, et le mal me séduit. » Mais cette connaissance du bien et du mal est limitée : « Vous n’éprouverez, j’espère, nulle peine à concevoir qu’une intelligence originellement dégradée soit et demeure incapable (à moins d’une régénération substantielle) de cette contemplation ineffable que nos vieux maîtres appelèrent fort à propos vision béatifique… tout comme… un œil matériel, substantiellement vicié, peut être incapable, dans cet état, de supporter la lumière du soleil. Or, cette incapacité de jouir du SOLEIL est, si je ne me trompe, l’unique suite du péché originel que nous soyons tenus de regarder comme naturelle et indépendante de toute transgression actuelle.« 

          Joseph de Maistre insiste beaucoup sur l’idée que le mal est toujours un châtiment voulu par la justice divine, comme conséquence du péché originel[10]. La justice humaine, lorsqu’elle est bien conduite, ne fait que suivre les préceptes sacrés. Il cite à ce propos les Lois de Manou : « Que le roi donc… inflige les peines justement à tous ceux qui agissent injustement… Le châtiment gouverne l’humanité entière ; le châtiment la préserve… Le sage considère le châtiment comme la perfection de la justice. Qu’un monarque indolent cesse de punir et le plus fort finira par faire rôtir le plus faible. La race entière des hommes est retenue dans l’ordre par le châtiment ; car l’innocence ne se trouve guère, et c’est la crainte des peines qui permet à l’univers de jouir du bonheur qui lui est destiné… Il n’y aurait que confusion parmi les hommes, si la peine cessait d’être infligée ou l’était injustement ; mais lorsque la Peine, au teint noir, à l’œil enflammé, s’avance pour détruire le crime, le peuple est sauvé si le juge a l’œil juste« [11].

          Le mal, ou le châtiment – c’est tout un -, est un remède voulu par Dieu[12]. Le criminel, pour de Maistre, est donc bien en un sens un malade, mais il se trouve que c’est le bourreau qui est chargé d’exécuter l’ordonnance. « Qu’est-ce donc que cet être inexplicable qui a préféré à tous les métiers… celui de tourmenter et de mettre à mort ses semblables ?… Il arrive sur une place publique couverte d’une foule pressée et palpitante ; on lui jette un empoisonneur, un parricide, un sacrilège : il le saisit, il l’étend, il le lie sur une croix horizontale, il lève le bras, alors il se fait un silence horrible, et l’on n’entend plus que le cri des os qui éclatent sous la barre et les hurlements de la victime… Il a fini : le cœur lui bat, mais c’est de joie, il s’applaudit, il dit dans son cœur : Nul ne roue mieux que moi… Nul éloge moral ne peut lui convenir… et cependant toute grandeur, toute puissance, toute subordination reposent sur l’exécuteur ; il est l’horreur et le lien de l’association humaine. Ôtez du monde cet agent incompréhensible ; dans l’instant même, l’ordre fait place au chaos, les trônes s’abîment et la société disparaît« [13].

          III – La droite, la gauche et le péché originel[14]

          Les Anciens inclinaient à croire que de grands crimes avaient été commis par les fondateurs de la Cité. C’est ainsi que Romulus, après avoir tracé les limites de Rome, se rend coupable de fratricide sur la personne de Rémus. Horace, après avoir donné Albe à sa patrie, met à mort sa sœur Camille.

          La doctrine du péché originel, dans la religion chrétienne, n’est pas sans analogie avec le mythe de la faute primordiale. L’une et l’autre révèlent que l’on ne peut vivre innocemment dans ce monde. Cette conception tragique de la nature humaine est réaliste, plutôt que pessimiste. Si on la refuse, on verra dans l’homme un être irresponsable, entraîné dans le courant de l’histoire, toujours victime et jamais auteur du mal. Ou bien, au contraire, un être doté d’un libre arbitre inconditionné, qui fait de chacun un commencement absolu ; monade sans racines, donc sans fidélité, l’homme aurait alors le droit inaliénable de se révolter contre les normes artificielles qu’on cherche à lui imposer de l’extérieur, comme pour le réduire en esclavage ; il ne pourrait pas être auteur du mal, puisqu’il se situerait par delà bien et mal et qu’en faisant ce qui est considéré comme le mal, il accomplirait sa propre nature, ce qui en soi ne peut être que bien.

          La doctrine de la faute ou du péché originel, quelle qu’en soit l’interprétation exacte, est donc indissociable de la conception de l’homme qui prédomine dans la tradition occidentale. Toutefois, celle-ci suppose en outre que la responsabilité soit portée, en dernière analyse, par des hommes et non par des groupes, qu’elle soit individuelle et non collective.

          En effet, la théorie de l’état de nature et de la chute dans l’état social selon les philosophes, Jean-Jacques Rousseau en particulier, se laisse traduire en termes de péché social et de responsabilité collective pour cette faute primordiale de l’homme.

          D’un autre côté, la théorie du péché originel, chez Joseph de Maistre, semble impliquer la notion de responsabilité collective, car cet auteur croit que non seulement la faute de nos premiers parents, mais aussi les vices apparus par la suite, s’accumulent de génération en génération, par hérédité des caractères acquis…

          En forçant à peine le trait, on pourrait dire que si, pour Rousseau, tout criminel est innocent, pour de Maistre, tout innocent est criminel. Opinions opposées sans aucun doute, mais qui, l’une et l’autre, obscurcissent les notions d’innocence et de culpabilité et diluent la responsabilité de l’homme.

          La responsabilité authentique, dans la civilisation occidentale, est celle de l’homme qui, maître de lui-même et fidèle à ses traditions, peut répondre de soi. Elle est, en dernière analyse, individuelle et non collective. La faute de Romulus ne retombe sur les Romains que dans la mesure où ils acceptent les devoirs de la cité, tout en jouissant de sa grandeur. De même, le péché originel n’est pas seulement celui d’Adam et d’Ève, mais aussi celui de chaque homme en particulier, qui a hérité d’une nature peccable. C’est pourquoi, répondant à Platon, Saint Augustin pouvait dire : « On appelle homme de bien, non celui qui connaît le bien, mais celui qui l’aime.« [15]

          Il ne revient pas à un gouvernement de décider de la valeur morale des gens. Certes, on peut reconnaître avec Joseph de Maistre que « l’occasion ne fait point le méchant, elle le manifeste« [16], car « la responsabilité morale de l’homme porte à vrai dire d’abord et ostensiblement sur ce qu’il fait, mais au fond, sur ce qu’il est » (Schopenhauer)[17]. Mais la justice humaine ne doit punir que pour un crime effectivement commis. Seule la justice divine peut nous punir pour les crimes que nous aurions pu commettre. A la première, il n’appartient que de juger les actes. A la seconde, il revient de juger les âmes.

Notes


[1]   Alfred North Whitehead, cité par Mircea Eliade dans Méphistophélès et l’androgyne, Gallimard, 1962.

[2]   Platon, Œuvres complètes, traduction et notes de Léon Robin, Gallimard, N.R.F., La Pléiade, 2 t., 1950. Voir t. 1, note en page 1456. La citation ne renvoie pas à un passage précis de la traduction, mais en paraphrase plusieurs de sens voisins.

[3]   Le Petit Hippias, 376 b ; Le Grand Hippias, 296 c ; Protagoras, 345 d-e, 352 c, 358 c-d ; Gorgias, 468 c, 509 e ; Ménon, 78 a ; La République, II, 382 a ; III, 413 a ; IV, 444 d ; IX, 589 c ; Le Sophiste, 228 c ; Timée, 86 d ; Les Lois, V, 731 c ; 734 b ; IX, 860 d.

[4]   Divertissement sur les dernières paroles de Socrate, Gallimard, N.R.F., 1984, qui figure dans le même volume que « …Le Moyne noir en gris dedans Varennes, « sotie nostradamique » (!).

[5]   Voir à ce propos Henry de Lesquen et le Club de l’Horloge, La Politique du vivant, Albin Michel, 1979, p. 286.

[6]   La théorie de Platon « se trouve déjà, avec la métempsycose, dans le brahmanisme« , dit Schopenhauer (Le Fondement de la morale, Aubier-Montaigne, 1978, p. 85). Mais ce n’est pas sans abus qu’il l’assimile à la théorie de Kant sur le « caractère intelligible ».

[7]   Voir la critique féroce de Vilfredo Pareto dans Les Systèmes socialistes, Droz, Genève, 1978.

[8]   Joseph de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, 2 t., Guy Trédaniel, Ed. de la Maisnie, 1980. Voir le Deuxième Entretien, t. 1, p. 67 s.

[9]   La formule est typiquement gnostique. On comparera à celle-ci, tirée des Actes de Thomas : « Me chercher moi-même et connaître qui j’étais et qui je suis afin de redevenir ce que j’étais. » (Cf. Henri-Charles Puech, En Quête de la gnose, 2 t., Gallimard, 1978. Cité en exergue du t. 1.)

[10]   Joseph de Maistre, op. cit., t. 1, pp. 61, 66, 202.

[11]   Ibid., t. 1, pp. 30-31.

[12]   Ibid., t. 1, p. 25 ; t. 2, p. 130.

[13]   Ibid., t. 1, pp. 32-34. Voir aussi t. 2, pp. 4-7.

[14]   Titre de l’ouvrage de Léo Moulin, Librairie des Méridiens, 1984.

[15]   Cité dans le Club de l’Horloge, Socialisme et religion sont-ils compatibles ?, Albatros, 1986, p. 71.

[16]   Op. cit., t. 2, p. 130.

[17]   Cité dans La Politique du vivant, op. cit., p. 298.

Les bienfaits de la colonisation française

Illustration : Les délégués des Colonies et monsieur Jules Ferry, novembre 1892, par Frédéric Régamey.

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Après la perte de l’essentiel de son empire colonial en Amérique du Nord et en Inde consécutive à la Guerre de Sept Ans (1756-1763), puis sous Napoléon Ier, la France a entamé une nouvelle entreprise coloniale en 1830. Ce nouvel empire, composé de colonies à proprement parler, de protectorats, de concessions et de mandats, s’étendait sur 12.347.000 km² à son apogée durant l’entre-deux-guerres, soit près de 10 % de la surface terrestre émergée du globe, comprenant notamment l’Algérie après la prise d’Alger (1830), l’Indochine (1863), la Tunisie (1881), Madagascar (1885), l’Afrique-Occidentale française (1895), l’Afrique-Équatoriale française (1910), le Maroc (1912), le Cameroun et le Togo (1919), ainsi que le Liban et la Syrie (1920). Si le premier empire colonial, qui coïncidait avec une phase d’expansion démographique importante, avait donné lieu à une colonisation de peuplement, comme en atteste l’envoi par Louis XIV vers la Nouvelle-France des « filles du Roy », l’empire que la France s’est constitué à partir de la Restauration a été bâti alors qu’elle n’avait gagné que 7 millions d’habitants entre 1830 et 1914, passant de 33 à 40 millions d’habitants. L’Algérie, colonie de loin la plus peuplée, comptait au maximum près d’un million d’Européens, toutes nationalités occidentales confondues, pour une population totale passant de 3 à 12 millions d’habitants entre 1830 et 1962. Il n’y eut donc pas de grand remplacement des autochtones, ni a fortiori de populicide. S’ils étaient relativement peu nombreux, les colons français n’en ont pas moins accompli une tâche immense, de telle sorte qu’on peut à bon droit affirmer que la colonisation française fut une grande œuvre civilisatrice dont nous pouvons être fiers et dont les peuples colonisés ont toutes les raisons de nous être reconnaissants.

La conquête du second empire colonial français a commencé sous Charles X. Il s’agissait en premier lieu d’une expédition française visant à mettre un terme aux attaques des corsaires et des pirates barbaresques, qui, en partance des ports d’Afrique du Nord, prenaient d’assaut les vaisseaux chrétiens et les côtes européennes depuis le Moyen Âge, pillaient la rive nord de la mer Méditerranée et réduisaient les Européens en esclavage. Dans un second temps, après de nombreux incidents, parmi lesquels le massacre des marins de la frégate française Duchesse de Berry, dont les têtes coupées furent vendues à Alger, et le bombardement du bâtiment de la marine royale française La Provence, la France s’est décidée à prendre Alger. Forte de son illustre et longue histoire militaire et ayant entamé son essor industriel, la France s’est imposée d’autant plus nettement qu’elle n’a pas rencontré de front uni. Ainsi, selon Bernard Lugan : « La rapidité de la conquête s’explique d’abord et surtout parce que les colonisateurs n’eurent jamais face à eux une résistance globale, car il n’y eut à aucun moment la moindre solidarité entre les peuples africains. Plus encore, quand la conquête coloniale renversait des empires, leur écroulement se faisait dans l’allégresse de ceux qui avaient été exploités, d’où les aides que les Européens obtinrent lors de chaque résistance ethno-nationale ». Cela valait aussi pour l’Algérie, où les autochtones entendaient profiter de la présence française pour se débarrasser de l’influence ottomane déclinante. La France a procédé par la suite à la conquête de l’Algérie, territoire en proie aux razzia tribales. Elle a adjoint à l’Algérie, qui n’était ni un État, ni une nation, le Sahara que celle-ci n’avait jamais possédé.

Il est à cet égard très excessivement fait grief à la France d’avoir fait emploi de la force armée dans le cadre de ses efforts de pacification. Daniel Lefeuvre note ainsi que même Pélissier de Reynaud, arabophile auteur des Annales algériennes (1854), « si compréhensif d’ordinaire à l’égard des Algériens, assure pourtant “qu’ils ne font jamais de prisonniers et qu’à quelques rares exceptions près, ils égorgent tout ce qui leur tombe sous les mains» et qu’il « salue d’ailleurs “comme une amélioration dans les mœurs arabes [qui] doit être remarquée, qu’en décembre 1835, pour la première fois, les Hadjoutes introduisirent dans la guerre un principe d’humanité jusqu’alors méconnu des Arabes dans leurs démêlés avec nous : ils firent des prisonniers ». Lefeuvre note qu’il en est de même dans « les Récits de Kabylie d’Émile Carrey, à propos, cette fois, des Kabyles : “C’est leur coutume sauvage d’achever tout blessé et d’emporter sa dépouille comme un trophée de victoire ». À propos de l’usage français de la force, Charles de Gaulle remarquait lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Naturellement, tant que la colonisation était la seule voie par laquelle il était possible de pénétrer des peuples repliés dans leur sommeil, nous fûmes des colonisateurs, et quelquefois impérieux et rudes. Mais, au total, le bilan de ce que nous avons donné aux autres est largement positif pour toutes les nations où nous l’avons fait. […] Pour ce qui est de nous Français, il est clair que la politique des Gentil, des Brazza, des Gallieni, des Sarraut, des Lyautey, des Ponty, qui a toujours tendu à élever les populations où leur action s’exerçait, les ont conduites à mesurer ce qui était leur possibilité nationale. ». L’effort de pacification accompli par la France a ainsi rendu possible que, « dans les années 1950, l’Afrique subsaharienne [fût] la partie du monde la plus paisible : ni guerre, ni coups d’État, ni massacres ethniques, ni réfugiés faméliques entassés dans des camps insalubres ». « Le continent ignorait alors les famines. […] Les métropoles se faisaient un point d’honneur de transformer leurs colonies en miroir de leur propre génie. Elles y réussissaient avec plus ou moins de bonheur, souvent avec des maladresses, parfois au prix d’injustices, mais, pour la première fois de son histoire, l’Afrique noire connaissait la paix », comme le note Bernard Lugan, ajoutant : « Depuis la décennie 1960, la région saharo-sahélienne a connu plusieurs guerres, toutes inscrites dans la longue durée historique. Qu’il s’agisse du Mali, du Niger, du Tchad ou du Darfour, nous étions en effet en présence d’autant de résurgences de conflits gelés par la colonisation. »

Si les différentes facettes de la supériorité stratégique et tactique française sont le moyen qui explique les conquêtes coloniales et la pacification qui s’en est suivie, on ne peut pour autant perdre de vue quels en étaient les objectifs. La France n’était en effet pas seule et, pour maintenir son rang, se devait de s’affirmer sur la scène internationale. Rivale séculaire du Royaume-Uni, autre puissance coloniale qui lui disputait ses conquêtes, ainsi que les mers, et, partant, les voies commerciales, la France a dû, dans la seconde moitié du XIXe siècle, faire face à la montée en puissance de la Prusse, puis de l’Allemagne unifiée, laquelle cherchait, au même titre que les autres puissances européennes, sa « place au soleil » dans le cadre de sa nouvelle Weltpolitik. Par ailleurs, après les découvertes réalisées grâce à l’exploration du continent américain et de l’océan Pacifique, et lors de l’expédition française en Égypte, les raisons de la colonisation étaient aussi d’ordre scientifique : il s’agissait notamment de cartographier, de recenser la faune et la flore, de faire des recherches historiques ou des fouilles archéologiques.

Cependant, le succès de la colonisation française s’explique aussi et dans une large mesure par l’engouement d’une partie de la population et des dirigeants français pour le « côté humanitaire et civilisateur de la question », pour reprendre les mots de Jules Ferry lors de son discours du 28 juillet 1885 à la chambre des députés, c’est-à-dire pour la mission civilisatrice qui sous-tendait le projet colonial français et qui était perçue comme ce que l’Anglais Rudyard Kipling appelait le fardeau de l’homme blanc, puis également comme une contrainte de souveraineté sur les territoires de l’empire. Ainsi, en 1860, Napoléon III déclarait-il, lors de son discours d’Alger, que « le but de la France doit être d’élever les Arabes à la dignité d’hommes libres, de répandre sur eux l’instruction, tout en respectant leur religion, d’améliorer leur existence en faisant sortir de cette terre tous les trésors que la Providence y a enfouis et qu’un mauvais gouvernement laisserait stériles ». Il s’agissait en effet d’apporter aux populations autochtones ce que la France avait accumulé au cours de sa longue histoire et qu’elle avait de plus précieux. Les travaux combinés de Raymond Cartier, de Jacques Marseille et de Bernard Lugan mettent ainsi en évidence qu’en 1960, au moment de l’indépendance, 3.800.000 enfants des colonies africaines étaient scolarisés et que, dans la seule Afrique noire, 16.000 écoles primaires et 350 écoles secondaires (collèges ou lycées) fonctionnaient. En 1960 toujours, 28.000 enseignants, soit le huitième de tout le corps enseignant français, exerçaient sur le continent africain. Loin de jalousement garder pour elle sa science et son savoir-faire, patrimoine intellectuel hors pair, la France a au contraire transmis le fruit de son expérience unique. Cet ensemble de savoirs dont elle a fait don forme, en plus du legs matériel, un legs immatériel inestimable. S’il est impossible d’en dresser une liste exhaustive, on se doit de mentionner l’évangélisation, remplaçant les croyances animistes, les rites barbares et les superstitions locales ; l’art, les mœurs et, plus largement, la culture française, qui faisait l’admiration de l’Europe et du monde ; le français, langue de référence mondiale depuis les traités de Westphalie en 1648 ; les progrès de la science, domaine, parmi tant d’autres, dans lequel la France est une nation phare ; la liberté ou encore les grands principes juridiques, administratifs et financiers, issus à la fois de l’Ancien Régime, de la Révolution, de l’Empire de Napoléon, de la Restauration, puis de la République. Il s’agit là sans conteste pour les populations de l’empire colonial français de l’un des plus grands transferts de connaissances et de l’un des plus grands sauts technologiques dans l’histoire de l’humanité.

Il convient ici de rappeler combien les populations autochtones apparaissaient primitives, pour ne pas dire arriérées au regard des Occidentaux. Les conquêtes coloniales françaises s’expliquent en effet aussi par l’écart de civilisation et de développement causé par la stagnation séculaire du continent africain avant la colonisation. C’est vrai pour l’Afrique du Nord, tour à tour dominée par les Romains, les Arabes, puis les Turcs, avant l’arrivée des Français. Ça l’est plus encore pour l’Afrique noire au sud du Sahara, qu’il faut distinguer des populations noires au sud de l’Égypte, qui étaient au contact du monde oriental. Bernard Lugan pose la question en ces termes : « Un des grands mystères de l’histoire de l’Afrique réside dans la constatation suivante : subitement, l’histoire s’arrête au sud du Sahara. Après l’apparition de l’homme moderne, l’Afrique subsaharienne, c’est-à-dire l’Afrique noire, accumule un retard qu’elle ne parviendra plus à combler. C’est en effet avec l’Homo sapiens sapiens que l’on suit l’émergence des civilisations qui se traduit par une quintuple invention : élevage, agriculture, céramique, métallurgie et écriture ; or, aucune de ces nouveautés n’est apparue d’abord en Afrique noire ». Cette Afrique noire n’avait en effet pas généralisé l’écriture, n’avait pas de corpus juridique élaboré ou de monnaie fiduciaire et l’utilisation de la charrue, de la traction animale et de moyens de transports sur roues y constituaient l’exception plutôt que la règle. Outre d’une agriculture à faible rendement, elle vivait en grande partie de la traite négrière qui était prioritairement interafricaine et à destination du nord de l’Afrique et du Proche-Orient. En effet, selon Olivier Grenouilleau : « La traite transatlantique est quantitativement la moins importante : 11 millions d’esclaves sont partis d’Afrique vers les Amériques ou les îles de l’Atlantique entre 1450 et 1869 et 9,6 millions y sont arrivés. Les traites que je préfère appeler “orientales” plutôt que musulmanes — parce que le Coran n’exprime aucun préjugé de race ou de couleur — ont concerné environ 17 millions d’Africains noirs entre 650 et 1920. Quant à la traite intrafricaine, un historien américain, Patrick Manning, estime qu’elle représente l’équivalent de 50 % de tous les déportés hors d’Afrique noire, donc la moitié de 28 millions. C’est probablement plus ». Dans ces conditions, les thèses selon lesquelles la colonisation aurait empêché le développement de l’Afrique paraissent absurdes.

Il découle des nobles motivations et des réussites dont nous venons de faire état que les Français peuvent à raison être fiers de ce que, loin de la patrie, leurs ancêtres colons ont accompli au service de la France et de son empire. Il n’en reste pas moins que, largement débitrices, les populations indigènes peuvent à juste titre être regardées comme redevables envers la France de son action.

Cette obligation apparaît particulièrement légitime lorsqu’on songe au fait que de nombreux descendants des peuples colonisés par la France doivent leur existence même aux progrès qu’elle a apportés. Les accomplissements de la médecine coloniale française et ses conséquences pour la santé et l’hygiène des populations sous son administration sont en effet indissociables de l’histoire de la colonisation française. Bernard Lugan relate ainsi : « L’œuvre accomplie par les médecins coloniaux français fut considérable. Ils débarrassèrent les Africains de la lèpre, de la rougeole, de la maladie du sommeil, du choléra, de la variole, de la fièvre typhoïde et ils leur donnèrent la quinine qui permettait de lutter contre la malaria. Cette médecine coloniale, héritière de l’École impériale de santé de Strasbourg forma à partir de 1856 les praticiens qui suivaient une spécialité à l’hôpital d’instruction du Val de Grâce. Après l’annexion allemande de l’Alsace, deux écoles de santé furent ouvertes, l’une à Lyon en 1889 et l’autre à Bordeaux en 1890. À partir de 1904, la dernière année de spécialisation se fit au Pharo à Marseille. Parmi ces bienfaiteurs de l’humanité, François Maillot (1804-1894) découvrit l’utilisation de la quinine, Alphonse Laveran (1845-1922) identifia l’hématozoaire agent du paludisme et reçut le Nobel de physiologie en 1907, Albert Calmette (1863-1933) fonda le laboratoire de l’hôpital de Saïgon en 1894, Alexandre Yersin (1863-1943) découvrit l’agent bactérien de la peste, le bacille de Yersin, Paul Simond (1858-1947) montra que les puces et les poux qui prolifèrent sur les rats sont les principaux vecteurs de la propagation de la peste. Georges Girard et Jean Robic, qui avaient été formés à l’École de Santé navale de Bordeaux, puis au Pharo, à Marseille et enfin à l’Institut Pasteur de Paris, furent nommés à Madagascar alors que la peste y exerçait des ravages. Ils y inventèrent un vaccin et, comme le temps pressait, car il fallait gagner la course contre la mort, ils se l’injectèrent, servant ainsi de cobayes humains ». Ce fut en particulier le cas en Algérie à partir de 1830 : « Quand, sous les ordres du maréchal de Bourmont et de l’amiral Duperré, une armée de 36.450 hommes débarqua à Sidi Ferruch, il n’y avait pas de médecins en Algérie. Cet art y était pratiqué par des soigneurs dans les bains maures et les accouchements étaient réalisés par des matrones, les qablat. Seule exception, certains consulats européens avaient monté des centres de soins. Avant la fin du mois de juin 1830, le service de santé des Armées ouvrit ses premiers centres destinés à la population civile. En 1853, le ministre de la Guerre créa les Médecins de colonisation, qui furent au nombre d’une centaine à la fin du XIXe siècle et qui œuvrèrent dans une soixantaine de circonscriptions, réduites au fur et à mesure de l’installation de médecins libéraux. […] En 1944, les médecins de colonisation devinrent médecins de la santé, puis, en 1951, médecins de l’assistance médico-sociale, aidés et secondés par des infirmières visiteuses coloniales. Ils éradiquèrent le typhus, firent reculer le paludisme et la syphilis, traitée efficacement après l’introduction de la pénicilline. Ils distribuèrent les sulfamides qui permirent de traiter le trachome. Ils firent reculer puis ils éradiquèrent la tuberculose et la rage. » La baisse de la mortalité générale et infantile en particulier et donc la hausse de l’espérance de vie ont ainsi permis aux peuples colonisés de traverser la première phase de leur transition démographique et de connaître une hausse de leur population sans précédent. En l’espace de 15 ans seulement, entre 1921 et 1936, à périmètre constant, la population des colonies, protectorats et mandats de l’empire français est ainsi passée de 55,56 à 69,13 millions d’habitants. Selon les différentes estimations, la population totale de l’Afrique a en conséquence été multipliée par 7 au cours du XXe siècle, passant d’un peu plus de 100 millions à près de 800 millions d’habitants.

Si la colonisation française a apporté la paix et la santé, elle n’a pas négligé d’apporter la prospérité. Pour mettre en valeur son empire, la France a ainsi consenti à des efforts considérables, qui n’ont cessé d’augmenter jusqu’à la décolonisation. Les travaux de Jacques Marseille ont en effet montré qu’en 1914 l’empire était la troisième destination des capitaux français exportés, derrière la Russie et l’ensemble de l’Amérique latine. En 1929, l’empire absorbait entre 30 et 40 % des investissements extérieurs totaux, c’est-à-dire privés et publics ; en 1939 ce chiffre atteignait entre 40 et 50 %. Ces sommes ont en grande partie servi à financer les productions locales, lesquelles ont pu se développer d’autant plus facilement que la métropole les protégeait de la concurrence internationale en achetant les produits à des prix le plus souvent supérieurs à ceux du marché mondial. Ont par voie de suite notamment pu apparaître et croître les secteurs des phosphates au Maroc, du vin, des minerais, puis du pétrole en Algérie à partir de sa découverte par la compagnie publique française de pétrole SN-Repal en 1956, du caoutchouc en Indochine, du cacao en Côte d’Ivoire, des arachides et des agrumes au Sénégal, du bois au Gabon, de l’huile de palme au Cameroun, etc. Quant à la rémunération des salariés dans les colonies, elle était loin d’être toujours risible. Daniel Lefeuvre cite à cet égard un rapport de Saint-Gobain de 1949, lequel fait état d’un surcoût pour les productions coloniales : « Pour le personnel au mois, la moyenne des [rémunérations versées] ressort à 27.000 F pour la métropole, contre 36.000 F en Algérie […] Par comparaison avec une usine métropolitaine située en province, l’ensemble des dépenses, salaires et accessoires est de 37 % plus élevée. » L’activité économique que la France a fait naître et prospérer dans son empire et qui trop souvent a disparu après, que ce soit du fait des choix socialistes opérés par les élites locales sous l’influence de l’URSS, de la corruption ou d’autres facteurs, n’aurait pas été possible sans infrastructures. L’exemple de Madagascar est de ce point de vue instructif. Bernard Lugan constate en effet qu’en 1960 « la France léguait à Madagascar 28.000 km de pistes carrossables, 3.000 km de routes bitumées ou empierrées, des centaines d’ouvrages d’art, des lignes de chemin de fer (Antsirabé – Tananarive – Tamatave – lac Alaotra et Fianarantsoa – Manakara), des ports équipés (Diego-Suarez, Tamatave, Majunga et Tuléar) et des aérodromes ». « La priorité française avait été l’agriculture et ses dérivés : café, vanille, girofle, canne à sucre et tabac. La culture du poivre avait été introduite avec celle du coton, du sisal, des arbres fruitiers, de la vigne et de la pomme de terre. Quant à la riziculture, elle avait été développée et, dès 1920, Madagascar en exportait 33.000 tonnes. Les ingénieurs des Eaux et Forêts avaient lutté contre l’érosion par le reboisement des hauts plateaux. Des barrages avaient été construits afin de constituer des réserves pour l’irrigation. Des industries de transformation des productions agricoles (huileries, sucreries, tanneries, conserveries de viande, etc.) avaient été créées. Ceci faisait qu’au moment de l’indépendance l’autosuffisance alimentaire était assurée et les exportations de riz courantes et régulières. » Aussi, bien qu’elle ne soit pas due à la colonisation française à proprement parler, mais à l’influence française au sens large, on ne peut faire abstraction de la plus illustre des réalisations du continent africain. Il s’agit bien sûr de la construction par Ferdinand de Lesseps du canal de Suez en Égypte en l’espace de 10 ans seulement, de 1859 à 1869, et ce, malgré l’opposition diplomatique et les actions hostiles du Royaume-Uni et de l’Empire ottoman.

Ce n’est pas par cupidité que la France colonisa, contrairement aux lieux communs et aux reprises des thèses de Lénine, dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917). On retrouve pourtant aujourd’hui encore ces contresens éculés et réfutés par la science économique, au même titre que leur soubassement, le marxisme, sous la plume d’auteurs collectivistes. Si certains acteurs privés ont sans nul doute exercé une activité économique rentable dans les colonies, les banques et leurs épargnants, en revanche, auraient bénéficié de rendements supérieurs s’ils avaient investi dans d’autres pays alors en plein essor, comme le Japon, les États-Unis ou encore l’Argentine, lesquels n’étaient pas des colonies. C’est sans compter le coût pour les finances publiques et donc le contribuable que constitua l’empire. Une partie de la classe politique ne s’y est d’ailleurs pas trompée, voyant le dilemme entre la nécessaire préparation à un affrontement avec l’Allemagne et la continuation de la politique coloniale. Après la perte de l’Alsace-Moselle, conséquence de la signature de l’inique traité de Francfort en 1871, Paul Déroulède déclara ainsi en 1884, lors de son discours du Trocadéro, qu’« avant d’aller planter le drapeau français là où il n’est jamais allé il fallait le replanter d’abord là où il flottait jadis, là où nous l’avons vu de nos propres yeux ». Dans le même esprit, il affirma : « J’ai perdu deux sœurs, et vous m’offrez vingt domestiques ». En 1885, Georges Clemenceau, considérant qu’on ne pouvait à la fois vouloir reconquérir l’Alsace-Moselle et renforcer la présence française en Indochine, faisait ainsi chuter le gouvernement Ferry à l’occasion de l’affaire du Tonkin. Pourtant, l’honneur de la France, c’est de n’avoir négligé ni la préparation de la revanche, ni le développement colonial et, de surcroît, d’avoir accompli les deux avec succès ; ou, pour être plus précis, d’avoir réussi la première malgré les coûts humains et financiers qu’imposait le second. Daniel Lefeuvre relate à ce titre : « En septembre 1961, alors que l’indépendance prochaine de l’Algérie ne fait plus aucun doute, le ministère des Finances évalue les conséquences économiques et financières de cette sécession. Le résultat de cette étude, loin d’être inquiétant, conclut au contraire que le lien colonial  “a pour conséquence de faire payer par la France la plupart des exportations algériennes à des prix de soutien sensiblement supérieurs aux cours internationaux”. » Lors de sa conférence de presse du 11 avril 1961, de Gaulle déclarait ainsi : « L’Algérie nous coûte, c’est le moins qu’on puisse dire, plus cher qu’elle ne nous apporte. Qu’il s’agisse de dépenses administratives, d’investissements économiques, d’assistance sociale, de développement culturel, ou bien d’obligations qui concernent le maintien de l’ordre, ce que nous lui fournissons en fait d’efforts, d’argent, de capacités humaines, n’a pas de contrepartie, à beaucoup près, équivalente. […] Voici que notre grande ambition nationale est devenue notre propre progrès, source réelle de la puissance et de l’influence. C’est un fait, la décolonisation est notre intérêt et, par conséquent, notre politique. » Il précisa par la suite sa pensée dans ses Mémoires d’espoir (Tome 1, 1970) : « En reprenant la direction de la France, j’étais résolu à la dégager des astreintes désormais sans contrepartie que lui imposait son Empire […], des charges que nous coûtaient nos colonies […], [et de] ce qu’il nous fallait dépenser pour entretenir et encadrer [la] vie lente et reléguée [de ses populations], […] gageure où, pour ne rien gagner, nous avions tout à perdre ».

Autre motif à la fois de fierté et de reconnaissance et contrairement à certaines idées reçues, la France est loin d’avoir fait table rase des cultures, traditions et coutumes locales de son empire, surtout lorsqu’elles ne présentaient pas un caractère archaïque. Si l’Algérie a ainsi été départementalisée en 1848 afin de la considérer comme partie intégrante de la France, tant et si bien que Napoléon III, s’opposant ainsi au Maréchal Pélissier, dont il désapprouvait partiellement les projets pour l’Algérie, allait jusqu’à écrire : « Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection et je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des Français », tel ne fut pas le cas du Maroc. L’exemple marocain montre en effet combien la France savait se montrer respectueuse des institutions préexistantes. Ainsi Lyautey affirmait-il en 1916 : « Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie en face d’une véritable poussière, d’un état de choses inorganique, où le seul pouvoir était celui du Dey turc effondré dès notre venue, au Maroc, au contraire, nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique et indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude, qui, jusqu’à ces dernières années, faisait encore figure d’État constitué, avec sa hiérarchie de fonctionnaires, sa représentation à l’étranger, ses organismes sociaux. » Bernard Lugan explique qu’en 1912, avec le traité de Fès, la France a ainsi mis en place un dispositif institutionnel original : « Le sultan du Maroc conservait tous les attributs de son prestige ; son pouvoir spirituel restait intact, car il demeurait imam et calife, la prière étant dite en son nom le vendredi dans les mosquées. Il n’en était pas de même avec ses pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire car il devait se contenter de signer les dahîrs présentés par la Résidence ; pour nommer les fonctionnaires, il n’avait de choix que sur les listes que cette dernière lui soumettait. Quant au Makhzen, il fut réformé et il n’eut plus qu’un rôle de façade. Le Résident de France au Maroc était nommé en Conseil des ministres et il dépendait du ministère des Affaires étrangères. Il était le représentant du Maroc sur la scène internationale, commandait l’armée, dirigeait l’administration, promulguait les décrets signés par le sultan après avoir décidé des lois et choisi les vizirs et les fonctionnaires. » De même : « À chaque fois que l’administration locale pouvait aider à la mise en place de l’autorité coloniale, la France conserva ainsi le pouvoir traditionnel, comme par exemple avec le roi du Dahomey jusqu’en 1900. En Oubangui-Chari, l’organisation du royaume Bandia fut maintenue jusque dans les années 1940 et, en Haute-Volta, le Moro Naba, empereur des Mossi, fut également laissé en place. Au Sénégal, après l’avoir combattue, la France s’appuya sur la confrérie des Mourides et plus largement sur les marabouts. » Il ressort ainsi que la France a su faire preuve de désintérêt et même de dévouement, tentant soit de respecter les populations, traditions, et les structures politiques locales, lorsque celles-ci existaient, soit de considérer les indigènes comme les siens, essayant de les élever à son niveau.

À mille lieues des idées fausses véhiculées par les tiers-mondistes, les indépendances ne furent presque jamais conquises dans le sang. Elles furent essentiellement accordées dans la paix et firent le plus souvent l’objet d’un consensus. Sur le continent africain en particulier, aucune puissance coloniale ne fut militairement contrainte d’abandonner ses possessions. Le cas algérien est à cet égard saisissant : c’est contre une partie de l’armée française, victorieuse sur le terrain, et d’une partie des locaux, qu’ils soient français ou autochtones, que l’indépendance fut décidée par de Gaulle. Les indépendances sont d’ailleurs loin d’avoir entraîné de la part des anciennes colonies une prise de distance générale à l’égard de la France et une condamnation unanime, bien au contraire : après l’Union française sous la IVRépublique et la Communauté française sous la Ve République, la France et ses anciennes colonies ont maintenu leurs relations et coopéré dans de nouveaux cadres ; d’une part de manière bilatérale, en application des accords conclus à l’indépendance, lesquels contiennent d’ailleurs souvent des clauses exorbitantes de droit commun, par trop généreuses, qui bénéficient excessivement aux ressortissants des anciennes colonies ; mais aussi, d’autre part, de manière multilatérale, en particulier dans le cadre de l’organisation internationale de la francophonie, créée en 1970. Les liens financiers sont notamment restés très forts, comme en témoignent le maintien du franc CFA après la décolonisation, lequel a contribué, comme sous la colonisation, à offrir une remarquable stabilité financière et monétaire aux pays en bénéficiant, mais aussi l’aide au développement accordée par la France, ainsi que les transferts monétaires vers leurs pays d’origine des immigrés et de leurs descendants installés en France, mais dont la vocation est de renouer avec le pays de leurs ancêtres. Par ailleurs, même après leur départ, la France et les Français continuent de montrer la voie et d’inspirer la pensée et l’action de leurs anciennes colonies dans de très nombreux domaines.

En 1945 débute un mouvement de décolonisation qui s’achève en 1962 avec l’indépendance accordée à l’Algérie par les accords d’Évian. Cette décolonisation n’a que partiellement été subie, elle a en grande partie été voulue par la métropole. À l’exception de l’Indochine, où les communistes ont remporté la bataille de Diên Biên Phu, conquérant leur indépendance, la France a octroyé les territoires qu’elle possédait aux élites indigènes qu’elle avait formées. Dans l’intérêt mutuel, elle a par la suite noué des liens étroits avec ces pays, qu’elle a plus qu’abondamment contribué à faire émerger et pour lesquels elle a continué de représenter un modèle. Elle peut légitimement s’honorer de l’immense accomplissement qu’elle a partant réalisé. C’est dans cet esprit, le 11 novembre 1996, à l’occasion de l’inauguration d’un monument à la mémoire des victimes civiles et militaires tombées en Afrique du Nord de 1952 à 1962 et dans un moment d’une rare lucidité, que le président Jacques Chirac, en guise de bilan, invitait à la réflexion suivante : « Nous ne saurions oublier que [les soldats de l’armée d’Afrique] furent aussi des pionniers, des bâtisseurs, des administrateurs de talent, qui mirent leur courage, leur capacité et leur cœur à construire des routes et des villages, à ouvrir des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, à faire produire à la terre ce qu’elle avait de meilleur ; en un mot, à lutter contre la maladie, la faim, la misère et la violence et, par l’introduction du progrès, à favoriser pour ces peuples l’accès à de plus hauts destins. Pacification, mise en valeur des territoires, diffusion de l’enseignement, fondation d’une médecine moderne, création d’institutions administratives et juridiques, voilà autant de traces de cette œuvre incontestable à laquelle la présence française a contribué non seulement en Afrique du Nord, mais aussi sur tous les continents. Traces matérielles certes, mais aussi apport intellectuel, spirituel, culturel, comme en témoigne la formation des élites francophones, qui participent au sein des instances internationales et dans le monde au rayonnement de notre pays. Aussi, plus de trente ans après le retour en métropole de ces Français, il convient de rappeler l’importance et la richesse de l’œuvre que la France a accomplie là-bas et dont elle est fière ».

Auguste Lorrain

Références
de Gaulle (Charles), Mémoires d’espoir : 1, Le Renouveau, 1958-1962, Plon, 1970
Grenouilleau (Olivier), Qu’est-ce que l’esclavage ? Une histoire globale, Gallimard, 2014
Lefeuvre (Daniel), Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2008
Lugan (Bernard), Afrique, l’histoire à l’endroit, Perrin, 1989
Lugan (Bernard), Les guerres d’Afrique : des origines à nos jours, Éditions du Rocher, 2013
Lugan (Bernard), Osons dire la vérité à l’Afrique, Éditions du Rocher, 2015
Lugan (Bernard), Histoire de l’Afrique du Nord, des origines à nos jours, Éditions du Rocher, 2016
Lugan (Bernard), Histoire de l’Afrique, des origines à nos jours, (2e édition), Ellipses, 2020
Marseille (Jacques), Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Albin Michel, 2005.

Le linceul de Turin est-il authentique ?

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Note pour Monsieur P*** de C***
sur la question de l’authenticité du linceul de Turin

         

A la suite de la discussion un peu vive que nous avons eue, tu m’as envoyé une abondante documentation, fort intéressante, sur le linceul de Turin, en m’invitant à faire preuve d’objectivité sur cette question délicate : tu parais convaincu, en effet, que c’est surtout cette qualité essentielle dans tout débat scientifique qui manque aux adversaires de l’authenticité. Je te remercie beaucoup de t’être donné cette peine pour moi et je me sens obligé de te répondre par écrit, et avec un certain détail, d’autant que tu m’as piqué au vif en mettant en doute mon objectivité. A vrai dire, j’aurais préféré éviter ce débat, car je crains de peiner des amis et des gens que je respecte et que j’estime en contestant des idées qui leur sont chères. Mais tu m’y as contraint.
          Laisse-moi te préciser, au départ, que je serais aussi heureux que quiconque que les circonstances, et la piété des fidèles, nous aient transmis un tel témoignage de la Passion du Christ. Il n’y aurait, d’ailleurs, rien d’invraisemblable a priori à ce que les premiers chrétiens aient conservé cette relique, qui porterait, visible à l’œil nu, l’image du Christ incarné. Mais la pièce d’étoffe qui est exposée à Turin est-elle authentique, c’est-à-dire, est-elle vraiment le linceul de Jésus de Nazareth, crucifié au premier siècle à la demande des Juifs, comme le relate l’Évangile ?
          Quand cette question a commencé à être discutée dans la presse, il y a quelques années, je n’ai pas été convaincu par les arguments savants qu’avançaient – déjà – les sindonologues – les tenants de l’authenticité –, pour une raison bien simple, qui peut s’énoncer comme suit (proposition n° 1) :

          (P1) Si le supposé linceul de Turin était authentique, il aurait été l’objet, depuis l’origine, d’une vénération continue, générale et exclusive.

Il est difficile d’imaginer qu’une relique aussi sensationnelle pût avoir été négligée, à quelque époque que ce fût. Les Actes des apôtres et les Épîtres en parleraient, et les fidèles n’auraient jamais cessé de venir la contempler. Et l’on n’aurait pas exposé près de quarante prétendus linceuls du Christ ! En supposant que le linceul ait été caché pendant les premiers siècles de la chrétienté à cause des persécutions, il serait sorti de la clandestinité après la conversion de Constantin en 312. Sa mère, l’impératrice sainte Hélène, épouse de Constance Chlore, morte en 330, a rapporté de Jérusalem des morceaux de la Croix. Si le linceul avait été conservé, nul doute qu’elle l’aurait acquis aussi et qu’elle l’aurait exposé, à côté des autres reliques de la Passion du Christ. Lorsque l’édit de Thessalonique a fait du christianisme la religion officielle de l’empire romain, en 380, le linceul aurait servi plus que jamais à l’exaltation de la vraie foi. Et on l’aurait exposé solennellement dans la cathédrale Sainte-Sophie de Constantinople, dès sa construction au VIe siècle… et non pas dans l’église de Lirey, modeste village de Champagne, près de Troyes, au XIVe siècle.
          De plus, le linceul de Turin donne une représentation du Christ conforme à l’iconographie du moyen âge et non à celle des premiers siècles de l’ère chrétienne, d’où une nouvelle objection à l’authenticité (proposition n° 2) :

P2) Si le supposé linceul de Turin était authentique, Jésus apparaîtrait sous l’aspect que lui donnaient les premières générations de chrétiens, donc comme un jeune homme imberbe ou glabre, et non comme un homme mûr et barbu.

Les premiers chrétiens avaient certainement gardé de l’apparence physique du Christ un souvenir plus proche de la réalité que leurs héritiers du bas moyen âge, 1.300 ans plus tard, et, si son linceul avait été conservé, ils auraient forcément reproduit l’image qu’il portait.

          La « redécouverte » du linceul en 1357 est, en soi, un événement un peu trop gros pour être crédible. Du reste, par quel miracle aurait-on pu deviner que cette pièce d’étoffe était le linceul du Christ ? Il ne suffisait évidemment pas d’y découvrir l’image d’un homme apparemment crucifié. D’où une troisième objection :

(P3) Pour conclure que c’était bien le linceul qui avait enveloppé le corps du Christ, il aurait fallu une chaîne de transmission ininterrompue, sur plus de quarante générations, depuis les saintes femmes et les apôtres qui avaient découvert le tombeau vide ; ou au moins un document digne de foi certifiant l’authenticité, par exemple une lettre d’un des premiers papes. Or, on n’avait ni l’une ni l’autre.

Depuis, d’autres objections, tout aussi décisives, se sont ajoutées à celles-ci. L’une découle, bien entendu, de la datation au carbone 14 :

(P4) Si le supposé linceul de Turin était authentique, on aurait trouvé qu’il était du premier siècle de l’ère chrétienne par la datation au carbone 14.

Or, les trois laboratoires qui ont daté le linceul ont tous conclu qu’il était du bas moyen âge. L’article publié dans Nature le 16 février 1989 situe sa fabrication dans l’intervalle allant de 1260 à 1390 ap. J.-C. : on est loin du compte ! J’examinerai plus loin les contre-arguments des sindonologues, dont les tiens.

          Notre discussion de l’autre jour a précisé, à mes yeux, une objection non moins redoutable que les quatre précédentes pour la sindonologie :

(P5) Si la pièce d’étoffe qui est exposée à Turin avait vraiment enveloppé le corps du Christ – ou même le corps d’un homme quelconque –, l’image qui se serait éventuellement imprimée sur le linceul serait très déformée, une fois celui-ci mis à plat, par suite du développement des lignes horizontales.

Cette considération de géométrie élémentaire suffit à ruiner la thèse de l’authenticité. L’entretien donné au Monde par le R.P. Jean-Michel Maldamé, O.P., et publié le 3 juillet 1996 a ajouté un élément essentiel à mon dossier de réfutation, en indiquant que l’Église avait toujours été pour le moins réservée sur la question de l’authenticité, et surtout en précisant que l’erreur avait été révélée dès le début :

(P6) Au XIVe siècle, dans les années qui ont suivi l’apparition du prétendu linceul à l’église de Lirey, l’évêque de Troyes a conclu qu’il était de fabrication récente. Comme il a réussi à mettre la main sur le faussaire, c’est bien qu’il s’agissait d’un faux.

Le R.P. Maldamé n’évoque pas mes autres arguments, mais il résume fort bien P4 et P6 lorsqu’il écrit : « Le dossier historique à lui seul ne peut que conduire à la conclusion que le suaire ne peut pas être identifié au linceul dont parlent les Évangiles synoptiques. La datation au carbone 14 correspond parfaitement à cette conclusion et la confirme ! » (On dit souvent à tort « suaire » pour « linceul », alors qu’un suaire, du latin sudarium, soudarion en grec, désigne au sens strict un linge qui n’entoure que la tête du mort et non le reste du corps.) Il ne fait donc pas de doute que l’objet improprement appelé linceul de Turin, présenté comme le linceul du Christ, et qui n’est pas même pas un linceul, est un faux, pour les raisons exposées ci-dessus : chacune me paraît définitive, à elle seule, et en toute objectivité. Comment pourrais-je les rejeter toutes ensemble ?
          Reste à savoir comment l’image a été créée. C’est la seule question qui demeure. Les sindonologues affirment que ce ne peut être une peinture, parce qu’un artiste n’aurait pas pu peindre « en négatif », en inversant les valeurs. Cela ne me paraît pas aussi sûr qu’à eux. Ils avancent d’autres arguments, d’une obscurité caractéristique de la sindonologie (j’y reviendrai), parlant d’« image tridimensionnelle », de « conception inversée de l’espace ». J’avoue ne pas comprendre. Du reste, il est plus naturel de supposer que l’inversion des valeurs et les autres attributs que l’on trouve à l’image viennent de ce qu’elle est une empreinte sur un relief : dans cette hypothèse, les aspérités doivent être plus fortement marquées que les creux.
          On nous dit : « Lorsque Secundo Pia a photographié le linceul pour la première fois, en 1898, il a révélé l’image du Christ, qui apparaît sur le négatif. C’est donc que le linceul est authentique, car un éventuel faussaire du XIVe siècle n’aurait pas pu prévoir l’invention de la photographie ! » Réponse : en réalité, Secundo Pia n’a pas révélé l’image du Christ, qui était visible à l’œil nu sur le linceul, bien qu’elle fût estompée depuis le XIVe siècle. Il a simplement formé une image plus nette en accroissant les contrastes et en inversant les valeurs. Si l’image est « en négatif » sur l’étoffe, c’est sans doute qu’elle est une empreinte, ou bien que le faussaire a voulu faire croire que c’en était une.
          Comme l’argument P5 – développement des lignes horizontales – interdit de penser que l’étoffe a enveloppé un corps ou une statue, on peut avancer l’hypothèse suivante : l’artiste-faussaire a dû appliquer le « linceul » sur un relief, préalablement enduit de colorants appropriés, qui pouvaient être, en certains endroits, du sang humain. Le relief aurait lui-même été sculpté d’après un modèle, soit un cadavre, soit, plus probablement, un homme vivant, peut-être un flagellant qui avait joué le rôle du Christ dans une « passion ».
          On voit bien pourquoi le faussaire a utilisé cette technique : s’il avait appliqué l’étoffe sur une statue ou sur un corps, l’image n’aurait pas été reconnaissable, tant elle aurait été déformée, et elle aurait été donc moins propre à exciter la ferveur des pèlerins. Pour la même raison, il ne pouvait pas respecter l’usage des Juifs de l’époque du Christ, qui enveloppaient la tête du mort d’un suaire, et le reste du corps d’un linceul : on ne pouvait pas proposer un corps sans tête à la vénération des pèlerins. Et cette remarque fournit un septième argument :

(P7) Si le linceul était authentique, il n’aurait pas enveloppé la tête du Christ, mais seulement le reste du corps, puisque tel était l’usage des Juifs, que Nicomède et Joseph d’Arimathie ont respecté quand ils ont enseveli le Christ, ainsi que le rapporte l’Évangile selon saint Jean, qui est précis et qui parle du reste de « bandelettes » et non de « linceul » (XIX 40 et XX 4-7).

Cette objection décisive a déjà été soulevée par Jean Calvin dans son Traité des reliques (1543) et le fait qu’il fût un hérésiarque ne change rien à la valeur de l’argument.

Il est bon de reproduire ici intégralement les passages des Évangiles qui traitent du sujet qui nous préoccupe. Ils ne sont pas longs.

          Saint Matthieu
« Le soir venu, un homme riche, de la ville d’Arimathie, nommé Joseph, qui s’était fait, lui aussi, disciple de Jésus, alla trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus. Pilate commanda qu’on le lui donnât. Joseph, ayant pris le corps, l’enveloppa dans un linceul blanc et le déposa dans le tombeau neuf qu’il avait fait tailler dans le rocher. Puis, ayant roulé une grande pierre à l’entrée du tombeau, il se retira. » (XXVII 57-60)
          Saint Marc
« Le soir venu, et comme c’était le jour de la préparation, c’est-à-dire la veille du jour du sabbat, Joseph d’Arimathie, membre éminent du conseil, qui attendait lui aussi le Règne de Dieu, eut l’audace d’aller trouver Pilate pour lui demander le corps de Jésus. Pilate s’étonna qu’il fût déjà mort et, ayant fait venir le centurion, il lui demanda s’il était mort depuis longtemps. Le centurion l’en ayant assuré, il donna le corps à Joseph. Ayant acheté un linceul, Joseph descendit Jésus de la croix, l’enveloppa dans le linceul et le déposa dans un tombeau qui avait été taillé dans le rocher, puis il roula une pierre à l’entrée du tombeau. » (XV 42-46)
          Saint Luc
« Alors survint un homme nommé Joseph, membre du conseil, homme droit et juste. Il n’avait donné son accord ni au dessein des autres ni à ce qu’ils avaient fait. Originaire d’Arimathie, ville de Judée, il attendait le Règne de Dieu. Il alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Il le descendit de la croix, l’enveloppa dans un linceul et le déposa dans un tombeau taillé dans le rocher où personne n’avait encore été mis. C’était un jour de préparation et le sabbat approchait. Les femmes qui l’avaient accompagné depuis la Galilée suivirent Joseph : elles regardèrent le tombeau et comment son corps avait été placé…
          « Le premier jour de la semaine, de grand matin, elles vinrent au tombeau en portant les aromates qu’elles avaient préparés. Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau. Étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus… Revenues du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux onze et à tous les autres. C’étaient Marie de Magdala, Jeanne et Marie mère de Jacques ; les autres femmes qui étaient avec elles le dirent aussi aux apôtres, mais ces paroles leur semblèrent du radotage et ils ne les crurent pas. Cependant, Pierre partit et courut au tombeau. Mais, se penchant, il ne vit que les bandelettes. Et il s’en retourna chez lui, tout surpris de ce qui était arrivé. » (XXIII, 50-55 ; XXIV, 1-12).
          Saint Jean
« Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate la permission d’enlever le corps de Jésus. Pilate le lui ayant permis, il vint enlever le corps. Nicomède, lui qui naguère était allé trouver Jésus au cours de la nuit, vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d’aloès d’environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus et l’enveloppèrent de bandelettes, avec des aromates, selon la manière d’ensevelir en usage chez les Juifs. Or, au lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin un tombeau tout neuf où personne n’avait été mis. Comme c’était le jour de la préparation du sabbat et que ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
          « Le premier jour de la semaine, à l’aube, alors qu’il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rendit au tombeau et vit que la pierre avait été enlevée du tombeau. Elle courut pour rejoindre Simon Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : “On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis.” Alors Pierre sortit, ainsi que l’autre disciple, et ils allèrent au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple, plus rapide que Pierre, arriva le premier au tombeau. Se penchant, il aperçut les bandelettes, qui étaient posées là, pourtant il n’entra pas. Alors arriva aussi Simon-Pierre, qui le suivait ; il entra dans le tombeau et il vit les bandelettes, posées là, ainsi que le suaire qui avait recouvert sa tête ; il n’était pas déposé avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre endroit. Alors l’autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra lui aussi. Il vit, et il crut. »
(XIX 38-42 ; XX 1-8)
          Les trois Évangiles synoptiques disent que le corps du Christ a été enveloppé dans un linceul : sindôn en grec (c’est dans cette langue, rappelons-le, qu’ont été écrits les Évangiles, comme tout le reste du Nouveau Testament). Mais le troisième, saint Marc, écrit ensuite que celui-ci était formé de bandelettes, au pluriel (othonia). Cette précision vaut évidemment pour les deux autres, pour saint Matthieu comme pour saint Marc, d’autant qu’elle est confirmée par l’Évangile selon saint Jean, qui ne parle que de bandelettes, ajoutant que la tête était recouverte d’un suaire (soudarion).
          Le récit de la résurrection de Lazare rapporte aussi cet usage des Juifs : « Le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes et le visage enveloppé d’un suaire » (Jean, XI 44).
          Il en résulte une conclusion imparable, qui est une huitième preuve ou proposition :

(P8) Les Évangiles nous apprennent que le corps du Christ a été enveloppé dans des bandelettes, et non pas dans une pièce d’étoffe rectangulaire d’un seul tenant. Il s’ensuit que le prétendu linceul de Turin ne saurait être authentique.

Les sindonologues ne retiennent que les trois versets des Évangiles qui parlent d’un linceul, en négligeant le reste. Ce n’est pas sérieux.
          De surcroît, le récit des Évangiles donne une force singulière à notre premier argument (P1). En effet, si les saintes femmes qui sont entrées les premières dans le tombeau vide, et saint Pierre, ainsi que saint Jean, « l’autre disciple, celui que Jésus aimait », après elles, avaient vu sur le sol une pièce d’étoffe qui aurait porté l’image du Christ, ils l’auraient proclamé. Au demeurant, si l’on croit à l’authenticité du linceul de Turin, il faut bien admettre que les apôtres ont pris ce linceul dans le tombeau pour qu’il parvienne jusqu’à nous… et s’ils n’avaient pas vu immédiatement l’image du Christ, à cause de l’obscurité ou parce que le linceul n’aurait pas été posé dans le bon sens, il n’empêche qu’ils auraient été les premiers à la voir ensuite. Dans un cas comme dans l’autre, ce serait rapporté par les Évangiles.
          Je tiens à insister sur le fait que l’hypothèse de l’empreinte sur un relief énoncée ci-dessus, qui est hautement vraisemblable, n’intervient nullement dans la réfutation. D’ailleurs, si les sindonologues avaient consacré ne serait-ce que le dixième des efforts qu’ils ont dépensés pour défendre leur thèse à essayer de découvrir la technique du faussaire, il y a fort à parier qu’ils y seraient arrivés depuis longtemps.
          Ils ont préféré multiplier à l’infini les spéculations les plus aventurées, les interprétations les plus osées, sur les multiples aspects de ce que je continuerai à appeler, par commodité de langage, le linceul de Turin. Cet objet a fonctionné comme une épreuve de Rorschach qui nous renseigne plus, à mon avis, sur les sindonologues que sur le linceul. C’est, sans doute, dans l’histoire de la science, un cas unique d’expansion indéfinie d’un discours d’apparence scientifique fondé sur un postulat aussi peu défendable. La sindonologie est donc une énigme au moins aussi grande que l’objet auquel elle se consacre, et sa devise pourrait être : much ado about nothing (beaucoup de bruit pour rien). Le vrai champ d’étude de la sindonologie, ce n’est pas le linceul, mais la sindonologie elle-même. Je ne crois pas, en disant cela, et en cédant pour quelques instants au goût de la polémique, sortir de l’objectivité.
          A défaut de pouvoir améliorer la connaissance du linceul, je voudrais apporter une modeste contribution à l’étude de la sindonologie, cette pseudo-science, en analysant les principaux procédés employés par les sindonologues, qui entrent dans trois grandes catégories : des interprétations abusives ; une dialectique trompeuse ; une rhétorique orientée. Il est utile de préciser que je ne mets nullement en doute la bonne foi des sindonologues en général ; dans le nombre, il y a forcément des exceptions, mais je crois fermement que la plupart d’entre eux sont parfaitement sincères et je ne leur reproche que de se laisser emporter par leur enthousiasme, au demeurant bien compréhensible. Si nous avions le bonheur de posséder le linceul du Christ, ce serait, en effet, merveilleux !

Interprétations abusives

Depuis qu’en 1898 on s’est aperçu que l’image du linceul ressortait beaucoup mieux en négatif, après inversion des valeurs, l’argument central de la sindonologie est ce que l’on peut appeler la preuve par le mystère, qui se résume dans la formule paradoxale : « On ne sait pas, donc on sait. » On ne sait pas comment l’image a été formée ; et cette énigme paraît suffisante pour imaginer une intervention divine. Puisque l’homme ne pouvait pas le faire, c’est donc Dieu qui l’a fait. Mais il y a là un abus d’interprétation manifeste, qui témoigne, d’ailleurs, curieusement, d’une surestimation de la science, d’un certain scientisme. En réalité, nos connaissances sont loin d’être suffisantes pour expliquer tous les phénomènes naturels ou artificiels. Il est, somme toute, assez banal de s’interroger sur la manière dont un artiste ancien a réalisé son œuvre. De plus, comme je l’ai dit, les sindonologues, engagés sur une fausse piste, n’ont pas vraiment cherché à trouver la technique qui aurait pu être utilisée par un faussaire. En tout cas, l’hypothèse la plus raisonnable consistait à supposer que l’image du linceul avait été créée par un homme selon des moyens inconnus, plutôt que d’imaginer un miracle.
          La manière dont les sindonologues prétendent répondre à mon objection P1 – qu’ils se gardent, cependant, d’énoncer explicitement – relève de la même tendance à donner dans des interprétations abusives. Ils tiennent à peu près ce langage : « Il est possible de reconstituer les principales étapes du périple du linceul. D’Édesse, il est apporté à Byzance, où il est dérobé au cours de la quatrième croisade. Il réapparaît, ensuite, en France, où les croisés l’ont emporté. » En langage ordinaire, on devrait dire ceci : « Près de quarante pièces d’étoffe ont été présentées comme le linceul du Christ, en divers lieux et à diverses époques. Rien ne permet d’identifier le linceul de Turin à une autre de ces prétendues reliques. »
          Les spéculations sur le « trou historique » allant de 1204 à 1357 me paraissent de la plus haute fantaisie et, quoique je ne mette pas en doute, en général, la bonne foi des sindonologues, je ferai une exception pour l’« inventeur » de la lettre que Théodore Ange Comnène, despote d’Épire et de Thessalie, est censé avoir adressée au pape Innocent III en 1205 et dont on aurait opportunément découvert une « copie authentique » il y a quelques années. Je parierai que ce document est un faux. Toi qui soupçonnes les trois laboratoires qui ont daté le linceul d’avoir truqué les résultats, tu pourrais faire preuve de plus de méfiance vis-à-vis de certaines pièces du dossier des sindonologues. De toutes façons, même si l’on acceptait le roman bâti par ces derniers, en admettant un semblant de continuité dans l’histoire du linceul, cela ne suffirait pas pour répondre à la proposition P1 : il faudrait aussi que la « relique » ait fait l’objet d’une reconnaissance générale et exclusive, dès l’origine, pour qu’elle pût prétendre à l’authenticité.
          Si le linceul de Turin existait et était vénéré bien avant le XIVe siècle, il pourrait avoir influencé l’iconographie et l’on pourrait s’attendre à trouver des ressemblances entre l’image du linceul et les peintures du Christ. Mais les sindonologues ne s’aperçoivent pas que l’argument est parfaitement réversible : si le linceul est un faux, il est naturel que le faussaire se soit inspiré de l’iconographie du Christ à l’époque où il a réalisé le faux.
          Dans cette perspective, le cas du codex de Pray est assez particulier. Le professeur Jérôme Lejeune était un grand savant et un homme admirable, mais je suis obligé de remarquer qu’il est intervenu dans un domaine qui relevait plutôt des archivistes-paléographes que des médecins et des biologistes. En tout cas, il me paraît léger de prononcer des conclusions définitives sur un document de ce genre, rédigé dans une langue que l’on ne connaît pas (le hongrois), quand on n’en a consulté qu’un seul feuillet pendant une heure. Je suis incapable d’apprécier les similitudes que Lejeune a prétendu avoir découvertes entre l’image du codex et celle du linceul ; mais, en supposant que celles-ci soient établies, elles ne démontreraient pas grand-chose. Le codex serait daté précisément de 1192-1195, selon Lejeune. En réalité, je lis ailleurs que les chroniques qui s’y trouvent relatées vont jusqu’à 1300. Donc, on ne peut exclure que le codex ait été réalisé, en tout ou partie, après l’apparition du linceul à Lirey. On peut aussi imaginer que le linceul ait été fait d’après le codex (il est quand même incroyable que Lejeune n’ait pas seulement envisagé cette hypothèse), ou, plus probablement, qu’ils sont l’un et l’autre tributaires d’un même modèle, soit directement, soit par intermédiaires.
          L’iconographie du Christ est demeurée assez stable pendant de longs siècles au cours du moyen âge parce que les artistes se recopiaient les uns les autres et que les fidèles étaient habitués à une certaine représentation ; il n’y a rien d’extraordinaire, dans ces conditions, que le linceul de Turin, qui n’est qu’une pièce iconographique parmi d’autres, reproduise les traits généralement attribués à Jésus à l’époque.
          Les abus d’interprétation sont certainement beaucoup plus nombreux que je ne puis le démontrer. Il faudrait, dans chaque cas, demander à des spécialistes de contrôler les arguments des sindonologues. Je suis frappé de la dissymétrie entre l’hypercritique dont ils font preuve à l’égard de la datation au carbone 14, qui a l’inconvénient de démolir leur thèse, et la tolérance qu’ils accordent aux hypothèses les plus aventurées et les plus extravagantes, quand elles vont dans leur sens. Dans le genre, l’article délirant de Rebecca Jackson, qui a fondé le centre du linceul de Turin du Colorado, paraît mériter la palme.
          Je prendrai trois autres exemples, assez élémentaires pour relever de ma compétence. Si les pouces ne sont pas visibles, nous dit-on, c’est qu’ils se sont rétractés au cours de la crucifixion ; certes, c’est ce qui a dû se passer dans la réalité, mais, en ce qui concerne le linceul de Turin, il est plus simple de penser que l’artiste-faussaire a demandé à l’homme qui lui a servi de modèle de s’étendre sur le dos – pour réaliser l’image de face –, en se cachant le bas-ventre avec les mains, pour que la représentation soit pudique. Dans ce cas, tu peux toi-même en faire aisément l’expérience, les pouces viennent tout naturellement sous la paume.
          De même, on nous explique que l’on a retrouvé un peu de coton dans le lin de l’étoffe, et que ce coton appartient à une espèce du Moyen-Orient. Sous-entendu : c’est donc que le linceul y a été fabriqué (la notion de Moyen-Orient inclut évidemment, ici, ce qu’il vaudrait mieux appeler le Proche-Orient). Mais d’où le coton pouvait-il venir, avant la découverte de l’Amérique, sinon du « Moyen-Orient » ?
          Autre exemple, qui te concerne directement : pour écarter la datation au carbone 14, tu parais enclin à penser qu’il y a eu un complot et que les scientifiques ont été soudoyés pour manipuler leurs travaux. Tu me citais, à cet égard, un article du Daily Telegraph, rapportant que le Dr Tite aurait reçu un million de livres en récompense de ses (mauvais) services. Or, l’article ne disait pas exactement cela. L’argent n’est pas allé au Dr Tite, mais à l’université d’Oxford, pour financer la création d’une nouvelle chaire, ce qui devait inclure, outre la rémunération du titulaire, le Dr Tite, d’importantes dépenses techniques ou administratives. Et il n’y a rien de choquant que le mécénat s’exerce au profit d’un expert qui a démontré sa compétence. Il est abusif d’assimiler cela au versement d’un pot-de-vin. Si, d’ailleurs, Tite avait trouvé que le linceul était du Ier siècle, une découverte aussi sensationnelle lui aurait apporté bien davantage, et il serait devenu célèbre ! Il n’avait donc pas intérêt à tricher dans le sens que tu crois.

Dialectique trompeuse

Dans leur plaidoyer, les partisans de l’authenticité n’affrontent pas toujours en face les objections qui leur sont faites et s’emploient plutôt à détourner l’attention de l’essentiel, d’une façon propre à embrouiller la question. Prenons l’exemple du carbone 14. Tu t’attaches, avec d’autres, à démontrer que le traitement statistique des mesures qui ont conduit à la datation médiévale était entaché de lourdes erreurs. Mes compétences en la matière ne me permettent pas de suivre la discussion et je te laisse avec Pearson et Student. Tout au plus te ferais-je remarquer qu’une certaine hétérogénéité des échantillons ne paraît pas être une hypothèse aussi saugrenue que tu l’affirmes ; d’ailleurs, une hétérogénéité apparente peut résulter de différences de méthode entre les trois laboratoires. Du reste, peu importe ; l’essentiel est que les douze échantillons, au total, mesurés par les trois laboratoires soient tous datés du bas moyen âge, et qu’un écart de 1.000 ans et plus puisse difficilement être attribué à l’incertitude des mesures. Les considérations statistiques les plus raffinées ne peuvent rien changer à ce fait.
          De même, il est frappant que la proposition P5 ci-dessus ne soit pas clairement examinée par les sindonologues ; il est vrai qu’elle est très gênante pour eux. Au lieu d’admettre qu’un linceul n’aurait jamais pu porter ce genre d’image, trop ressemblante, ils aiment mieux dire : « Le transfert de l’image est encore une énigme. »
          Autre exemple, plus anecdotique, mais significatif lui aussi : comme je te rappelais que, selon le R.P. Maldamé, l’évêque de Troyes avait découvert le faussaire, tu m’as répondu qu’on avait conclu, à l’époque, que c’était une peinture, alors qu’il est acquis que ce n’en était point une, et tu en déduisais que l’évêque s’était trompé sur tout. Il est pourtant évident que l’évêque de Troyes et ses collaborateurs n’ont pas dû accorder beaucoup d’importance à la manière dont le faux avait été fabriqué. Ce qui leur importait, c’était d’avoir démasqué l’imposteur. Il n’y a donc rien à tirer du fait qu’on ait parlé de peinture : cela signifiait simplement que l’image n’était pas celle du corps du Christ, ni même de celui d’un autre homme.
          Les raisonnements compliqués d’Henri Hedde dit d’Entremont, alias Arnaud-Aaron Upinsky, ne relèvent pas seulement du détournement d’attention et méritent une analyse spéciale. Tu parais en faire grand cas, alors que, à mon avis, ils sont totalement fallacieux, comme je vais essayer de le démontrer. Tu écris à ce propos :
          « En identifiant les cinq seuls statuts possibles (souligné dans le texte) du fait générateur de l’image-empreinte du Linceul, Upinsky a délimité en cinq points le champ épistémologique des recherches scientifiques appliquées à cet objet (idem) :
1) un artiste (cas n° 1)
2) un faussaire (cas n° 2)
3) un cadavre crucifié-flagellé (cas n° 3)
4) le cadavre de Jésus de Nazareth, personnage historique du Ier siècle (cas n°4)
5) le cadavre du dernier chapitre des Évangiles (cas n° 5). »
Or, je soutiens que cette typologie d’Upinsky ne tient pas debout et qu’elle complique la question inutilement (mais non sans raison, comme on va le voir). Tout d’abord, la définition des cas n° 1 et n° 2 confond deux critères : l’intention et la technique. L’intention : celui qui a créé l’image a-t-il voulu tromper, en faisant croire qu’il s’agissait du véritable linceul du Christ, et l’on peut parler d’un faussaire, ou bien a-t-il poursuivi un autre but, tel que l’édification des fidèles, et il mérite le nom d’artiste ? La technique : l’image a-t-elle été directement peinte sur l’étoffe ? Il résulte, en effet, de la discussion faite par Upinsky que, pour lui, l’« artiste » ne peut être qu’un peintre, et que celui qui aurait employé une autre technique ne peut être qu’un faussaire. Mais il n’y aucune raison de penser qu’un éventuel peintre n’aurait pas eu l’intention de tromper, et l’on peut imaginer qu’un artisan employant une autre technique ait eu un but d’édification des fidèles ; pourquoi, d’ailleurs, réserver la qualité d’artiste à un peintre ? En conservant la terminologie d’Upinsky, qui est au demeurant défectueuse (un artiste peut être un faussaire), il faudrait donc distinguer quatre cas, là où il en voit deux :
1) un artiste qui a peint directement sur l’étoffe ;
2) un artiste ayant utilisé une autre technique que la peinture ;
3) un faussaire peintre ;
4) un faussaire ayant utilisé une autre technique.
          De plus, il est artificiel de séparer les deux derniers cas définis par Upinsky : le cadavre du dernier chapitre des Évangiles est, que je sache, celui de Jésus de Nazareth, et réciproquement. Quant à son cas n° 3, il englobe les deux derniers, puisque Jésus a été crucifié et flagellé, et recouvre en partie le cas n° 2 (ou mon cas n° 4 ci-dessus), puisqu’un faussaire a pu utiliser un cadavre crucifié-flagellé. Tout cela est parfaitement incohérent, et d’ailleurs inutilement compliqué. Il n’y a en réalité qu’une alternative : ou bien c’est un faux, ou bien c’est l’authentique linceul de la Passion du Christ.
          A ce stade, on peut se demander pourquoi Upinsky a élaboré cette curieuse classification. C’est qu’il s’agit de passer en force, pour écarter son cas n° 2, le plus probable, qui est mon cas n° 4, celui du faussaire qui a utilisé une autre technique que la peinture. Sous une apparente exhaustivité, la classification upinskienne exclut mes cas n° 2 et n° 3, qui sont, à vrai dire, assez peu probables, de manière à associer deux hypothèses, l’une relative à la technique, l’autre à l’intention. On assiste alors à quelques tours de passe-passe.
          Comme l’écrit le R.P. Maldamé, le Dr Tite « refuse que l’on dise que (la datation au carbone 14) implique qu’il y ait contrefaçon, puisqu’un jugement sur une intention échappe à la mesure physique ». Autrement dit, il ne veut pas exclure mon cas n° 2, celui de l’artiste qui a utilisé une autre technique sans l’intention de tromper. Tu cites toi-même la lettre qu’il a écrite à ce sujet en 1989. De même, la lettre adressée à Upinsky en 1990 par Geoffrey House, Head of Public Services (directeur des services généraux) du British Museum (musée britannique), indique, à propos d’une exposition qui avait soulevé la contestation des sindonologues : « It was not meant to suggest that the Shroud was created as a forgery. » Mot à mot, « le but n’était pas de suggérer que le linceul avait été créé en tant que contrefaçon », autrement dit, dans l’intention de tromper. Upinsky croit pouvoir affirmer triomphalement, en s’appuyant sur ces deux lettres, que plus personne ne défend la thèse du faux et que le linceul est donc authentique, la seule question en suspens étant de savoir s’il s’agit d’un authentique du premier siècle ou d’un « authentique médiéval » (sic). Mais c’est absurde. Tout d’abord, l’expression « authentique médiéval » est une contradictio in adjecto. Si le linceul est authentique, il est nécessairement du premier siècle. Ensuite, ni Tite ni House n’ont affirmé que le linceul n’était pas une contrefaçon, en anglais forgery, mot qui implique l’intention de tromper ; ils se sont contentés de ne pas se prononcer sur la question, en laissant ouvertes les deux branches de l’alternative : faux réalisé dans l’intention de tromper ; faux réalisé dans une autre intention – sans remettre en cause, bien entendu, la validité de la datation au carbone 14 et sa conséquence imparable. C’était, de leur part, un scrupule scientifique qui les honorait. On peut supposer, aussi, que le responsable du British Museum ne tenait pas à affronter la furie de certains sindonologues… Il va de soi, au demeurant, que la conversion de Tite et House à la sindonologie, si elle avait eu lieu, n’aurait pas été suffisante. En matière scientifique, l’argument d’autorité n’est jamais décisif.
          Récapitulons : Upinsky, pour éliminer le cas le plus litigieux, parce que le plus probable, invoque l’autorité de Tite et House, en se fondant sur de simples lettres qui n’ont pas le caractère de documents scientifiques ; et ils leur donnent un sens et une portée qu’elles n’ont pas. Aucune de ces deux personnalités ne conteste la datation au carbone 14, dont Tite est un des auteurs. Donc, à moins d’avoir perdu la raison, ils ne peuvent voir dans le « linceul » de Turin autre chose qu’un faux.
          Dans un autre texte, qui est, je crois, aussi d’Upinsky, la réfutation de son cas n° 2 donne lieu à un véritable galimatias. « Entre l’artiste et le faussaire, il y a toute la distance de la technique reconnue à l’artifice caché. » On est en pleine confusion, mais le meilleur est à venir : « Un doute subsistait donc, que devait lever le C14 » (sic !). Il ne faut pas manquer d’aplomb pour oser dire que la datation au carbone 14 a montré que l’objet n’était pas un faux, alors que c’est bien évidemment l’inverse ! « En soi, une simple datation ne saurait prouver une contrefaçon », ajoute Upinsky, sans s’apercevoir qu’il contredit son allégation précédente selon laquelle le carbone 14 avait levé le doute… Cette fois-ci, ce n’est pas une erreur, si l’on admet que la contrefaçon implique l’intention de tromper ; mais c’en est une, si l’on assimile contrefaçon à faux en général. En glissant d’un sens du mot à l’autre, l’auteur crée la confusion. « Seule la trace d’un artifice technique – “fait de main d’homme” (non achéiropoïète [!]) – le peut (prouver une contrefaçon), même s’il s’agit d’un simulacre, dit encore Upinsky. C’est la non-reproductibilité qui est la clef de l’énigme ! » J’espère que tu peux traduire. Pour moi, ces propos n’ont aucun sens. Que dire, aussi, de cette phrase : « La démonstration que, dans l’état de la Recherche, le Linceul apparaissait comme “scientifiquement authentique au troisième degré par défaut” ne fut pas contestée » ? Je connaissais des objets authentiques, scientifiquement authentiques à la rigueur, mais « scientifiquement authentiques au troisième degré par défaut », c’est encore mieux.

Rhétorique orientée

Les analyses d’Upinsky nous ont déjà donné l’exemple d’une rhétorique orientée, avec cette trouvaille de l’« authentique médiéval ». Les partisans de l’authenticité emploient souvent un vocabulaire biaisé. Ils prétendent que l’étude du linceul (sindôn en grec) est une discipline à part entière, la sindonologie : le nom de la nouvelle science préjuge la réponse à la question de l’authenticité, puisqu’il implique que cette pièce d’étoffe est un linceul, et, du fait même qu’elle existe, elle institue une catégorie de spécialistes qui seraient seuls qualifiés pour se prononcer en la matière… J’ai moi-même été obligé, par commodité de langage autant que par courtoisie, de me référer à cette prétendue sindonologie et de parler du linceul de Turin, sans guillemets, et sans ajouter systématiquement « supposé » ou « prétendu », alors que je suis persuadé que ce n’est pas un linceul, ni celui du Christ ni celui d’un autre homme : la bonne dénomination à appliquer à l’objet du litige est bien plutôt : « pseudo-linceul de Lirey », puisque ce n’est pas un vrai linceul et qu’il est apparu à Lirey. On évoque aussi l’énigme du « transfert d’image » entre le corps et le linceul, quand il serait plus juste de dire création, fabrication ou formation de l’image sur l’étoffe.
          Un autre procédé rhétorique consiste à utiliser un vocabulaire ronflant pour impressionner le lecteur. Upinsky, toujours lui, s’intitule mathématicien-épistémologue. Mathématicien, je veux bien, mais je ne sais pas trop ce qu’est un épistémologue. Cependant, Upinsky met l’épistémologie à toutes les sauces. Comme le carbone 14 contredit les analyses des sindonologues, il y voit « une contradiction épistémologique », ce qui fait plus savant que contradiction tout court. Selon le dictionnaire Robert, l’épistémologie est une « étude critique des sciences, destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée ». Elle est ici invoquée mal à propos, ou je ne vois plus de différence entre l’épistémologie et la science elle-même.

Au fond, les sindonologues ont grand tort d’invoquer l’épistémologie, car celle-ci tourne à leur confusion en nous apprenant à distinguer ce qui est scientifique de ce qui ne l’est pas. Ainsi, la « preuve par le mystère », autrement dit l’argument : « On ne sait pas, donc on sait », est typiquement anti-scientifique. En outre, la plupart des arguments des sindonologues tombent sous le coup d’une règle que l’épistémologie partage avec le droit pénal : « Testis unus, testis nullus » (un témoignage unique est sans valeur). En matière pénale, on sait aussi que la charge de la preuve incombe à l’accusation, ici, mutatis mutandis, à ceux qui prétendent que la pièce d’étoffe exposée à Lirey en 1357 est vraiment le linceul du Christ ; or, force est de constater qu’aucune de leurs prétendues preuves ne peut être prise au sérieux par un esprit raisonnable, un tant soit peu objectif. De surcroît, il est de bonne épistémologie d’admettre par avance et par principe, lorsqu’un fait est établi, comme c’est le cas pour l’inauthenticité du pseudo-linceul de Turin, qui ne fait pas l’ombre d’un doute, que tous les arguments qui vont en sens contraire sont erronés, sans que l’on ait besoin de perdre son temps à les examiner un par un. Par exemple, on pouvait parier que Max Frei, qui avait trouvé sur le pseudo-linceul des pollens du Proche-Orient, était un faussaire et il a été effectivement confondu.
L’épistémologie nous prescrit de distinguer les jugements de valeur des jugements de connaissance. Il serait merveilleux que nous eussions conservé le linceul qui aurait enveloppé le corps du Christ avant la Résurrection, mais, comme on dit, il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités. Ce n’est malheureusement pas le cas. L’épistémologie nous dit aussi de refuser l’argument d’autorité. Ce n’est pas parce que Jérôme Lejeune était un grand scientifique qu’il faut adhérer à son opinion sur le pseudo-linceul de Lirey. Idem, pour l’argument par les intentions ou pour l’argument par les conséquences : ils n’ont pas de valeur scientifique. Le plus grand nombre des sindonologues ont de pieuses intentions, et il est clair que certains adversaires de l’authenticité sont mus par l’hostilité au christianisme : cela ne changer rien à la valeur des arguments échangés. De même, incontestablement, si la relique était authentique, elle pourrait servir à l’évangélisation des incrédules : hélas, elle ne l’est pas !

         Depuis que j’ai eu l’occasion de la pratiquer, j’ai toujours trouvé que la sindonologie affectionnait un style abscons et se complaisait dans l’obscurité. J’en ai donné ici quelques échantillons. Il s’agit apparemment d’un système, qui permet d’éviter les objections gênantes et de masquer les parties faibles de l’argumentation, en donnant l’illusion de la profondeur. La sindonologie est aussi bâtie autour d’un autre procédé : la multiplication de références ésotériques à des disciplines spécialisées. Sur ce point, les sindonologues ont un avantage stratégique indéniable : ils ont consacré beaucoup plus de temps que leurs contradicteurs à l’étude du linceul de Turin. Ils peuvent donc invoquer toutes sortes de résultats ponctuels invérifiables. Comment résister à une telle avalanche de résultats, présentés comme définitifs ? On additionne des centaines de milliers d’heures de laboratoires pour mettre la science du côté de la sindonologie. Voilà qui devrait être de nature à faire taire les contradicteurs ! Mais il n’y a pas, dans tout cela, de réponse aux huit objections que j’ai énoncées au début de cette note, ni, en réalité, la moindre preuve de l’authenticité du linceul. S’il s’en trouvait une, c’est bien alors qu’on pourrait parler de contradiction… Or, il y a peu de chances qu’une telle incohérence puisse apparaître, dans un monde que le Créateur a voulu harmonieux.

Il y a de meilleures causes, mon cher ami, que le linceul de Turin, pour y appliquer ta vaste intelligence. L’essor de la sindonologie est un nouvel exemple de la fâcheuse tendance des hommes de droite à s’engager sur de mauvaises pistes, pour le plus grand bonheur de leurs ennemis. De la même manière, ils persistent trop souvent à combattre la théorie de l’évolution, alors qu’elle ruine les théories égalitaires, et qu’il vaudrait mieux, au contraire, s’appuyer sur elle pour combattre les idées aberrantes de la gauche.

Henry de Lesquen

Post-scriptum

1. En 2005, Paul-Éric Blanrue a réalisé sans difficulté une réplique du visage du linceul de Turin en appliquant une étoffe sur un relief enduit de colorant.
2. Dans un savant article (en anglais) où il a pris la peine d’examiner en détail les élucubrations des sindonologues, l’archéologue Keith Fitzpatrick-Matthews a soulevé des objections supplémentaires à l’authenticité :
(a) l’image qui figure sur la pièce d’étoffe est anatomiquement impossible (le cou et les jambes sont trop longs, il n’y a pas de nombril, etc.) ;
(b) le tissage du « linceul » est celui qui était employé en Europe au XIVe siècle, mais il était inconnu en Palestine au Ier siècle ;
(c) on a trouvé sur le prétendu linceul de Turin des pigments qui étaient en usage dans la peinture du moyen âge, mais qui étaient inconnus à l’époque du Christ ;
(d) comme il y a quelques fibres de coton qui sont mélangées au lin, on peut en déduire que le métier à tisser avait servi antérieurement à faire un vêtement en coton, alors que le judaïsme imposait l’utilisation de métiers à tisser différents pour éviter de mélanger les matériaux.
3. Deux historiens estimables, Jean Sévillia et Jean-Christian Petitfils, que je connais bien et que j’apprécie l’un comme l’autre, ont pris en 2022 fait et cause pour l’authenticité du linceul de Turin. Pour autant, ils n’ont pu mieux faire que de recenser les prétendues preuves accumulées par les « sindonologues » depuis des lustres et qui relèvent toutes du délire d’interprétation, quand elles ne sont pas de pures et simples forgeries. Sur ce sujet, la messe est dite depuis belle lurette, et elle a même été dite par l’évêque de Troyes, qui n’avait rien d’une ennemi de la foi et qui, juste après l’apparition de la prétendue relique à Lirey, au XIVe siècle, a réussi à trouver le faussaire…

La femme est-elle l’égale de l’homme ? Quatre points d’écart de QI selon Richard Lynn

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En octobre 2021, Richard Lynn publiait chez Arktos Sex Differences in Intelligence (Les différences sexuelles dans l’intelligence). Nous en présentons ici une synthèse agrémentée de quelques commentaires qui approfondissent ou illustrent les propos de l’auteur. La thèse de l’ouvrage est que les hommes ont un QI (quotient intellectuel) moyen supérieur de quatre points à celui des femmes. Si cela n’avait pas été remarqué avant Richard Lynn, c’est parce que cet avantage cognitif ne se dessine qu’à partir de la fin de l’adolescence, quand le cerveau des garçons continue de grossir, là où celui des filles connaît déjà sa taille définitive : c’est la théorie développementale.

L’intuition du XIXe siècle
« Ce qui établit la distinction principale dans la puissance intellectuelle des deux sexes, c’est que l’homme atteint, dans tout ce qu’il entreprend, un point auquel la femme ne peut arriver, quelle que soit, d’ailleurs, la nature de l’entreprise, qu’elle exige ou une pensée profonde, la raison, l’imagination, ou simplement l’emploi des sens et des mains. […] Nous pouvons ainsi déduire de la loi de la déviation des moyennes, si bien expliquée par M. Galton dans son livre sur le Génie héréditaire, que si les hommes ont une supériorité décidée sur les femmes en beaucoup de points, la moyenne de la puissance mentale chez l’homme doit excéder celle de la femme[1]. » Voici ce qu’écrivait Darwin dans The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex (La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe). Darwin et les grands biologistes du XIXe siècle, comme Broca ou Romanes, avaient constaté la supériorité intellectuelle des hommes sur les femmes et l’expliquaient par des différences de forme ou de taille et de poids du cerveau[2].

Même QI, mais cerveaux de taille différente : paradoxe ?
Au XXe siècle, l’invention des « tests » (analyses en français) d’intelligence permet de comparer avec précision l’intelligence des deux sexes. Or, à la grande surprise des chercheurs, les différences moyennes qui apparaissent çà et là sont négligeables. D’Edward Thorndike à Arthur Jensen, en passant par Lewis Terman, Cyril Burt et Raymond Cattell, tous des grands noms de la psychométrie, personne ne constate un réel avantage masculin.
En dépit de ce consensus, le problème posé par Broca, Darwin et Romanes tient toujours : l’association entre l’intelligence et la taille du cerveau devrait donner aux hommes, parce qu’ils ont en moyenne un cerveau plus gros, une intelligence supérieure.
On sait depuis 1888, grâce aux mesures que Francis Galton a faites auprès des étudiants de Cambridge que la taille du cerveau est liée à l’intelligence. Précisément, analysées par Pearson, les données de Galton permettent de dégager une corrélation de 0,11. Par la suite, de nombreuses études, plus précises, ont retrouvé une corrélation positive et cette fois-ci bien plus importante : l’imagerie par résonance magnétique, en donnant une estimation quasi parfaite de la taille du cerveau, donne des corrélations avec le QI allant de 0,3 à 0,4[3].

Taille absolue et taille relative du cerveau
Toujours dans La Filiation de l’Homme, Darwin demande : « Le cerveau de l’homme est, absolument parlant, plus grand que celui de la femme ; mais est-il plus grand relativement aux dimensions plus considérables de son corps ? ». C’est certain, la différence de taille du cerveau selon le sexe est bien documentée depuis les travaux fondateurs de Paul Broca. Une méta-analyse de 77 études, publiée en 2014, conclut que les hommes ont un volume cérébral supérieur de 12 % à celui des femmes.[4] Mais qu’en est-il de la taille relative ? C’est une remarque essentielle de Darwin parce que la taille relative du cerveau est un bien meilleur indicateur de l’intelligence que la taille absolue. Dans les années 1970 et 1980, l’idée que la taille relative du cerveau était la même entre les sexes commençait à s’installer, mais elle a été formellement contestée en 1992 par un biologiste, Davison Ankney[5]. Il écrit[6] : « La grave erreur méthodologique consistait à utiliser le rapport entre la masse du cerveau et la taille du corps à la place d’une analyse de la covariance […]. [Je] l’ai illustré en montrant que, tant chez les hommes que les femmes, le rapport entre la masse cérébrale et la taille du corps diminue quand celle-ci augmente. Aussi […] les femmes les plus grosses ont un rapport plus petit que les femmes les plus fines, et il en va de même pour les hommes. Donc, parce que l’homme moyen est plus volumineux que la femme moyenne, le rapport de la masse du cerveau avec la taille du corps est le même. En conséquence, la seule comparaison sensée est celle du rapport entre la masse du cerveau et la taille du corps d’hommes et de femmes de même taille. De telles comparaisons montrent qu’à n’importe quelle taille, le rapport entre la masse cérébrale et la taille du corps est bien plus haut chez les hommes que chez les femmes (figure 2). En contrôlant la taille du corps, les hommes ont donc toujours un cerveau plus gros et lourd que celui des femmes, d’à peu près 100 g [contre 140 g en valeur absolue, NDLA]. »

En 1992, Ankney restait perplexe. Les données psychométriques ne semblaient pas donner une intelligence moyenne supérieure aux hommes, aussi proposa-t-il quatre solutions au paradoxe : 1. Le poids, la taille et la surface du corps ne tiennent pas compte d’éventuelles différences sexuelles quant à tel ou tel effort somatique qui justifierait un cerveau plus gros ; 2. les analyses de QI favorisent les femmes ; 3. le cerveau des femmes est plus efficace que celui des hommes ; 4. la taille relative du cerveau plus élevée des hommes est liée aux domaines cognitifs pour lesquels ils excellent, comme l’intelligence spatiale. Si Ankney préfère cette dernière hypothèse, il n’a rien pour l’étayer.
Pour résoudre ce paradoxe, Arthur Jensen a émis l’idée que les femmes avaient le même nombre de neurones que les hommes, mais étaient mieux agencés. C’est la troisième solution proposée par Ankney, et elle s’est révélée fausse en 1997 après que l’on eut découvert que les femmes avaient quatre milliards de neurones néocorticaux de moins que les hommes (19,3 milliards contre 22,8 milliards, une différence de presque 16 %). L’étude montre que l’âge et le sexe sont les deux principales variables qui expliquent cette différence neuronale, sans que la taille ne l’influence[7].

Les analyses de QI favorisent-elles les femmes ?
Si Ankney balaie l’hypothèse d’analyses biaisées à l’avantage des femmes, Richard Lynn la prend au sérieux. Il cite Joseph Matarazzo : « Dès le début, ceux qui ont développé les analyses d’intelligence les plus connus (Binet, Terman et Wechsler) ont bien fait attention à contrebalancer ou éliminer de leur échelle finale toutes les sous-analyses ou les items qui, empiriquement, donnaient un résultat plus élevé à un sexe ou à l’autre. » Il cite aussi Kaufman et Lichtenberger selon lesquels « les développeurs des analyses ont régulièrement essayé d’éviter les biais sexuels durant les phases de développement. » Précisément, les analyses de Wechsler ont été purgées des épreuves de perception spatiale, de rotation mentale et d’intelligence mécanique sur lesquelles les hommes avaient respectivement un avantage de 9.6, 10.9 et 10.2 points[8].
Est-ce là la résolution du paradoxe ? Non, ou pas seulement, car malgré les tentatives des constructeurs des analyses d’égaliser les résultats entre les sexes, une différence moyenne persiste.

La résolution du paradoxe
À partir des années 1990, Richard Lynn publie une série d’articles dans lesquels il expose la théorie développementale[9]. Il y montre que les garçons et les filles ont le même QI jusqu’à l’âge de 15 ans, et qu’à partir de 16 ans, un écart se creuse jusqu’à l’âge adulte et atteint environ 4 points. Ce qui explique cette différence est qu’à 16 ans, le cerveau des garçons continue de grandir, ce qui a été confirmé par des études neurologiques qui montrent que chez les garçons, au milieu de l’adolescence, la matière blanche grossit plus que chez les femmes. Cette thèse va dans le sens de toute la littérature scientifique qui montre que les garçons finissent leur croissance plus tard et ont une maturation cérébrale et comportementale plus tardive que les filles.
Les données les plus récentes sont compilées dans Sex Differences in Intelligence, ouvrage que Richard Lynn a publié chez Arktos en 2021. Dans un chapitre qui sert d’introduction à la théorie développementale, il présente dans un tableau reproduit ci-après les études qui comparent l’évolution de la taille du cerveau suivant l’âge et le sexe ; elles montrent qu’à partir de 16 ans, un avantage masculin se creuse jusqu’à 21 ans. Les analyses psychométriques suivent la même tendance. Réalisés aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne, elles montrent que c’est entre 14 et 16 ans que l’avantage cognitif des garçons se dessine. La première ligne du tableau est la capacité crânienne des femmes donnée en pourcentage par rapport à celle des hommes. On note qu’elle décline à partir de quinze ans. La deuxième ligne expose les différences sexuelles dans la taille du cerveau en cm3. Les lignes suivantes montrent les différences de performance selon le sexe sur différentes analyses de l’intelligence. Quand la taille d’effet[10] donnée est positive, les garçons ont de meilleurs résultats.

Le chapitre suivant est consacré aux enfants et montre que jusqu’à quatre ou cinq ans les filles sont plus intelligentes que les garçons. Le chapitre quatre porte sur les matrices de Raven, qui sont l’une des meilleures mesures de l’intelligence. Lynn y présente plusieurs méta-analyses, à jour en 2021, qui donnent tort à ceux qui prétendent que les matrices ne montrent pas d’avantage masculin, ou un avantage négligeable. Systématiquement, quand les données sont analysées en fonction de l’âge, les garçons dévoilent un avantage substantiel à la fin de l’adolescence, et cela même quand les matrices n’analysent pas l’intelligence visuo-spatiale. Le chapitre cinq porte sur les analyses de Wechsler. Elles sont largement utilisées, car elles englobent un échantillon important de capacités cognitives. Le WPPSI (4 à 6 ans) ne montre pas d’avantage masculin ; le WISC (6 à 16 ans) montre un léger avantage masculin (1,8 point) ; le WAIS, pour les adultes, montre un avantage de 3.6 points, pas loin des 4 estimés par Lynn dans son premier article de 1994. Le chapitre six se concentre sur les autres analyses de l’intelligence, principalement des épreuves spécifiquement nationales, qui donnent en moyenne un avantage masculin de 3,45 points. Le chapitre sept s’intéresse au temps de réaction, dont la corrélation avec le QI oscille de 0,30 à 0,56 selon les études. L’avantage masculin touche tant au temps de réaction visuel qu’auditif, et selon une méta-analyse récente, sa taille d’effet est de 0,35 d. Avec une corrélation de 0,30 entre le QI et le temps de réaction, cela donne un avantage masculin de 2,1 points de QI. Le chapitre 8 se penche précisément sur g, c’est-à-dire l’intelligence générale. Dans une analyse de QI, les résultats des différentes tâches sont positivement corrélés, et il en ressort ce facteur g, qui explique généralement autour de 50 % de la variance totale. g est ce que les analyses de QI mesurent de plus important, parce que plus g est élevé, et plus les tâches complexes rencontrées au travail et dans la vie quotidienne sont faciles[11]. Cependant, il n’est pas évident d’extraire g des analyses psychométriques pour comparer les performances de deux groupes. Lynn retrace les controverses statistiques autour des différences sexuelles quant à g et note, après qu’une méthode optimale a été élaborée, qu’au moins 2,4 des points qui donnent l’avantage aux hommes sont attribuables à g.

Hypothèses évolutionnaires
Dans le chapitre neuf, Richard Lynn propose l’idée selon laquelle la domination intellectuelle des hommes vient de la compétition pour le territoire et le statut social, qui permet l’accès aux femmes et à la reproduction. Nos ancêtres masculins les plus intelligents auraient pu « conclure des alliances plus efficaces, montrer leur qualité de chef à la chasse comme à la guerre et dominer les hommes les moins intelligents ». Selon Lynn, il se trouve là l’explication à la maturation plus tardive du cerveau des garçons. Ceux-ci ont besoin d’acquérir des compétences et de l’expérience dont les femmes n’ont pas besoin.
Une deuxième hypothèse vient de la sélection sexuelle, parce que les femmes préfèreraient les hommes plus intelligents. Il n’est pas évident que l’intelligence soit directement choisie par les femmes – et il est même notable que les femmes ne sont pas attirées par les hauts niveaux d’intelligence[12]. Par contre, elles le sont par le statut social, qui est substantiellement corrélé à l’intelligence.
Lynn note des différences raciales quant à la magnitude des différences sexuelles dans l’intelligence. Chez les congoïdes, l’écart entre les sexes est inférieur à celui constaté chez les caucasoïdes européens. Cela est concordant avec le fait, mis au jour par Rushton, que la différence de taille du cerveau entre les sexes est plus importante chez les caucasoïdes européens (204 cm3) que chez les congoïdes américains (189 cm3) – pour les officiers, car les données viennent de l’armée américaine, l’écart entre les sexes passe de 210 cm3 pour les caucasoïdes à 197 cm3 pour les congoïdes. Selon Lynn, l’explication évolutionnaire la plus probable est que les défis cognitifs ont été plus difficiles dans l’environnement évolutionnaire des caucasoïdes, notamment en raison des hivers froids. Il note l’existence de données qui confirment son hypothèse : les différences sexuelles dans les « compétence de chasse » sont plus marquées chez les caucasoïdes américains que chez les congoïdes américains.
Enfin, si Richard Lynn a raison, l’écart cognitif entre les sexes devrait être plus grand chez les mongoloïdes du Nord-Est, qui ont subi un environnement encore plus difficile et donc cognitivement demandeur. Or, les résultats des différentes analyses de Wechsler montrent une taille d’effet moyenne de 0,31 d pour différences sexuelles entre les mongoloïdes du Nord-Est contre 0,21 d pour les caucasoïdes européens.

Avantages masculins et avantages féminins
Les chapitres 10 et 11 consistent à montrer que les hommes et les femmes ont des points forts respectifs dans des domaines cognitifs spécifiques. Où les hommes sont-ils meilleurs ? Dans le raisonnement non verbal et abstrait, le raisonnement verbal (similitudes et compréhension), l’intelligence numérique et mathématique, l’arithmétique mentale, l’arithmétique écrite, l’intelligence spatiale, le raisonnement mécanique et la culture générale. Où les femmes sont-elles meilleures ? Dans la fluidité verbale, la capacité d’apprentissage d’une seconde langue, la mémoire visuelle et la mémoire de l’emplacement des choses, la capacité d’épeler, la vitesse de perception et de traitement, la capacité de lecture, la mémoire épisodique, la capacité d’écriture, la dextérité, la mémoire immédiate (sauf quand elle est mesurée par le WISC et le WAIS…) et la théorie de l’esprit, c’est-à-dire comprendre ce que les autres pensent – les femmes décodent en effet mieux les indices non verbaux et identifient mieux les émotions que les hommes. Lynn note un avantage féminin important (0,47 d) pour l’intelligence émotionnelle, mais celle-ci, croyons-nous, n’est que l’association de l’intelligence générale avec des traits désirables du modèle en cinq grands traits[13] – où, il est vrai, les femmes ont un avantage quant à la conscienciosité, l’agréabilité et certaines facettes de l’extraversion[14].

Et la plus grande variabilité des hommes ?
Dans son dernier ouvrage, Richard Lynn ne fait pas grand cas de l’hypothèse selon laquelle les hommes feraient montre d’une plus grande variabilité quant à l’intelligence. L’une des raisons à cela, probablement, est qu’une méta-analyse qu’il a conduite avec Paul Irwing en 2005[15] ne trouvait pas de plus grande variabilité masculine dans les résultats aux matrices de Raven – c’est même l’inverse qui a été trouvée, les femmes étaient plus variables ! Cependant, il conclut son étude en précisant que l’hypothèse est peut-être juste et qu’il n’a pas été en mesure de la vérifier, car ses données, récoltées à l’université, excluent les attardés mentaux. Ceux-ci sont-ils surreprésentés parmi les hommes ? Les données sont insuffisantes pour en être en certain, dit Lynn.
En réalité, la plus grande variabilité phénotypique des hommes, notamment sur le plan intellectuel, fait l’objet d’une littérature non négligeable. Edward Dutton, qui travaille régulièrement avec Richard Lynn, s’étonne d’ailleurs de l’absence d’un chapitre consacré à la question[16]. Pourquoi les hommes seraient-ils plus variables biologiquement ? Ce serait une affaire de chromosome X, qui, relativement au chromosome Y, contient beaucoup d’information génétique, notamment sur le développement cérébral. Si les hommes n’ont qu’un chromosome X, les femmes en ont deux. Aussi expriment-elles, quand elles sont hétérozygotes, une version intermédiaire de tel ou tel trait[17]. Cela dit, le chromosome X n’est peut-être pas le seul responsable. Peut-être que l’avantage moyen et la plus grande variabilité des hommes sont toutes les deux dues à la façon dont les hormones androgènes changent l’expression des gènes. La testostérone semble être la cause de l’avantage des hommes dans l’intelligence spatiale, par exemple ; et si la testostérone exacerbe l’expression des gènes de l’intelligence, qu’ils soient bénéfiques ou délétères, il y a là une explication de la plus grande variabilité masculine[18].

Conclusion
Pas assez cosmopolitiquement correcte, la thèse de Richard Lynn est largement ignorée par ses pairs. Pourtant, dès 1994, Richard Lynn avait apporté des données et une réflexion convaincantes sur l’avantage moyen de quatre points qu’ont les hommes sur les femmes aux analyses de QI. Les données psychométriques du monde entier dessinent en effet ce même schéma, celui d’un avantage masculin qui apparaît clairement à la fin de l’adolescence et qui suit de près le développement physiologique et anatomique des garçons, notamment celui du la taille du cerveau. Sex Differences in Intelligence ne fait qu’enfoncer le clou.

Pierre de Tiremont


[1] https://fr.wikisource.org/wiki/La_Descendance_de_l’homme_et_la_sélection_sexuelle/19.

[2] Sex Differences in Intelligence, Arktos, 2021, p. 2.

[3] Ibid., p. 6. Richard Lynn ne précise cependant pas que la corrélation de 0.11 n’a pas été donnée par Galton, mais par Pearson.

[4] Ibid., p. 6.

[5] Ankney, C. Davison, « Sex differences in relative brain size: The mismeasure of woman, too? », Intelligence, 1992. Cité par Richard Lynn.

[6] J. Philippe Rushton, C. Davinson Ankney, « Whole Brain Size and General Mental Ability: A Review », International Journal of Neuroscience, 2009.

[7] Richard Lynn, op. cit., p. 7.

[8] Ibid., p. 40.

[9] Ibid., p. 9.

[10] « En statistique, une taille d’effet est une mesure de la force de l’effet observé d’une variable sur une autre […]. [L]e d de Cohen ou d’  permet de caractériser la magnitude d’un effet associé dans une population donnée par rapport à une hypothèse nulle. Traditionnellement, un d autour de 0.2 est décrit comme un effet « faible », 0.5 « moyen » et 0.8 comme « fort » […]. » Voir la page Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Taille_d%27effet.

[11] Linda S. Gottfredon, « Why g Matters: The Complexity of Everyday Life », Intelligence, 1997.

[12] Matthew A. Sarraf, Michael A. Woodley of Menie, Colin Feltham, Modernity and Cultural Decline, Palgrave, 2019, p. 283.

[13] Le modèle OCEAN (ouverture, conscienciosité, extraversion, agréabilité, neuroticisme), connu en anglais sous le nom de Big Five, décrit la personnalité en cinq traits principaux. Voir la page Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Modèle_des_Big_Five_(psychologie).

[14] https://www.inc.com/quora/its-time-to-stop-talking-about-eq-because-it-doesnt-actually-exist.html.

[15] Paul Irwing, Richard Lynn, « Sex differences in means and variability on the Progressive Matricesin university students: a meta-analysis », British Journal of Psychology, 2005.

[16] http://www.quarterly-review.org/the-case-for-greater-male-intelligence/.

[17] La désactivation, chez la femme, de l’un des deux chromosomes X ne rend pas cette hypothèse caduque, même si elle pousse à ne pas exagérer l’ampleur des différences sexuelles dans la variabilité. En effet, une part substantielle des gènes du chromosome désactivé s’échappent et s’expriment tout de même. Voir, sur cette question, ces deux articles :
Wendy Johnson, Andrew Carothers, Ian J. Deary, « A Role for the X Chromosome in Sex Differences in Variability in General Intelligence? », Perspectives on Psychological Science, 2009

Ian W. Craig, Claire M.A. Haworth, and Robert Plomin, « Commentary on ‘‘A Role for the X Chromosome in Sex Differences in Variability in General Intelligence?’’ (Johnsonet al., 2009) », Perspectives on Psychological Science, 2009.

[18] Davide Piffer, « Sex Differences in Intelligence: A Genetics Perspective », Mankind Quarterly, 2017.

Discours historique de M. Viktor Orbán, premier ministre de la Hongrie, sur l’état du monde et la guerre en Ukraine

Discours prononcé le 23 juillet 2022 à Tusnádfürdő (nom hongrois de la ville de Băile Tuşnad, ou Tusnad-les-Bains, en Roumanie, à l’est de la Transylvanie) lors de la trente-et-unième université d’été de Bálványos, cercle de pensée qui se consacre à l’avenir de la minorité hongroise de Roumanie.

Version intégrale traduite du hongrois. Pour établir le texte, nous avons corrigé la traduction officielle en français en nous référant à la traduction officielle en anglais et à diverses autres traductions, en français ou en anglais, publiées sur Internet. Nous confessons que nous ne parlons pas hongrois, en sorte que nous n’avons pu nous reporter ni à la transcription du discours ni au discours lui-même, que l’on trouvera sur YouTube à l’adresse :
https://www.youtube.com/watch?v=qwDgIYXR2v4.
Les intertitres, les gras et les italiques sont de nous.
[Nos commentaires sont entre crochets et en italiques.]

Avant-propos

Mesdames et Messieurs, bonjour !

Je me réjouis de vous voir. Zsolt Németh m’a fait venir ici à la condition que je parle exactement moitié moins longtemps que j’en aurais eu envie [Zsolt Németh est président de la commission des affaires étrangères de l’assemblée nationale de la Hongrie]. En hongrois, le mot « moitié » sonne bien. L’on a une fois demandé au pape combien de gens travaillaient au Vatican, ce à quoi il a répondu : « La moitié ». Bon, je vais m’efforcer de condenser mon propos. Ce ne sera pas facile de m’écouter jusqu’au bout, parce que j’ai beaucoup de choses à dire, et je vois qu’il va faire chaud. Mais le mouton en bonne santé supporte sa toison. C’est en 2019 que nous nous sommes rencontrés pour la dernière fois, il y a déjà trois ans. Il est bien que nous puissions nous retrouver à nouveau, librement, entre amis, nous asseoir sur la terrasse et boire un fröccs [boisson alcoolisée hongroise, mélange de vin et d’eau gazeuse injectée sous pression]. Nous avons de bonnes raisons de déguster cet apéritif Fidesz – deux tiers-un tiers – ce qui nous montre qu’il existe bel et bien des réalités éternelles [le Fidesz, Fiatal Demokraták Szövetsége, ou Alliance des jeunes démocrates, est la formation de M. Orbán, qui fait ici allusion à la majorité des deux tiers que son parti a obtenu aux élections législatives du 3 avril 2022].
Depuis que nous nous sommes rencontrés la dernière fois, le monde a beaucoup changé. En 2019, nous pouvions participer à une université d’été particulièrement optimiste et pleine de confiance. Mais la décennie qui s’ouvre à présent devant nous sera très clairement une décennie de dangers, d’incertitudes et de guerres, comme le montre bien ce qui se passe ici [en réaction à une brève perturbation dans le public]. Soyez aussi polis que les policiers de Budapest l’ont été avec les drogués sur les ponts [à l’occasion d’une manifestation récente]. Nous sommes entrés dans une ère de dangers, et les piliers de la civilisation occidentale, que l’on tenait pour inébranlables, se fissurent. Je citerai trois de ces secousses qui provoquent de telles fissures : primo, nous avions cru que nous vivions sous l’auvent protecteur de la science – et le covid nous est tombé dessus ; secundo, nous avions cru qu’il ne pouvait plus y avoir de nouvelle guerre en Europe – et la guerre fait rage aux frontières de la Hongrie ; et, tertio, nous avions cru que la guerre froide ne pouvait plus jamais revenir – et nombre de dirigeants dans le monde travaillent au contraire à ressusciter la logique des blocs.
Ces phénomènes, que je n’avais absolument pas évoqués en 2019, nous apprennent donc à rester modestes, car notre capacité à prévoir l’avenir connaît de sérieuses limites. Cet avertissement vaut pour tous ceux qui s’expriment sur l’avenir. En 2019, je n’ai parlé ni de pandémie ni de guerre européenne ni de nouvelle victoire aux deux tiers ni du retour de la gauche en Allemagne ni que nous allions battre les Anglais ici, et là-bas par 4-0 [en Ligue des nations, l’équipe hongroise de balle au pied a battu l’équipe anglaise 1-0 le 4 juin 2022, puis 4-0 le 14 juin 2022]. Je conseille donc vivement la modestie et l’humilité à ceux qui s’occupent de scruter l’avenir. Ils ne peuvent pas s’approprier les attributs du Seigneur de l’Histoire. C’est dans cet esprit que je vous demande de prendre ce que je vais dire à présent. Je partirai de loin, avant d’arriver jusqu’ici, au pays sicule [les Sicules ou Széklers sont un groupe de la minorité hongroise de Roumanie qui parle un dialecte. Ils sont installés depuis des siècles en Transylvanie, province qui faisait autrefois partie du royaume de Hongrie].

*

I – Le déclin de l’Occident

Chers amis, lorsque l’on observe le monde, ce qui est le plus frappant, c’est que les données suggèrent qu’il va de mieux en mieux, alors que nous avons l’impression que c’est le contraire. L’espérance de vie a atteint soixante-dix ans et, en Europe, elle est de quatre-vingts ans. Au cours des trente dernières années, la mortalité infantile a diminué des deux tiers. En 1950, le taux de sous-alimentation dans le monde était de 50%, alors qu’il n’est aujourd’hui que de 15%. Le taux d’alphabétisation s’élève maintenant à 90%. La durée du travail hebdomadaire, qui était encore de 52 heures en 1950, est aujourd’hui de 40 heures et le temps libre est passé de 30 heures à 40 heures. Je pourrais allonger la liste. Cependant, l’opinion générale est tout de même que nous vivons dans un monde de plus en plus inquiétant. Les informations, le style des informations, sont de plus en plus sombres et il plane une sorte d’attente de fin du monde qui devient de plus en plus intense.
La question est la suivante : se peut-il que des millions d’individus se méprennent purement et simplement sur ce qui leur arrive ? Mon interprétation de ce phénomène est que notre morosité provient d’une idée de la vie fondamentalement occidentale et résulte du fait que l’énergie, l’efficacité, le crédit et la capacité d’action de la civilisation occidentale s’étiolent. Les zapadniks [terme emprunté au tchèque], c’est-à-dire les Occidentaux de naissance, balaient ce constat d’un revers de main, en disant qu’on le sait, que Spengler avait déjà écrit sur le déclin de l’Occident, mais que l’Occident est toujours là, et même bien là, puisque ce n’est pas à l’Est, mais à l’Ouest que nous envoyons nos enfants, si nous en avons les moyens, étudier à l’université [référence au fameux ouvrage du philosophe allemand Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident, paru en 1922]. « Il n’y a donc pas péril en la demeure. » En réalité, il y a cent ans, quand on parlait du déclin de l’Occident, on faisait référence à une perte de poids spirituel et démographique. Ce que l’on voit aujourd’hui, en revanche, c’est un affaiblissement de la puissance et des ressources matérielles du monde occidental. Je dois dire quelques mots à ce sujet pour nous aider à bien comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons
Il est important de mesurer combien les autres civilisations – la Chine, l’Inde, la Russie, disons le monde orthodoxe, et même l’Islam – se sont, elles aussi, modernisées. Nous voyons maintenant que ces civilisations rivales se sont approprié la technologie occidentale ; elles ont assimilé le système financier occidental, mais elles n’ont pas adopté les valeurs occidentales, et elles n’ont pas la moindre intention de les adopter. Néanmoins, l’Occident veut diffuser ses propres valeurs, ce que le reste du monde ressent comme une humiliation. C’est quelque chose que nous comprenons, car nous ressentons parfois la même chose. Je rappellerai ce qui est arrivé à notre ministre des affaires étrangères Péter Szijjártó, vers 2014, sous un gouvernement américain précédent [le président des États-Unis d’Amérique était alors le démocrate Barack Hussein Obama, mulâtre fils d’un Kényan musulman]. Un officiel américain qui nous rendait visite lui a glissé négligemment sous le nez une feuille de papier en lui disant qu’il y trouverait les points sur lesquels il faudrait modifier la constitution hongroise pour restaurer l’amitié avec les États-Unis… Cet exemple montre que nous avons des raisons de comprendre la résistance de la part des autres régions du monde vis-à-vis de cette diffusion des valeurs et de cette exportation de la démocratie. Le reste du monde a compris, on peut le supposer, qu’il doit se moderniser précisément parce que c’est le seul moyen de résister à l’exportation des valeurs occidentales, qui lui sont étrangères.
Le plus douloureux dans cette perte de puissance et d’influence matérielle est que nous, c’est-à-dire l’Occident, avons perdu la maîtrise de nos fournisseurs d’énergie. En 1900, les États-Unis et l’Europe avaient la maîtrise de 90% des fournitures de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Ce pourcentage était tombé à 75% en 1950, et aujourd’hui la situation est la suivante : les États-Unis et l’Europe en maîtrisent ensemble 35% (les États-Unis 25% et nous 10%) – les Russes 20% et le Proche-Orient 30%. Et la situation est la même pour les matières premières. Au début du siècle dernier, les Américains, les Britanniques et les Allemands détenaient une part considérable des matières premières nécessaires à l’industrie moderne. Après la seconde guerre mondiale, les Soviétiques s’y sont joints et nous voyons qu’aujourd’hui ces matières premières sont détenues par l’Australie, le Brésil et la Chine – 50 % des exportations totales de matières premières de l’Afrique allant à la Chine. Mais l’avenir ne nous réserve rien de bon non plus. En 1980, les États-Unis et l’Union soviétique se partageaient l’essentiel de la fourniture des terres rares, qui sont la matière première de l’industrie issue de la technologie moderne. Aujourd’hui, les Chinois en produisent cinq fois plus que les États-Unis et soixante fois plus que les Russes. Cela signifie que l’Occident est en train de perdre la bataille des matières premières. Si nous voulons comprendre l’état du monde et la place des Occidentaux dans le monde, nous devons partir de ce fait que la majeure partie des fournisseurs d’énergie et des ressources énergétiques échappe à la civilisation occidentale. Voilà les faits concrets.
Dans ce contexte, notre situation – celle de l’Europe – est difficile à un double titre, en raison même de la stratégie des États-Unis. L’année 2013 n’a pas été inscrite dans les annales. Or, ce fut l’année où les Américains ont lancé les nouvelles technologies d’extraction de matières premières et de ressources énergétiques – pour faire simple, appelons cela la « méthode d’extraction par fracturation ». Ils ont immédiatement proclamé une nouvelle doctrine de la politique de sécurité des États-Unis. Je cite : « Cette nouvelle technologie – déclaraient-ils – renforce notre position pour poursuivre et atteindre nos objectifs de sécurité internationale. » Les Américains n’ont donc pas caché qu’ils allaient utiliser l’énergie comme arme de politique étrangère. Nous ne devons pas nous laisser abuser par le fait qu’ils en accusent d’autres d’avoir les mêmes intentions. Il s’ensuit que les Américains pratiquent une politique de sanctions plus radicale – c’est ce que nous voyons aujourd’hui dans le contexte du conflit russo-ukrainien – et qu’ils se sont mis à inciter fortement leurs alliés – c’est-à-dire nous – à s’approvisionner chez eux.
Et cela marche. Les États-Unis ont les moyens d’imposer leur volonté parce qu’ils ne dépendent pas de l’énergie des autres. Ils sont en mesure d’exercer des pressions hostiles parce que les réseaux financiers nécessaires à la mise en œuvre de la politique de sanctions – appelons cela SWIFT, pour faire simple – sont entre leurs mains [SWIFT, Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, « société de télécommunication financière interbancaire mondiale », est un service de messagerie sécurisée utilisé pour les virements bancaires ; il n’a pas de vrai concurrent]. Ils sont également en mesure d’exercer des pressions amicales, c’est-à-dire de convaincre leurs alliés d’acheter chez eux.
Cette politique s’est, dans un premier temps, avancée à pas feutrés. Lorsque le président Trump s’est rendu pour la première fois en Pologne, il s’est contenté de les appeler à acheter du « freedom gas », du « gaz de la liberté ». Ce n’est qu’aujourd’hui, en 2022, que la politique des sanctions est venue compléter la stratégie américaine. Voilà où nous en sommes et je ne serais pas surpris qu’ils inclussent bientôt l’uranium et l’énergie nucléaire dans la même démarche. À cela, nous, les Européens, nous avons répondu que nous n’avions pas l’intention de nous rendre dépendants des Américains. Ce n’est pas très joli, mais les Européens se disaient entre eux : « Nous avons attrapé un Yankee, mais il ne veut pas nous lâcher ! » [Le sens de cette plaisanterie nous échappe.] Ne voulant pas trop rester dans cette situation délicate, ils ont donc essayé de protéger aussi longtemps que possible l’axe énergétique germano-russe, pour maintenir nos importations d’énergie russe en Europe. C’est cela que la politique internationale a mis en pièces [du fait des sanctions contre la Russie décidées par les pays de l’Union européenne après l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022]. Puis, sous l’impulsion des Allemands, nous avons donné une autre réponse : le passage aux sources d’énergie renouvelables. Jusqu’à présent, cela n’a pas fonctionné, car la technique est coûteuse, et donc l’énergie qui en est tirée l’est aussi. De plus, le passage à cette technologie moderne ne va pas de soi, il ne se fait que sous la pression d’en haut, exercée sur les États membres par la Commission de Bruxelles – bien que cela nuise gravement aux intérêts des États membres.
Je voudrais ici ouvrir une parenthèse pour dire un mot des « valeurs européennes ». Voici par exemple la toute nouvelle proposition de la Commission de l’Union européenne, aux termes de laquelle tout le monde doit réduire sa consommation de gaz naturel de 15%. Je ne vois pas comment ils peuvent y contraindre les États membres, – quoique, d’après ce que j’ai cru comprendre, il existe un savoir-faire allemand en la matière, comme le passé l’a montré… De plus, si cela ne suffisait pas et si quelqu’un venait à manquer de gaz, on en prélèverait chez ceux qui en ont. Par conséquent, la Commission se garde bien d’intimer aux Allemands de renoncer à arrêter leurs deux ou trois centrales nucléaires encore en activité, qui produisent une énergie bon marché, elle les laisse au contraire les fermer. Et, s’ils n’ont plus d’énergie, ils viendront prendre chez nous, d’une manière ou d’une autre, le gaz dont nous disposons parce que nous l’avons mis en réserve. Nous, les Hongrois, appelons cela un « Einstand » [mot allemand employé ici dans le sens de « confiscation par le plus fort »], ce que nous avons appris dans Les garçons de la rue Paul [roman pour la jeunesse de l’écrivain hongrois Ferenc Molnár, 1906]. C’est à cela que nous devons nous préparer.
En un mot comme en cent, Mesdames et Messieurs, ce que je veux dire, c’est que les sentiments négatifs de l’Occident à l’égard de l’état du monde sont dus au fait que l’énergie et les matières premières indispensables au développement économique ne sont plus entre ses mains. Ce qu’il possède, c’est la puissance militaire et le capital. La question est de savoir ce que l’on peut en faire dans les circonstances actuelles.

*

II – L’avenir de la Hongrie

Permettez-moi, après cela, de dire un mot de nous, les Hongrois. À quelles questions, comment et dans quel ordre la Hongrie et la nation hongroise doivent-elles répondre ? Les questions, comme les couches du gâteau Dobos, s’empilent les unes sur les autres. Les plus consistantes en-dessous, les plus légères et les plus savoureuses, au-dessus. [Le gâteau Dobos, ou Dobos Torta, est une célèbre pâtisserie hongroise créée à Budapest par Jozsef Dobos]. C’est cet ordre que je suivrai.
Le premier défi et le plus important, mes amis, concerne la population, ou la démographie. Le fait est que le nombre des enterrements continue à être bien supérieur à celui des baptêmes. Que cela nous plaise ou non, l’on peut répartir les peuples du monde en deux catégories : ceux qui sont capables d’assurer leur propre survie biologique ; et ceux qui n’en sont pas capables, groupe dont nous faisons partie quant à nous. Notre situation s’est améliorée, mais il n’y a pas eu de tournant majeur. C’est pourtant l’alpha et l’oméga de tout. S’il ne se produit pas de revirement, tôt ou tard nous serons évincés de la Hongrie, nous serons évincés du bassin des Carpates.
Le deuxième défi est l’immigration. Nous pouvons l’appeler remplacement de population ou submersion, peu importe. Un livre remarquable écrit en français en 1973, et récemment publié en Hongrie, traite justement de cette question : Le Camp des Saints [livre de l’écrivain français Jean Raspail, dont le titre fait référence à l’Apocalypse de saint Jean, XX 9]. Je le recommande à tous ceux qui veulent comprendre les processus mentaux qui sous-tendent l’incapacité des Occidentaux à assurer leur propre défense. L’immigration a coupé l’Europe en deux. Je pourrais dire aussi que c’est l’Occident qu’elle a coupé en deux. L’une de ses moitiés est un monde où des peuples européens et non-européens vivent ensemble. Ces pays ne sont plus des nations. Ils ne sont rien d’autre qu’un conglomérat de peuples. Je pourrais dire aussi que ce n’est plus l’Occident, mais le post-Occident, où – selon les lois de la mathématique – le changement démographique définitif se produira vers 2050 avec, dans cette partie de l’Europe, le dépassement du seuil de 50% de population d’origine non-européenne dans les grandes villes. Et voici l’autre moitié de l’Europe, l’autre moitié de l’Occident : l’Europe centrale, c’est-à-dire nous. Je pourrais dire aussi, si ce n’était pas quelque peu troublant, que l’Occident, pris dans son sens spirituel, s’est déplacé en Europe centrale. L’Occident est ici, il ne reste là-bas que le post-Occident. Une bataille se livre entre ces deux parties de l’Europe. Nous avons fait quant à nous des propositions de tolérance aux post-Occidentaux, afin de rester en paix les uns avec les autres et de laisser chacun décider de ceux avec lesquels il souhaite vivre, mais ils les ont rejetées et continuent à se battre contre l’Europe centrale dans le but de nous rendre semblables à eux. Je ne m’arrêterai pas sur le commentaire moral qu’ils y attachent – il fait si beau ce matin ! Bien qu’il soit moins question d’immigration à l’heure actuelle, croyez-moi, rien n’a changé. Avec l’aide des troupes affiliées à Soros, Bruxelles veut tout simplement nous imposer les immigrés [George Soros est un milliardaire juif d’origine hongroise qui a bâti sa fortune sur la spéculation. Il est à la tête des Open Society Foundations, « fondations de la société ouverte », qu’il a créées pour exercer dans de nombreux pays du monde une action subversive de grande ampleur, servie par des moyens financiers considérables. Son entreprise a pour objet de diffuser les idées cosmopolites de la superclasse mondiale et de porter au pouvoir des hommes politiques qui les partagent, après avoir fait tomber les gouvernements nationalistes par les « révolutions de couleur » qu’il a fomentées]. Ils nous ont aussi cités en justice à propos du système hongrois de défense des frontières et un jugement a été rendu à notre encontre. Pour un certain nombre de raisons, on ne peut pas en dire grand-chose actuellement, mais nous avons été déclarés coupables. S’il n’y avait pas eu la crise des réfugiés ukrainiens, ils auraient commencé à nous appliquer ce jugement, et ce qui peut advenir dans cette situation comporte une grande part d’incertitude. Mais, puisque la guerre a éclaté et que nous accueillons les réfugiés d’Ukraine, la question a été mise de côté – elle n’a pas été retirée de l’ordre du jour, elle a simplement été mise de côté. Il est important que nous les comprenions. Il est important que nous comprenions que ces braves gens, là-bas en Occident, en post-Occident, ne peuvent pas supporter de se réveiller chaque matin et d’empoisonner leurs journées – et même leur vie entière avec l’idée que tout est perdu pour eux. Aussi ne voulons-nous pas qu’ils soient confrontés à cela jour et nuit. Tout ce que nous demandons, c’est qu’ils renoncent à nous imposer un destin que nous ne considérons même pas comme un destin pour une nation, mais comme sa ruine. C’est tout ce que nous demandons, et rien de plus.
Il y a ici une ruse idéologique, dont il faut parler et à laquelle il faut faire attention dans un tel environnement multiethnique. La gauche internationaliste [il vaudrait mieux dire : la gauche cosmopolite] voudrait nous faire accroire que l’Europe, par sa nature même, serait habitée depuis toujours par des peuples de races mêlées. Il s’agit d’un tour de passe-passe historique et sémantique, car elle confond deux choses différentes. Il y a en effet un monde dans lequel les peuples européens sont mélangés à ceux qui arrivent de l’extérieur de l’Europe. C’est là un monde de races mêlées. Et il y a notre monde, où les peuples vivant à l’intérieur de l’Europe se mélangent entre eux : ils se déplacent, trouvent des emplois et déménagent. Ainsi, par exemple, dans le bassin des Carpates, nous ne sommes pas de races mêlées. Nous sommes tout simplement un mélange de peuples vivant ensemble dans leur patrie européenne [regrettable concession à l’européisme : il y a une patrie hongroise, une patrie française, mais il n’y a pas de « patrie européenne »]. Et quand l’alignement des astres et les vents sont favorables, ces peuples finissent par se fondre dans une sorte de brouet hungaro-pannonien, en créant une nouvelle culture européenne qui leur est propre. C’est pour cela que nous avons toujours combattu. Nous sommes disposés à nous mélanger les uns avec les autres, mais nous ne voulons pas devenir des peuples de races mêlées comme les pays d’Occident qui ne sont plus des nations. C’est pour cela que nous avons combattu à Nándorfehérvár [nom hongrois de Belgrade, assiégée par les Turcs ottomans en 1456 et défendue avec succès par un seigneur hongrois], c’est pour cela que nous avons arrêté les Ottomans à Vienne [assiégée par les Turcs à deux reprises, en 1529 et en 1683] et, si je ne me trompe, c’est pour cette même raison que les Français ont arrêté les Arabes à Poitiers dans les temps anciens [en 732]. La situation est aujourd’hui la suivante : la civilisation islamique, qui se rapproche constamment de l’Europe, a reconnu, précisément en raison de l’expérience de Nándorfehérvár [Belgrade], que la route qui passait par la Hongrie n’était pas appropriée pour l’envoi de ses adeptes en Europe. C’est pourquoi on nous a rejoué la version Poitiers : ce n’est plus par l’Est, mais par le Sud, qu’ils viennent occuper et submerger l’Occident. Cela nous laissera en héritage – non pas peut-être à nous, mais à nos enfants – une très lourde tâche : ce n’est pas seulement du Sud, mais aussi de l’Ouest, que nous devrons nous défendre. Le moment viendra où nous devrons accueillir d’une manière ou d’une autre les chrétiens en provenance de l’Ouest et les intégrer dans notre vie. Nous avons déjà connu cela et – Schengen ou pas – nous devrons bien arrêter à nos frontières occidentales ceux que nous ne voudrons pas laisser entrer chez nous. Mais ce n’est pas notre tâche d’aujourd’hui, ce n’est pas la tâche de notre génération. Notre tâche est simplement d’y préparer nos enfants. Comme l’a dit László Kövér [président de l’assemblée nationale de la Hongrie] dans un entretien : « Il faut veiller à ce que les jours heureux n’élèvent pas des hommes faibles, lesquels par la suite nous apporteront des jours sombres. »
Voilà pour la démographie et l’immigration. La couche suivante est la question du genre, que nous appelons chez nous la loi de protection de l’enfance. [Il aurait mieux valu parler de « sexe » plutôt que de « genre », mot qui fait référence à l’absurde « théorie du genre » chère aux cosmopolites de tous les pays, mais M. Orban était ici obligé de prendre le langage en vigueur dans l’Union européenne.] Ne l’oubliez pas : s’il en est aussi moins question aujourd’hui, c’est parce que les titres des journaux sont occupés par d’autres sujets, mais nous avons été ici aussi traînés en justice, et nous attendons la décision des juges. Le seul résultat que nous ayons obtenu dans ce domaine est en partie ou peut-être même en totalité dû à madame le ministre Judit Varga [ministre de la justice]. Nous avons réussi à dissocier notre profond différend sur la question de l’égalité des sexes du débat sur l’attribution des fonds européens, et les deux évoluent maintenant sur des voies séparées. Ici aussi, notre position est claire – c’est une nouvelle offre de tolérance : nous ne voulons pas prescrire aux autres comment ils doivent vivre, nous leur demandons simplement d’accepter que chez nous le père soit un homme, la mère soit une femme, qu’ils veuillent bien laisser nos enfants tranquilles – et qu’ils prennent la peine de le faire accepter également par les troupes de George Soros. Il est important que les Occidentaux comprennent qu’en Hongrie et dans cette partie du monde il ne s’agit pas d’une question idéologique, mais tout simplement d’une question existentielle majeure. Dans ce coin du monde, il n’y aura jamais de majorité en faveur de cette folie furieuse occidentale – excusez-moi pour le terme – ni de ce qui s’y pratique en son nom. Cela ne rentre tout simplement pas dans le crâne des Hongrois ni dans celui des fils de quelques autres peuples. Il y a tous ces « trans-quelque chose » : transnationaux et transgenre, mais le maximum que nous puissions prononcer est « Transylvanie », bien que la région s’appelle « Erdély » en hongrois. Nous ne pouvons pas faire plus. Je vous demande donc de ne pas vous tromper, de ne pas vous laisser tromper : nous avons la guerre, nous avons la crise énergétique, nous avons l’inflation issue de la guerre, tout cela dresse un écran devant nos yeux qui nous cache les questions relatives à l’immigration et au genre. Mais il n’en reste pas moins que ce sont sur ces questions que se jouera notre avenir. C’est la grande bataille historique que nous livrons : démographie, immigration, genre. Et c’est précisément ce qui est en jeu dans la lutte entre la gauche et la droite. Je ne vais pas citer le nom d’un pays ami, je ne ferai que l’évoquer. Il s’agit d’un pays où la gauche a gagné et où l’une de ses premières décisions a été de démanteler sa clôture frontalière, et où la suivante a consisté à valider toutes les mesures liées au « genre », non seulement le mariage homosexuel, mais aussi le droit à l’adoption d’enfants par les couples ainsi constitués. [M. Orbán fait ici apparemment référence à la Slovénie, où la gauche cosmopolite est arrivée au pouvoir à la suite des élections législatives du 24 avril 2022.] Ne nous laissons pas abuser par les conflits actuels : c’est sur ces questions que se jouera notre avenir.
Comment pouvons-nous nous défendre ? D’abord en faisant preuve de détermination. Ensuite, en recherchant des alliés. C’est ce qui a donné toute son importance au V4, le groupe de Visegrád [organisation intergouvernementale constituée en 1991 dans cette ville hongroise et qui réunit aujourd’hui la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie]. L’importance acquise par le V4 au cours de la période récente est due au fait que, sur ces questions, nous avons su parler d’une seule voix. Il n’est donc pas étonnant que les post-Occidentaux cherchent par tous les moyens à casser la cohésion des quatre de Visegrád. La guerre est survenue là-dessus et a ébranlé la coopération hungaro-polonaise, qui forme l’axe de la coopération du V4. Les intérêts stratégiques des Polonais et des Hongrois à propos de la guerre coïncident, les uns et les autres cherchent à empêcher que les Russes s’approchent davantage, les uns et les autres souhaitent que l’Ukraine conserve sa souveraineté et qu’elle soit une démocratie. Nous voulons, les uns comme les autres, exactement la même chose et pourtant cette guerre rend plus difficile notre relation avec nos amis. En effet, tant que l’on reste dans le domaine de la raison, nos intérêts dont j’ai parlé coïncident clairement, mais le problème vient du cœur. Il y a un problème de cœur dans les relations entre la Pologne et la Hongrie. Pour notre part, nous voyons dans cette guerre une guerre entre deux peuples slaves, dont nous voulons rester à l’écart. Les Polonais, quant à eux, estiment qu’ils sont impliqués dans cette guerre, que c’est leur guerre et qu’ils sont presque en train de la mener. Et puisqu’il s’agit d’une affaire de cœur, nous ne pouvons pas nous mettre d’accord avec eux. Il faut donc sauver, avec le secours de la raison, tout ce que nous pouvons sauver de l’amitié et de l’alliance stratégique entre nos deux pays, pour les temps qui suivront la guerre. Bien sûr, il y a aussi nos amis slovaques et tchèques, mais des changements de gouvernement se sont produits dans ces pays, qui donnent maintenant la préférence au monde post-occidental. Ils ne veulent pas entrer en conflit avec Bruxelles et collectionnent les bons points. A mes yeux, cela revient à attacher son cheval dans une écurie en flammes. Bon courage à eux !

*

III – La guerre en Ukraine

La quatrième question qui vient maintenant est celle de la guerre. Toute guerre peut être vue sous différents angles, mais ce qui est commun à toutes les guerres, c’est que les mères pleurent leurs enfants et que les enfants perdent leurs parents. Cette considération doit primer sur toutes les autres, y compris dans la sphère politique. Pour le gouvernement hongrois, cela signifie que notre premier devoir est de veiller à ce que les parents et les enfants hongrois ne se retrouvent pas dans une telle situation. Je rappelle ici que certains pays nous critiquent pour ne pas être, selon eux, suffisamment engagés aux côtés des Ukrainiens. Mais ces pays sont loin, et tout au plus apportent-ils un soutien en termes d’argent ou d’armes. Nous, les Hongrois, sommes les seuls, à part les Ukrainiens, à mourir dans cette guerre. Selon nos registres, à ce jour, quatre-vingt-six Hongrois ont perdu la vie dans cette guerre [c’étaient des membres de la minorité hongroise d’Ukraine qui avaient été enrôlés dans l’armée ukrainienne]. Notre point de vue est complètement différent. Nous, les Hongrois, sommes les seuls à avoir versé du sang dans cette guerre, alors qu’aucun de ceux qui nous critiquent ne l’a fait. C’est pourquoi la Hongrie a le droit, en tant que pays frontalier, d’affirmer que la paix est la seule solution pour sauver les vies humaines et qu’elle est en même temps le seul antidote à l’inflation et à la crise économique liées à la guerre.
Comment aborderons-nous cette guerre à l’avenir ? Nous continuerons à affirmer que cette guerre n’est pas la nôtre. La Hongrie est membre de l’OTAN, et nous partons du principe que l’OTAN est bien plus forte que la Russie et que, pour cette raison, la Russie n’attaquera jamais l’OTAN. L’affirmation selon laquelle les Russes ne s’arrêteront pas à l’Ukraine est une fable. On comprend bien qu’elle soit soutenue par la propagande des Ukrainiens, dans la mesure où leur objectif est de nous impliquer, d’impliquer le plus grand nombre possible de pays à leurs côtés dans cette guerre, mais elle est dépourvue de toute vraisemblance. En même temps, puisque nous sommes membres de l’OTAN et que nous voulons nous tenir à l’écart de cette guerre, notre situation est devenue délicate. En effet, l’OTAN et l’Union européenne ont décidé, tout en évitant de devenir belligérants, de livrer malgré tout des armes [à l’Ukraine] et d’imposer de sévères sanctions économiques [à la Russie]. Cela signifie – que cela plaise ou non – qu’elles sont devenues de fait – non de jure, mais de facto – parties prenantes à ce conflit. Elles se retrouvent – nous nous retrouvons – dans cette situation dangereuse de devoir aider d’une manière ou d’une autre, comme partie au conflit, les Ukrainiens, sans que le pouvoir à Moscou ne le considère comme tel, sans qu’aux yeux de Moscou cette action ne se transforme en une belligérance caractérisée de la Hongrie, de l’OTAN et de l’Union européenne. C’est sur ce très délicat équilibre que l’Union européenne et l’OTAN jouent tous les jours, tout en prenant des risques considérables.
Puisque l’on peut dire beaucoup de choses de la guerre, et s’il vous reste encore un peu d’attention, je voudrais dire quelques mots sur les origines de ce conflit, sur ce que pouvait être sa motivation. Tout le monde le sait : la Russie a attaqué l’Ukraine. C’est un fait. Voyons maintenant quelle en était la cause. Soyons attentifs à ce fait problématique que, si l’on comprend quelque chose, on n’est plus très loin de l’accepter. Mais il est très important de faire la différence morale entre comprendre quelque chose et l’accepter. Cela veut dire concrètement qu’il est important de comprendre pourquoi les Russes ont fait ce qu’ils ont fait, mais il ne s’ensuit pas que, si l’on comprend ce qu’ils ont fait, on accepte pour autant ce qu’ils ont fait. Les Russes ont exprimé une exigence de sécurité très claire, ils l’ont même mise par écrit d’une manière peu courante en diplomatie et l’ont adressée aux Américains, ainsi qu’à l’OTAN. Ils ont demandé par écrit que l’Ukraine ne devienne jamais membre de l’OTAN, que l’Ukraine s’y engageât, que l’OTAN elle-même en donnât l’assurance à la Russie et que nous nous engageassions à ne jamais déployer sur le territoire ukrainien d’armes susceptibles d’atteindre le territoire russe. Les Occidentaux ont rejeté cette proposition et n’ont même pas été disposés à en discuter. Ils ont déclaré que l’OTAN menait une « open door policy », c’est-à-dire que sa porte était ouverte à tous, que n’importe qui pouvait s’y présenter et qu’il nous appartenait de décider qui nous voulions admettre ou non. La conséquence de ce refus, c’est que les Russes cherchent maintenant à obtenir par la force des armes les garanties de sécurité qu’ils cherchaient précédemment à obtenir par la négociation. Je dois dire que si nous avions eu un peu plus de chance, si, à cette heure cruciale, le président des États-Unis d’Amérique s’était appelé Donald Trump, et si nous avions réussi auparavant à convaincre Angela Merkel de ne pas se retirer, si donc Donald Trump avait été le président américain et Angela Merkel le chancelier allemand, cette guerre n’aurait jamais éclaté. Mais nous n’avons pas eu de chance, et c’est ainsi que maintenant nous sommes dans cette guerre.
La stratégie de l’Occident dans ce conflit repose sur quatre piliers. C’est une stratégie raisonnable sur le papier, il y a peut-être même des chiffres pour l’appuyer. Le premier était que l’Ukraine ne pourrait pas gagner seule une guerre contre la Russie, mais qu’elle le pourrait avec l’entraînement fourni par les Anglo-Saxons et les armes de l’OTAN. Ce fut la première affirmation stratégique. La deuxième affirmation stratégique fut que les sanctions allaient affaiblir la Russie et déstabiliser le pouvoir à Moscou. Le troisième élément stratégique fut que – bien qu’elles nous affectassent aussi – nous serions capables de gérer les conséquences économiques des sanctions, en sorte qu’elles feraient plus de mal aux Russes qu’à nous. Et la quatrième considération stratégique fut que le monde s’alignerait derrière nous, parce que c’était nous qui avions raison.
En conséquence, cependant, de cette merveilleuse stratégie, nous nous retrouvons aujourd’hui assis dans une voiture dont les quatre pneus ont crevé. Il est parfaitement clair que la guerre ne peut pas être gagnée de cette manière. Les Ukrainiens ne gagneront jamais de guerre contre la Russie avec l’entraînement et les armes des Américains, tout simplement parce que l’armée russe bénéficie d’une supériorité asymétrique. Le deuxième fait que nous devons prendre en compte est que les sanctions ne déstabilisent pas Moscou. Le troisième est que l’Europe est en difficulté – en difficulté économique, mais aussi en difficulté politique – et que les gouvernements tombent comme des dominos. Rien que depuis le déclenchement de la guerre [le 24 février 2022], les gouvernements britannique, italien, bulgare et estonien sont tombés. Et où en serons-nous à l’automne ? Les fortes hausses de prix ont eu lieu en juin, quand les prix de l’énergie ont doublé. Leurs effets sur la vie des gens, qui provoquent le mécontentement, commencent seulement à se manifester, et nous avons déjà perdu quatre gouvernements. Enfin, non seulement le monde n’est pas avec nous, il n’est manifestement pas avec nous. Historiquement, les Américains ont été en mesure de désigner ce qu’ils identifiaient comme un « empire du mal » et d’intimer au monde de se ranger du bon côté de l’histoire – formule qui nous dérange quelque peu, du fait que c’est ce que les communistes ont toujours dit. Ce pouvoir qu’ont eu les Américains d’appeler tous les peuples à se placer du bon côté de l’histoire et de se faire obéir du monde entier a aujourd’hui disparu. La plus grande partie du monde n’est manifestement pas de ce côté-là : ni les Chinois, ni les Indiens, ni les Brésiliens, ni l’Afrique du sud, ni le monde arabe, ni l’Afrique. Une grande partie du monde refuse purement et simplement de participer à cette guerre, non parce qu’ils croient que les Occidentaux seraient du mauvais côté, mais parce que pour eux le monde ne se résume pas à cette guerre, qu’ils ont leurs propres problèmes auxquels ils doivent faire face et qu’ils veulent résoudre. Il est bien possible que cette guerre soit celle qui mette clairement un point final à cette supériorité occidentale qui, avec des moyens divers et variés, a été en mesure de forger l’unité du monde contre certains acteurs sur un sujet particulier bien choisi. Cette époque prend fin, et, comme on dit dans le langage emphatique de la politique, c’est un ordre mondial multipolaire qui frappe maintenant à notre porte.
Et puisque nous parlons de la guerre, je peux utiliser un style approprié pour poser une question importante : Chto delat ? [« Que faire ? » en russe, titre d’un célèbre ouvrage de Lénine]. Le problème est que l’armée hongroise, comparée à celle des autres, ne pèse pas bien lourd. Le problème est que le PIB hongrois, comparé à celui des grands pays européens et des États-Unis, paraît aussi modeste. Ainsi, nous pouvons bien avoir une vision claire de la situation, un point de vue perspicace sur la guerre, nous pouvons avoir une vision claire, nous pouvons avoir une proposition stratégique, mais, vous savez, cela ne compte pas beaucoup quand on en vient à la guerre, parce que la guerre est un prélude. C’est le fort qui a le dernier mot. La Hongrie ne doit pas se faire l’illusion qu’avec nos excellents conseils nous serons capables d’influencer le déroulement des hostilités et la stratégie de l’Occident. Néanmoins, dans toute discussion, je considère comme une question d’honneur et un principe moral que nous devons nous efforcer d’exposer notre position et de persuader les Occidentaux de mettre en œuvre une nouvelle stratégie à la place de vaines déclarations de victoire. Si les quatre pneus de la voiture sont à plat, il faut changer les roues, toutes les quatre. Il faut une nouvelle stratégie, et son objectif central – la cible dans sa mire – ne devrait pas être de gagner la guerre, mais de négocier la paix et de faire une bonne offre de paix. Je dois dire que l’Union européenne n’a pas maintenant – pour utiliser une formule imagée – à se placer du côté des Russes ou des Ukrainiens, mais bien entre la Russie et l’Ukraine. C’est cela qui devrait être l’essence d’une nouvelle stratégie.
Que va-t-il se passer ? Les Russes utilisent un langage suranné. Quand nous les écoutons, c’est comme si nous entendions les voix du passé : le code des gestes, les catégories, les mots. Quand j’écoute M. Lavrov, on dirait que cela date d’il y a trente ou quarante ans [Sergueï Lavrov est le ministre des affaires étrangères de la Russie]. Mais cela ne signifie pas que ce qu’ils disent n’ait pas de sens : cela a du sens et cela mérite d’être pris au sérieux. Il y a deux jours, par exemple, un officiel russe a dit qu’ils progresseraient en Ukraine jusqu’à ce que la ligne de front soit assez avancée pour que de là les armes dont disposent les Ukrainiens ne puissent pas atteindre le territoire de la Russie. En d’autres termes, plus les pays de l’OTAN livreront d’armes modernes aux Ukrainiens, plus les Russes repousseront la ligne de front. C’est parce qu’ils sont une nation militaire qui ne raisonne qu’en termes de sécurité et que la seule chose qui les intéresse est de s’assurer de ne pas pouvoir être attaqués depuis le territoire de l’Ukraine. Ainsi, ce que nous faisons en ce moment – que nous le voulions ou non – prolonge la guerre. Cela signifie qu’il n’y aura pas de pourparlers de paix russo-ukrainiens. C’est une idée dont nous devrions nous défaire. Ceux qui attendent de tels pourparlers perdent leur temps. Puisque la Russie veut des garanties de sécurité, il ne peut être mis fin à cette guerre qu’au moyen de négociations russo-américaines. Il n’y aura pas de paix tant qu’il n’y aura pas de pourparlers russo-américains. Je pourrais objecter que « nous, les Européens, nous sommes là ». Mais, hélas, mes amis, je dois vous dire que nous, les Européens, avons dilapidé nos moyens d’influencer les événements. Nous les avons dilapidés après 2014, en tenant les Américains à l’écart du premier accord de Minsk conclu pendant le conflit de Crimée, et en formulant à la place un accord de Minsk avec une garantie franco-allemande. Aussi aurait-il dû être mis en œuvre, mais, malheureusement, nous, les Européens – ou les Français et les Allemands qui nous représentaient –, nous avons été incapables de le faire respecter. C’est pourquoi les Russes ne veulent plus discuter avec nous, mais avec ceux qui pourront forcer l’Ukraine à faire ce qu’elle a accepté. Ainsi la situation ressemble-t-elle à celle qui a suivi la seconde guerre mondiale. L’Europe se retrouve à nouveau dans une situation où elle n’a pas son mot à dire dans le sujet de sécurité le plus important, qui sera décidé encore une fois entre les Américains et les Russes.
Je voudrais faire ici une remarque, parce que, à cet égard, nous pouvons mesurer le danger que représente la proposition de l’Union européenne de changer la procédure de décision en matière de politique internationale pour les États membres. Pour l’heure, toute décision de politique étrangère ne peut être prise qu’à l’unanimité, mais la proposition vise à faire en sorte que l’on puisse mener une politique étrangère européenne commune à la majorité simple. L’expérience historique de la Hongrie nous enseigne que si l’on impose à un pays une politique étrangère dont il ne veut pas, même si une majorité qualifiée des deux tiers y était nécessaire au sein de l’Union, on ne peut appeler cela que de l’impérialisme. Et l’argument selon lequel, à défaut, l’Europe ne pourrait pas devenir un protagoniste de la politique mondiale est également un tour d’illusionniste. La raison pour laquelle l’Europe ne peut pas devenir un protagoniste de la politique mondiale est qu’elle n’est pas capable de mettre de l’ordre chez elle, ni même dans son arrière-cour. Le meilleur exemple en est ici la guerre russo-ukrainienne. Il aurait fallu imposer l’exécution des accords de Minsk. Cela devrait pouvoir se régler, mais je pourrais citer d’autres exemples. Les Croates se font truander en Bosnie : c’est une question complexe, mais je voudrais que vous sachiez que les Croates vivant en Bosnie, qui auraient en bonne règle le droit d’élire leur dirigeant, en sont empêchés au moyen de toutes sortes d’artifices par les Bosniaques qui, jouant sur les failles de la loi électorale, élisent en pratique les représentants des Croates. Les Croates font état de ce problème à chaque conseil européen et nous, les Hongrois, nous les soutenons avec tous les moyens à notre disposition, mais l’Union est incapable de résoudre le problème. Ou bien voilà encore le problème de la défense de ses propres frontières, qui ne devrait pas être un facteur de politique mondiale. Il nous suffirait que l’Union soit capable de défendre ses propres frontières, mais elle en est incapable. Le pauvre Salvini, qui s’y était essayé, a été traîné devant les tribunaux et d’aucuns voudraient qu’il fût jeté en prison [Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Ligue, ex-Ligue du nord, ministre de l’intérieur en Italie de 2018 à 2019, a tenté d’arrêter l’immigration illégale]. Ou voilà encore l’élargissement aux Balkans occidentaux : la Grèce est membre de l’Union, la Hongrie est membre de l’Union, mais entre nous il y a un grand trou noir : les Balkans. Pour des raisons géopolitiques et économiques, l’Union européenne devrait intégrer les autres pays, mais elle est incapable d’y parvenir. [M. Orbán est donc favorable à l’entrée dans l’Union européenne de la Serbie, de la Bosnie, du Monténégro, de la Macédoine du nord et de l’Albanie.] Ainsi, au lieu d’aspirer à jouer un rôle dans la politique mondiale, l’Europe devrait se donner et mettre en œuvre l’objectif modeste d’être capable de régler les sujets de politique étrangère qui se posent dans sa propre arrière-cour.

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IV – La crise économique

Démographie, immigration, genre, guerre. Le cinquième défi majeur auquel nous sommes confrontés est celui de l’énergie et de l’économie. C’est une question compliquée. Dans ce cas, il vaut mieux tout recommencer depuis le début, comme il se doit après un pas de danse manqué, c’est-à-dire réessayer de comprendre la situation. Il faut se poser les questions les plus simples. La question la plus simple est celle-ci : qui profite de cette guerre ? La réponse est : celui qui y gagne est celui qui dispose de sources d’énergie qui lui sont propres. Les Russes s’en sortent bien. Nous avons fait un mauvais calcul en pensant que si nous n’achetions pas d’énergie aux Russes ils auraient moins de revenus. C’était une erreur parce que les recettes ne sont pas seulement déterminées par les quantités vendues, mais aussi par les prix unitaires. Et la situation est aujourd’hui que les Russes vendent moins d’énergie, mais qu’ils ont des revenus bien plus élevés. Les Russes s’en sortent donc bien. Les importations de l’Union européenne en provenance de la Russie ont eu beau baisser de 23%, les recettes de Gazprom n’en ont pas moins doublé sur la même période [Gazprom est l’entreprise qui produit le gaz et le pétrole russe]. Les Chinois s’en sortent bien. Les Chinois étaient auparavant à la merci des Arabes en termes d’énergie, la totalité de leur énergie provenant de cette partie du monde. Mais maintenant que nous n’achetons plus aux Russes, nous avons, ce faisant, transféré vers la Chine les ressources d’énergie russes, ce qui fait que la Chine a mis fin à sa dépendance énergétique. Et, naturellement, les grandes entreprises américaines y gagnent aussi. J’en ai dressé la liste : en 2022, les bénéfices d’Exxon ont doublé, ceux de Chevron ont quadruplé, et ceux de ConocoPhillips ont sextuplé. Nous savons donc qui s’en tire du point de vue économique. Et qui y perd ? L’Union européenne s’en sort mal, parce que son déficit énergétique, la différence entre ses importations et ses exportations, en valeur, a triplé et que son déficit atteint aujourd’hui 189 milliards d’euros.
Comment cela nous affecte-t-il ? La question, le groupe de questions le plus important est ce que nous appelons la réduction des factures des services publics pour les ménages. Quel est l’avenir de ces réductions en Hongrie ? J’ai écouté hier le chef de la RMDSz [Romániai Magyar Demokrata Szövetség, en français, Union démocrate magyare de Roumanie, en roumain, Uniunea Democrata Maghiara din România], et j’ai appris comment cela se passait ici, en Roumanie, comment ils s’efforçaient d’aider les gens à survivre face à des prix de l’énergie de ce niveau. En Hongrie, nous procédons autrement. En Hongrie, nous avons mis en place au début des années 2010 un système qui est selon moi une réalisation politique majeure et qui a eu un résultat très important en matière de politique sociale. L’on pouvait en effet voir dès 2010 que les dépenses d’énergie calculées sur la base des prix du marché étaient très élevées par rapport aux revenus dont disposaient les ménages, dont une part substantielle des revenus était affectée à des coûts incompressibles, aux dépenses de services publics. C’est pourquoi nous avons mis en place un système où, indépendamment de ce que coûtait l’énergie sur le marché, nous garantissions à tous l’accès au gaz, à l’électricité et même au chauffage urbain à un prix administré. Le prix du marché était supérieur au prix administré, et la différence était couverte par le budget de l’État. C’était le système hongrois, qui a bien fonctionné pendant dix ans. Le problème est maintenant que la guerre a déséquilibré ce système, avec des prix de l’énergie qui sont des prix de temps de guerre. Notre tâche est de défendre, d’une manière ou d’une autre, la réduction des dépenses d’énergie. Je vois que nous allons y arriver, en ce sens que tout le monde continuera de payer le prix d’avant jusqu’au niveau moyen de consommation. En Roumanie, ce n’est pas le cas. En Hongrie, le prix plafonné est maintenu pour tout le monde jusqu’à hauteur de la consommation moyenne par foyer ; en revanche, ceux qui consomment davantage que cette moyenne devront, pour la partie en dépassement, acquitter un prix de marché que nous avons rendu public ces derniers jours. Si nous pouvons faire fonctionner cela et le maintenir, nous pourrons également nous féliciter d’une réalisation politique majeure et d’une réussite de la politique sociale. Pour vous donner une idée des ordres de grandeur, je peux donner une idée de ce qui a changé. Si je considère l’année 2021, je peux dire que le montant que l’État hongrois a dû payer parce que les dépenses de services publics des ménages étaient plafonnées à un niveau inférieur au prix de marché s’est élevé à 296 milliards de florins, tout compris [le florin, en hongrois forint, est la devise nationale de la Hongrie, qui n’a pas adopté l’euro. 1 euro vaut environ 400 florins]. En 2022, si les prix fixés actuellement étaient maintenus jusqu’à la fin de l’année, ce ne serait pas 296, mais 2.051 milliards de florins. Cela représenterait sept fois plus que le montant précédent, ce que l’économie hongroise ne pourrait pas supporter. C’est cela qu’il faut résoudre. C’est pour cela que nous avons décidé de maintenir le plafonnement du prix jusqu’au niveau de la consommation moyenne, mais au-dessus le prix du marché s’appliquera. C’est aussi pour cela que nous avons ajourné tout investissement non énergétique. Ce qui n’a pas encore été engagé ne sera pas engagé, tandis que les investissements publics qui ont déjà été engagés seront menés à terme, parce que rien ne doit rester inachevé. Ici, au-delà des frontières [en Transylvanie, province de la Roumanie], nous terminerons tout ce qui a été commencé [pour la minorité hongroise]. Ici, comme chez nous, nous assurerons le financement de ce qui doit être poursuivi, mais nous ne pourrons pas lancer de nouveaux investissements, parce que, ni ici ni chez nous, je ne peux garantir en aucune manière de mener à terme tout ce que nous lancerions aujourd’hui. Ce serait irresponsable. C’est pourquoi il convient d’attendre.
Et il y a encore une autre tâche : nous devons sortir du gaz naturel. L’électricité représente une charge bien moindre pour la Hongrie parce que nous avons une centrale nucléaire et de l’énergie solaire. Si nous réussissons à transférer la consommation du gaz vers d’autres sources, comme l’électricité ou la biomasse – c’est le nom moderne du bois –, alors la charge qui pèse sur nous se réduira. C’est une tâche faisable et réalisable dans le cadre des objectifs budgétaires actuels. Le problème suivant auquel nous devons faire face dans le domaine de l’économie est la récession. C’est la manière élégante d’expliquer que le résultat de l’année prochaine sera inférieur à l’année précédente. L’Europe tout entière est aux prises avec la récession. En Hongrie, c’est aggravé par le fait que, puisque nous utilisons le florin, lorsque le cours du dollar par rapport à l’euro se modifie, c’est-à-dire lorsque le dollar se renforce, il en résulte automatiquement un affaiblissement du florin. Et quand nous sommes dans une période où le dollar se renforce constamment contre l’euro, ou tout au moins se maintient au niveau élevé qu’il a atteint, il en résulte automatiquement un affaiblissement du florin. La question est aussi de savoir si l’année prochaine l’économie [hongroise] aura de moins bons résultats que ceux de l’année en cours. Et, dans le budget que nous avons adopté, nous avons prévu que ce ne serait pas le cas, mais que nous aurions de la croissance. Le problème est que, dans le même temps, partout ailleurs en Europe, ou tout au moins dans la plupart des pays d’Europe, il est certain qu’il y aura un ralentissement, qui provoquera une instabilité politique. Les anciens Grecs avaient bien dit que le monde avait deux états : parfois il est dans un état ordonné qu’on appelle cosmos, et le reste du temps dans un état de désordre, ou chaos. C’est cette dernière direction que prend aujourd’hui l’économie européenne. Le problème crucial auquel nous devons faire face en Hongrie et auquel nous devons trouver la solution est le suivant : au milieu d’une récession mondiale, peut-il y avoir pour certains une exception locale ? Le but que nous nous sommes fixé pour les deux prochaines années est de faire de la Hongrie une exception locale dans un temps de crise mondiale. Ambitieux objectif !

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V – Perspectives mondiales

Cela veut dire aussi qu’il n’y aurait pas de sens à considérer les quatre années à venir comme une période unique à la suite des élections que nous venons de gagner. Cela n’a pas de sens, parce que ces quatre années se divisent en deux périodes de deux ans chacune. Il y aura les deux premières années, entre 2022 et 2024. En 2024, il y aura des élections aux États-Unis, et c’est alors qu’arrivera selon moi, pour la première fois sérieusement, une perspective de paix. Suivront les deux années de 2024 à 2026. Nous devons faire des plans différents pour chacune de ces deux périodes de deux ans. La Hongrie pourra-t-elle être une exception locale ? Cela peut-se faire, si nous adoptons le mot-clé : rester à l’écart. Ainsi, dans le domaine de l’économie, la Hongrie ne pourra maintenir ses succès que si nous restons à l’écart de la guerre, si nous restons à l’écart de l’immigration, si nous restons à l’écart de la folie du genre, si nous restons à l’écart de l’impôt mondial – le temps m’empêche d’aborder ce sujet dans le détail, mais cela aussi, on veut nous l’imposer – et si nous restons à l’écart de la récession générale en Europe.
La bonne nouvelle est que nous l’avons fait en 2010. Une autre bonne nouvelle est que nous l’avons fait aussi en 2020, pendant la pandémie du covid. De chacune de ces crises, nous sommes sortis plus forts que comme nous y étions entrés. Ce qui est arrivé en 2020, c’est que nous avons doublé dans le virage ; durant la crise, nous avons dépassé le PIB par tête d’habitant de la Grèce et du Portugal. Le problème est que pendant que nous doublions dans le virage, nous avons reçu une belle averse de pluie glacée, et nous devons à présent maintenir, d’une manière ou d’une autre, notre engin sur la piste.
J’estime que, pour réussir, il est important pour nous d’être en mesure de parvenir à de nouveaux accords avec tous les protagonistes afin de s’adapter aux circonstances nouvelles, non seulement politiques, mais aussi économiques. Nous devons conclure un nouvel accord avec l’Union européenne. Ces pourparlers financiers sont en cours, nous arriverons à un accord. En ce moment, nous allons gentiment tous les deux, main dans la main, jusqu’au précipice, puis nous nous arrêterons, nous nous tournerons l’un vers l’autre, nous nous embrasserons, et nous conclurons un accord. La Hongrie doit conclure un nouvel accord avec les Russes, la Hongrie doit conclure un nouvel accord avec les Chinois, et puis nous devons aussi conclure un nouvel accord avec les États-Unis, ce qui sera plus facile avec les Républicains qu’avec le gouvernement démocrate actuel. Et si nous arrivons à régler tout cela, si nous arrivons à nous mettre d’accord avec chacun de la manière qu’exigent nos intérêts nationaux, alors nous pourrons retrouver en 2024 l’ancien chemin de la croissance et du développement.
Je dois pour finir signaler que, pendant que nous jouons ici avec les années, il ne faut pas oublier que nous travaillons en réalité pour 2030. J’ai parlé de beaucoup de choses, et le gouvernement hongrois ressemble aujourd’hui à ces jongleurs chinois qui font tourner vingt assiettes en même temps en veillant à ce qu’aucune ne tombe. C’est à peu de choses près l’exercice que nous devons réaliser et nous ne devons pas perdre de vue que, pendant que tournent les vingt assiettes, l’horizon le plus important et la limite dans le temps de notre réflexion se situent aux environs de 2030. Selon notre analyse, c’est alors que s’accumuleront et se multiplieront, avec toutes les tensions que cela implique, les problèmes du monde occidental. Les États-Unis connaîtront une crise très sérieuse. Si j’ai déjà eu l’occasion de recommander le livre d’un écrivain français, je fais de même pour l’ouvrage de l’analyste américain Friedman, également paru en hongrois, intitulé The Storm before the Calm [référence au livre de George Friedman, The Storm Before the Calm: America’s Discord, the Coming Crisis of the 2020s, and the Triumph Beyond (La tempête avant le calme : la discorde américaine, la crise des années 2020 qui vient, et le triomphe au delà), 2020]. Il y analyse les divers défis que les États-Unis devront affronter, lesquels atteindront leur point culminant aux alentours de 2030. Mais c’est à peu près dans cette même période qu’apparaîtront également tous les problèmes de la zone euro, le Sud et le Nord ayant des chemins de croissance divergents, le Sud étant endetté et le Nord devant le financer. Cela provoquera une tension qui, au bout d’un certain temps, ne sera plus supportable, à moins que les pays du Sud ne se réforment sur le modèle de ceux du Nord. Mais ils ne montrent pas beaucoup d’inclination pour un soudain changement de culture, ce pourquoi la dette publique des pays du Sud est dans les eaux de 120, 150, ou 180% [du PIB]. Et c’est également vers 2030 que de nouveaux rapports de force verront le jour au sein de l’Union, car c’est alors que les Centre-Européens, nous les Centre-Européens – que l’on traite aujourd’hui d’une manière sur laquelle je n’ai pas besoin d’épiloguer –, nous deviendrons contributeurs nets. Le moment viendra donc où, grâce à notre développement plus rapide, développement qui est plus rapide que le leur, la Hongrie ne recevra globalement pas d’argent de l’Union européenne, mais lui en versera. Elle paiera davantage qu’elle ne recevra. Les Tchèques sont déjà très près d’y parvenir. Si les Polonais se développent comme nous l’avons déjà vu, eux aussi arriveront à ce point aux alentours de 2030, et nous y serons à peu près aussi au même moment. Cela entraînera de nouveaux rapports de force : c’est celui qui paie le joueur de cornemuse qui décide de la musique. Cela changera aussi nos relations et créera une situation nouvelle pour nous au sein de l’Union européenne. En d’autres termes, mes chers amis, vers 2030, nous devrons être au mieux de notre forme. C’est alors que nous aurons besoin de toute notre force : force diplomatique, économique, militaire, et morale aussi.

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VI – Conclusion : l’exception hongroise

Et maintenant, pour faire suite aux recommandations de Zsolt, je me limiterai à énumérer les facteurs qui aideront la Hongrie à être une exception locale dans un temps de récession mondiale.
Le premier est que nous disposons encore d’une force de gardes-frontière.
Le deuxième est que notre société est fondée sur la famille, ce qui est un facteur de nature à garantir une énergie et une motivation solides.
Troisièmement, nous réalisons actuellement de grands développements dans notre armée et dans le secteur des industries militaires.
En quatrième lieu, nous diversifions nos sources d’énergie. Soit dit en passant, ce que veut l’Union n’est pas une diversification. La diversification signifie que nous ne sommes pas vulnérables parce que nous nous procurons notre énergie dans des lieux variés. Ce qu’ils font, c’est imposer des sanctions pour empêcher qu’on se la procure dans un certain lieu. C’est tout à fait différent. Nous ne voulons pas cesser d’acheter à la Russie, nous voulons simplement ne pas dépendre exclusivement d’elle.
Notre cinquième atout est de tirer parti de la mutation technologique. Si nous sommes assez rapides, assez réactifs, nous gagnerons toujours aux changements technologiques qui surviennent. Prenons l’exemple des voitures électriques. Nous effectuons en Hongrie des investissements considérables dans la production de batteries et nous deviendrons en un rien de temps le troisième producteur de batteries du monde, non pas en pourcentage, mais en valeur absolue, et le cinquième exportateur au niveau mondial. Voilà les niches dans lesquelles nous pouvons nous introduire.
L’apport des capitaux étrangers est notre sixième grand atout. Le capital nous arrive de l’Est comme de l’Ouest. En 2019 (ou peut-être en 2020), c’était déjà la Corée du sud qui avait le plus investi chez nous, suivie par la Chine l’année suivante, et c’est de nouveau la Corée cette année. Pendant ce temps, l’investissement allemand se poursuit : hier, la construction d’une nouvelle usine Mercédès a été annoncée et cela représente un investissement d’un milliard d’euros.
Nous sommes un pays de transit et nous voulons rester une économie de transit [c’est le septième atout]. À cet égard, je dois noter que si le monde forme des blocs séparés et s’il est divisé de nouveau entre l’Est et l’Ouest, nous cesserons d’être un lieu de rencontre ou un pays de transit. Si des blocs de puissance émergent, nous ne serons plus un point de rencontre, une passerelle, un point de contact, combinant les avantages de l’Est et ceux de l’Ouest, mais nous nous retrouverons au bord de quelque chose, à la périphérie. Et alors la Hongrie ne sera pas un pays prospère, elle ne sera que la garnison d’un poste avancé poussiéreux, dans le genre de ce qu’on lit dans l’œuvre de Jenő Rejtő [écrivain hongrois célèbre, 1905-1943]. C’est pourquoi nous devons nous opposer à la formation de tels blocs. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons profiter des avantages d’un pays de transit et d’une économie de transit.
Notre huitième aout est la stabilité politique : nous disposons d’une majorité des deux tiers. Un gouvernement soutenu par une majorité des deux tiers ne peut pas être renversé et nous n’avons pas de débats de coalition, puisque nous ne sommes pas en coalition. Peut-être n’y avez-vous pas prêté attention, mais en fait, au cours des années récentes, au niveau national, nous avons aussi assisté à un changement de génération. Négligeons le fait que maintenant, en Occident, c’est à mon âge que les gens commencent leur carrière politique. En Hongrie, c’est différent, et je suis proche de la sortie. Nous devons nous assurer que la génération qui nous suit dispose, elle aussi, de responsables politiques aussi engagés corps et âme en faveur de la nation que nous l’avons nous-mêmes été. C’est pour cette raison que nous avons tranquillement réalisé un changement de génération, dont le symbole, face au premier ministre bientôt sexagénaire que je suis, est notre président de la république, femme âgée de quarante-quatre ans et mère de trois enfants. Et si vous regardez le gouvernement, vous y verrez de jeunes ministres quadragénaires, parfois de jeunes quadragénaires, qui seront capables de donner des responsables à la Hongrie pedant vingt ou trente ans. Bien entendu, le changement de génération n’est pas toujours facile, parce qu’il y a une différence entre les nouveaux venus qui ruent dans les brancards et ceux qui tirent la charrette. Ceux qui rueront dans les brancards devront être envoyés se produire sous un chapiteau de cirque, tandis que ceux qui tirent la charrette devront être impliqués dans le processus de décision politique.
Le neuvième atout de notre stratégie d’exception locale repose sur notre fonds intellectuel et spirituel. La Hongrie a conservé sa conception nationale, son sentiment national qui la rassemble, sa culture et une langue apte à décrire la totalité du monde hongrois.
Et enfin le dixième facteur qui nous donne nos chances de succès est ce que j’appelle l’ambition. La Hongrie a de l’ambition. La Hongrie a des ambitions en tant que communauté et en tant que nation. Elle a des ambitions nationales, et même des ambitions européennes. C’est pourquoi, si nous voulons préserver nos ambitions nationales dans la période difficile qui s’ouvre devant nous, nous devons montrer de la solidarité. La nation mère doit rester unie, et la Transylvanie, ainsi que les autres régions du bassin des Carpates habitées par des Hongrois, doivent rester unies. C’est cette ambition, mes chers amis, qui nous pousse, qui nous fait avancer, elle est notre carburant. C’est la conviction que nous avons toujours donné davantage au monde que nous n’en avons reçu, que l’on nous a davantage pris qu’on nous a donné, que nous avons émis des factures qui n’ont pas été payées, que nous sommes meilleurs, plus industrieux et plus doués qu’il ne ressort de la position où nous nous trouvons aujourd’hui et de la manière dont nous vivons, et le fait est que le monde nous doit quelque chose – et que nous voulons, que nous allons, recouvrer cette dette. C’est là notre plus grande ambition.

Je vous remercie pour votre attention. Vive la Hongrie, vive les Hongrois !

Sagesse des nationaux-libéraux

Sagesse des nationaux-libéraux

Sept fois sept apophtegmes suivis de leurs commentaires et de trois annexes

I. De l’identité

1. Ce n’est pas l’opinion qui fait l’identité, ce sont les ancêtres.

Ils se sont reproduits dans leur descendance.

2. Nous sommes nos gènes, ou plus largement notre ADN, patrimoine héréditaire reçu par moitié de notre père et de notre mère.

L’identité est ce en quoi un être demeure identique à lui-même au cours du temps. Notre identité individuelle s’est constituée à l’instant fatidique de la conception.

La comparaison entre les vrais jumeaux ou jumeaux monozygotes, nés d’un même ovule et qui ont donc le même patrimoine génétique, avec les faux jumeaux de même sexe, qui n’ont en moyenne que 50% de gènes en commun, est éloquente : elle suffit déjà à démontrer la puissance de l’hérédité, qui détermine tout autant le moral que le physique.

3. L’homme est par nature un être de culture.

L’éducation que l’enfant reçoit dans sa famille est un dressage qui met de l’ordre dans le chaos des instincts concurrents en les assujettissant à la volonté et forme sa personnalité.

4. Les sociétés humaines sont des systèmes bioculturels.

Leur identité collective est assise sur le fonds génétique – la « race » au sens large – des populations qui les composent.

5. La nation est une communauté de destin historique fondée sur les liens du sang et constituée autour d’une ethnie prépondérante sur un territoire continu.

La race est une catégorie biologique, l’ethnie est une catégorie culturelle. Horresco referens, le mot « ethnie » a justement été créé par Georges Vacher de Lapouge pour sortir de la confusion entre biologie et culture en cantonnant le mot « race » dans une acception purement biologique.

6. La nation est formée des vivants, des morts et de ceux qui vont naître.

C’est la chaîne des générations qui constitue l’identité de la nation, laquelle lui donne vocation à la souveraineté.

7. Il n’y a pas de nation sans préférence nationale

…laquelle légitime l’exclusion des étrangers quand celle-ci est utile aux nationaux.

II. De la tradition

1. La nation française est née au XIe siècle à l’issue d’un synécisme celto-romano-germanique autour de l’ethnie française sur le territoire du royaume capétien.

Celtes, Romains et Germains ont fait la France. Gaulois ou Celtes, les termes sont équivalents. Les Francs, qui ont donné leur nom à notre pays, étaient des Germains, au même titre que les Burgondes, qui ont donné leur nom à la Bourgogne, ou que les Wisigoths, qui ont longtemps tenu le Sud-Ouest de la France actuelle avant de se replier en Espagne.

L’ethnie française, de langue d’oïl, forme ancienne du français, a achevé de se former au Xe siècle.

Le royaume des Francs, regnum Francorum, fondé par Clovis, qui s’est converti au christianisme en 496, n’était pas encore une nation avant l’avènement d’Hugues Capet en 987. Les rois mérovingiens et carolingiens étaient des Francs, donc des Germains, et parlaient le francique, langue germanique voisine du néerlandais d’aujourd’hui. L’empire de Charlemagne avait pour capitale Aix-la-Chapelle (Aachen), dans l’Allemagne actuelle.

2. La nation française est d’origine indo-européenne, de race caucasoïde, de civilisation occidentale et de religion chrétienne.

Le général Charles de Gaulle l’avait dit avant nous : « Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. »

Les Celtes, les Romains et les Germains appartenaient tous à la famille des peuples indo-européens, descendant du peuple indo-européen indivis qui vivait en -3000 au nord de la Mer Noire avant qu’il se lançât à la conquête du monde.

La race caucasoïde, ou « race blanche », est l’une des cinq races de l’espèce homo sapiens, les quatre autres étant les races mongoloïde, congoïde, capoïde et australoïde.

L’Occident est l’une des six civilisations du monde contemporain, les cinq autres étant l’Orient, le monde russe, le monde indien, le monde chinois et l’Afrique noire.

La France chrétienne n’est pas seulement catholique, elle est aussi protestante. Jean Calvin fut un grand Français et le calvinisme fait partie de notre identité nationale au même titre que le catholicisme. On peut en dire presque autant du luthéranisme de l’Alsace, bien qu’il soit d’origine allemande. De plus, la tradition catholique de la France est gallicane et janséniste. L’ultramontanisme, qui vient d’Italie comme son nom l’indique, ne s’est imposé en France qu’à partir du premier concile du Vatican, en 1870, donc très tardivement. Le cléricalisme et les prétentions théocratiques qui en découlaient ont été exploités par la franc-maçonnerie dans son combat contre le catholicisme et n’ont pas peu contribué au divorce entre l’Église et la société française.

3. Nous sommes fidèles à la tradition indo-européenne, qui a façonné la civilisation occidentale avec le christianisme.

Elle implique la hiérarchie des fonctions sociales : la première est la fonction souveraine, la deuxième est la fonction guerrière, la troisième est la fonction productive. C’est pourquoi les nationaux-libéraux méprisent le matérialisme de la société marchande, qui donne la primauté à la troisième fonction, et admirent la grandeur de la France éternelle, qui s’est particulièrement illustrée dans le domaine des deux premières fonctions.

4. Contrairement à ce que prétend la gauche, la justice ne se confond nullement avec l’égalité.

La justice réside dans le respect intransigeant de règles de juste conduite issues de la tradition, comme le droit de propriété et la liberté d’entreprise, d’où résultent nécessairement de grandes inégalités parfaitement légitimes. La prétendue « justice sociale » est donc le contraire de la justice.

5. La colonisation française fut une grande œuvre civilisatrice dont nous pouvons être fiers et dont les peuples colonisés ont toutes les raisons de nous être reconnaissants.

La France a tout apporté aux pays qu’elle a colonisés, qui étaient tous arriérés et souvent même primitifs avant son arrivée. Dans son fameux discours de 1885, Jules Ferry a réclamé pour les « races supérieures » le droit de civiliser les « races inférieures », parce que, disait-il, elles en avaient le devoir.

La France a mis fin aux guerres et aux famines, elle a introduit le progrès technique et matériel avec l’électricité, elle a créé toutes sortes d’équipements publics. Elle a soigné la population. Elle l’a alphabétisée et instruite, en lui donnant accès à la haute culture de l’Occident. Elle a ouvert la voie à l’évangélisation des animistes.

Quand ils ont reçu leur indépendance, les territoires colonisés par la France en Afrique noire comptaient 2.000 dispensaires, 600 maternités, 40 hôpitaux, 18.000 km de voies ferrées, 215.000 km de pistes principales, 50.000 km de routes bitumées, 63 ports, 196 aérodromes, 16.000 écoles primaires, 350 collèges et lycées. Tout cela, c’est la France qui le leur avait apporté.

Au moment de l’indépendance, la France laissa à l’Algérie 70.000 km de routes, 4.300 km de voies ferrées, 4 ports équipés aux normes internationales, une douzaine d’aérodromes principaux, des centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages, etc.), des milliers de bâtiments administratifs, de casernes, d’immeubles ; 31 centrales hydroélectriques ou thermiques ; une centaine d’industries importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie, etc. ; des milliers d’écoles, d’instituts de formation, de lycées, d’universités, d’hôpitaux, de maternités, de dispensaires, de centres de santé, etc. Sans parler d’une agriculture largement exportatrice et des hydrocarbures du Sahara (pétrole et gaz naturel) que ses géologues et prospecteurs avaient découverts.

L’Algérie avait moins de 3 millions d’habitants lors de la conquête française en 1830, elle en avait plus de 12 millions, soit quatre fois plus, en 1962, lors des accords d’Évian.

6. Les treize territoires extérieurs de la France, appelés départements ou collectivités d’outre-mer – sauf l’île inhabitée de Clipperton –, appartiennent à la nation française, mais ils n’en font pas partie.

Ce sont la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Barthélémy, Saint-Martin (île partagée avec les Pays-Bas), la Guyane, Saint-Pierre et Miquelon, Clipperton, la Réunion, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française (Tahiti et dépendances), Wallis et Futuna, enfin les Terres australes. Leurs habitants ne sont pas vraiment français, sauf exception ; ce sont des Français de papier.

Il faut y ajouter un quatorzième, la Corse, qui fait géographiquement, historiquement et culturellement partie de l’Italie et non de la France. Il n’y a d’ailleurs pas de « langue corse » ; on parle en Corse plusieurs dialectes de la langue italienne.

Les partisans de l’Algérie française clamaient autrefois : « L’Algérie, c’est la France ! » Lourde erreur. L’Algérie était un territoire extérieur avant l’indépendance de 1962 : elle était à la France, elle n’était pas la France. De même, en 2022, soixante ans après, la Martinique et les autres territoires extérieurs sont à la France, ils ne sont pas la France. L’omission de la modeste préposition « à » crée une grave confusion.

L’absence de continuité territoriale est une raison suffisante pour qu’un territoire ne fasse pas partie de la France proprement dite ; sauf, bien sûr, pour les petites îles qui sont voisines de nos côtes. Dans le cas de l’Algérie, les habitants étaient de surcroît d’une autre religion et d’une autre civilisation ; dans le cas des territoires extérieurs que la France détient actuellement, ils sont en général de race différente, sauf pour la Corse et Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi qu’en partie pour la Nouvelle-Calédonie.

7. L’Europe n’est qu’une expression géographique.

Il n’y a ni civilisation européenne ni race européenne ni ethnie européenne ni peuple européen. Il y a une civilisation occidentale, dont ne font partie ni la Russie ni l’Ukraine ni la majorité des pays des Balkans, une race caucasoïde, qui inclut beaucoup de peuples non européens, une ethnie française, un peuple français.

Nous dirons, pour paraphraser Joseph de Maistre : « J’ai déjà rencontré un Français, un Italien, un Russe… mais l’“Européen”, s’il existe, c’est à mon insu. »

III. De la race

1. La race est un fait d’observation élémentaire que la science confirme et précise.

Au sens strict, la race est, par définition, la subdivision de l’espèce dans la taxinomie linnéenne – élaborée en premier lieu par Carl von Linné – ; on parle aussi de variété ou de sous-espèce. L’espèce homo sapiens n’est pas divisée en trois races (blancs, jaunes, noirs), mais en cinq : caucasoïdes (ou « blancs »), mongoloïdes (ou « jaunes »), congoïdes, capoïdes et australoïdes, étant observé qu’il y a donc trois races de « noirs », parfaitement distinctes.

Pour aller plus loin, voir la dissertation sur la race en annexe 1.

2. L’égalité n’est pas dans la nature, ni entre les individus ni entre les races ni entre les sexes.

Étant d’ordre juridique et politique, l’égalité civique, ou égalité des citoyens devant la loi au sein de la communauté nationale, ne présuppose aucune sorte d’égalité biologique. Elle implique une inégalité de principe entre citoyens et étrangers. Elle n’interdit pas de reconnaître les diverses inégalités entre les citoyens qui résultent de leur valeur morale, de leurs aptitudes physiques ou intellectuelles et de leur degré de francité, autrement dit de leurs origines.

3. La question raciale est aujourd’hui centrale.

La couleur de la peau n’a pas d’importance, mais la race en a beaucoup.

Voir l’analyse des caractéristiques raciales en annexe 1.

4. Le PPCM, plan de promotion des congoïdes et du métissage, est un complot ourdi par le Congrès juif mondial.

C’est ce que révèlent l’ampleur et le caractère à la fois systématique et stéréotypé de ses manifestations dans la publicité et le cinéma, milieux où l’élément israélite est prépondérant et où s’exerce le plus l’influence du Congrès juif mondial (CJM), organisation dont le siège est à New York et dont le président est Ronald Lauder depuis 2007. Le but de ce complot du CJM est de détruire l’identité des nations occidentales en les transformant en sociétés multiraciales et multicommunautaires, en sorte de légitimer le communautarisme juif.

5. Dans un pays libre, il ne saurait y avoir de délit d’opinion.

Le racisme est une opinion. Les racistes doivent pouvoir s’exprimer librement, tout autant que les marxistes et les cosmopolites.

6. Si la haine raciale, comme toute forme de haine sociale, nous est étrangère, nous nous réclamons en revanche d’un racisme positif et républicain, racisme dans le bon sens du terme, sans haine et sans reproche, celui de Jules Ferry ou de Charles de Gaulle, et qui est la conscience de race.

7. La liberté de discrimination est le premier des droits de l’homme, étant plus nécessaire encore que la liberté d’opinion ou la liberté de circulation.

La discrimination est d’abord « l’action de discerner les choses en les distinguant les unes des autres avec précision » et le mot est aussi synonyme du choix qui en résulte. Ainsi, choisir, c’est discriminer. Ce n’est pas à l’État de décider à la place des individus qui choisissent et qui discriminent par là-même. L’interdiction par la loi de certaines discriminations jugées illégitimes par la puissance publique est donc tyrannique. Et cela peut aller très loin, puisque, dans la logique du métissage obligatoire évoqué par Jacques Ruffié, Albert Jacquard, puis Nicolas Sarkozy, il n’y a plus de « choix du conjoint ».

La liberté de discrimination découle en particulier du droit de propriété, qui implique dans son principe le droit d’exclure autrui discrétionnairement du bien dont on est propriétaire et de choisir au contraire tout aussi librement celui qui y sera admis.

L’homme est un animal territorial. Propriétaire ou locataire, on est libre de refuser l’entrée de son domicile à qui on veut sans avoir à répondre de ses motifs. On choisit librement ses invités. « Charbonnier est maître chez lui. » Le mot « appartement », dérivé d’un verbe italien qui signifie « séparer, mettre à part », suffirait à nous rappeler que vivre, c’est discriminer.

La discrimination prend une dimension métaphysique dans les religions du salut en général et dans le christianisme en particulier, puisque la justice divine n’accueille que les bons au paradis, tandis que les méchants sont rejetés en enfer : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite » (Luc, XIII 24). Et encore : « Il y aura beaucoup d’appelés, mais peu d’élus » (Matthieu, XXII 14).

IV. De l’assimilation

1. Les Français de sang sont les Français de race caucasoïde dont la majorité des ancêtres en l’an mil étaient des sujets chrétiens du royaume de France ou des provinces voisines rattachées par la suite à la France et qui en font encore partie aujourd’hui.

Hormis les Français d’origine, comme les Québécois, à qui il ne manque que la nationalité pour être des Français de sang, les autres hommes sont pour la France des allogènes, quelle que soit leur nationalité, française ou étrangère, quel que soit leur lieu de naissance ou leur lieu de résidence, en France ou à l’étranger ; quel que soit aussi l’attachement qu’ils peuvent avoir pour la France, et quels que soient les services qu’ils lui ont éventuellement rendus. Le terme d’allogène n’a rien de péjoratif. Il est du reste relatif à la nation considérée : les Français de sang sont des allogènes pour les Allemands. On peut aussi parler des « allochtones », par opposition aux autochtones que sont les Français de sang.

2. Il y a trois sortes de Français selon la loi, bien que celle-ci ne marque aucune différence entre eux : les Français de sang, les Français d’adoption, allogènes assimilés, et les Français de papier, allogènes inassimilés.

Ces derniers ne sont pas de vrais Français. Les nationaux-libéraux en tirent la conséquence qu’ils doivent être déchus de la nationalité française, puis, sauf exception, réémigrés à plus ou moins long terme.

3. Pour être assimilé, un immigré, autrement dit un allogène, doit rejeter le communautarisme et se mêler aux Français de sang au lieu de rester à part avec ceux qui ont la même origine que lui.

Il faut donc qu’il parle français et qu’il ne pratique pas une religion l’excluant de la communauté nationale telle que le judaïsme ou l’islam.

Il n’y a pas de « Français par le sang versé » : si la France doit de la reconnaissance aux hommes qui ont combattu pour elle, cela ne suffit pas pour en faire de vrais Français à défaut d’assimilation.

La France ne pourra pas préserver son identité nationale sans la réémigration des masses inassimilées et inassimilables.

4. Le grand remplacement est la conséquence de l’immigration, qui est elle-même la conséquence de l’antiracisme, lequel est, à son tour, la conséquence de la religion de la Choah : il s’ensuit que le grand remplacement est la conséquence de la religion de la Choah.

C’est le théorème du grand remplacement.

5. Les Juifs sont des immigrés comme les autres, tout en étant particulièrement rebelles à l’assimilation en raison de leur religion, au même titre que les musulmans.

Expulsés de France en 1394, les Juifs ou Israélites n’étaient que quelques milliers en 1789. Ils ont immigré au XIXe et plus encore au XXe siècle, sans parvenir tous à s’assimiler, loin de là, étant, dans ce cas – et seulement dans ce cas –, des Juifs français plutôt que des Français juifs, « Juifs à la maison, Français dans la rue », selon leurs propres mots, tenus alors par leur choix personnel et en vertu de leur religion raciste à l’écart de la nation française pour former une communauté séparée, un corps étranger. En outre, les Juifs, lorsqu’ils sont inassimilés, font souvent allégeance à un autre pays que la France depuis la fondation de l’État d’Israël en 1948 : pour les Juifs français, le sionisme, nationalisme juif, conduit forcément au communautarisme et au séparatisme, deux notions en réalité équivalentes.

Tels sont les termes de la question juive aujourd’hui en France. En vérité, la réponse à cette question a été donnée par Stanislas de Clermont-Tonnerre dès 1789, quand les quelques Israélites qui étaient en France à l’époque ont été émancipés : « Il faut refuser tout aux Juifs comme nation dans le sens de corps constitué et accorder tout aux Juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens. » Mais Napoléon a fait tout le contraire lorsqu’il a institué le consistoire israélite en 1808. Sous prétexte d’organiser le culte, il a officialisé le communautarisme juif.

Il n’y a pas de « peuple juif ». Il y a une ou deux ethnies juives coagulées ou coalisées par la religion, un peuple israélien et un peuple français, dont font partie les Juifs pourvu qu’ils soient assimilés et donc qu’ils rejettent le Talmud, lequel tient les non-Juifs pour des bêtes. Il n’y a pas non plus de « communauté juive » qui puisse être reconnue au sein de la république, car celle-ci n’admet pas d’autre communauté que la communauté nationale. À cet égard, si le groupe juif peut sans doute conserver sa particularité en restant attaché à certaines de ses traditions culturelles et religieuses, encore faut-il que celles-ci ne soient pas contraires aux exigences de la civilisation occidentale ni aux principes de la république française, et qu’elles ne viennent pas entamer l’unité nationale en mettant les Juifs à part des autres Français.

6. Réinformation : il est tout à fait absurde de parler de « judéo-christianisme ».

Le judaïsme actuel, qui est celui des pharisiens dont parle l’Évangile, est une religion orientale isomorphe de l’islam.

Le judaïsme est un islam raciste. La théorie du peuple élu est intrinsèquement raciste quand elle ne signifie pas, comme le pensent les chrétiens, que cette élection d’un peuple particulier avait pour seule fin de préparer la venue du Christ et qu’elle s’est achevée avec celui-ci et dans son Évangile destiné à tous les hommes, sans acception d’origine ou de nationalité.

Le livre saint propre aux Juifs actuels, le Talmud, est d’un racisme si délirant qu’il tient les non-Juifs pour des bêtes (« Vous êtes des hommes, tandis que les non-Juifs ne sont pas des hommes »), les non-Juifs étant appelés en hébreu « Goyim » (pluriel de Goy), terme de mépris et d’exécration. Le grand-rabbin d’Israël Ovadia Yosef estimait que les non-Juifs (Goyim) n’étaient nés que pour servir les Juifs et il les comparait à des ânes (sic).

Pour la Cabale, doctrine suivie par 80% des Juifs religieux, les Juifs sont des étincelles de la Divinité (Chékinah) dispersées au milieu du fumier des non-Juifs (Goyim), c’est-à-dire que ceux-ci ne sont même plus tenus pour des bêtes, mais pour des excréments ; il est difficile de faire mieux dans la haine et le mépris

Pour sa part, l’islam est un judaïsme universaliste, qui s’adresse à tous les hommes.

7. Comme l’a enseigné Jean Bodin (1576), nous appelons république, du latin res publica, tout régime politique voué au bien commun et qui, en conséquence, défend l’identité raciale et culturelle de la cité ou de la nation, homologue moderne de la cité antique, que ce régime soit monarchique, aristocratique ou démocratique.

Lorsque l’on appelle « république », comme on le fait ordinairement, tout régime qui n’est pas une monarchie, on met dans le même sac la république romaine, la république de Venise, la « république » jacobine de 1793, la IIIe république française, l’Union des « républiques » socialistes soviétiques, la république islamique d’Iran… en oubliant contradictoirement d’y ajouter l’État français du maréchal Philippe Pétain.

Selon la définition de Bodin, que nous avons adoptée, la prétendue Ière république, n’en était pas une, puisque c’était en réalité une tyrannie jacobine qui exerçait la terreur sur le peuple français. La IIIe république, qui en était bien une, quant à elle, n’est pas née de la révolution, mais au contraire, en 1871, de la contre-révolution que constitua l’écrasement de la Commune de Paris par Adolphe Thiers.

V. Du cosmopolitisme

1. La gauche, expression idéologique de l’utopie égalitaire, est écartelée entre deux pôles antagonistes, le collectivisme et le cosmopolitisme.

Le cosmopolitisme, qui vient du fond des âges, puisqu’il fut inventé vers -350 par un philosophe de l’Antiquité grecque, Diogène le cynique, a supplanté le marxisme, forme moderne du collectivisme, après la révolution de 1968, pour devenir l’idéologie dominante mondiale.

2. Le cosmopolitisme, ou idéologie cosmopolitique, est un tout qui fait système.

Les cosmopolites les plus conséquents en sont bien conscients, qui appellent à l’« intersectionnalité des luttes ».

Le cosmopolite, qui veut détruire les frontières, rejette non seulement, au nom de l’« unité du genre humain », de la « société ouverte », de la « diversité » ou du « vivre-ensemble », et en s’appuyant sur les mythes de l’écologisme comme le « réchauffement climatique » qui serait causé par l’homme, les frontières physiques et extérieures de la nation ; mais aussi, au nom de la « lutte contre les discriminations », du « refus de l’exclusion » ou encore de l’« inclusion », les frontières morales et intérieures de la société nationale, qui séparent les valeurs des anti-valeurs : le bien du mal, le beau du laid, le vrai du faux… ainsi que l’honneur de la honte, la vertu du vice, le normal de l’anormal, la pudeur de l’obscénité, le convenable de l’inconvenant, la distinction de la vulgarité, la politesse de la grossièreté, etc.

Les principaux procédés de la propagande cosmopolite sont, d’abord, le détournement de compassion, qui fait couler les larmes de la subversion au nom d’un humanitarisme frelaté ; ensuite, le détournement des droits de l’homme, pour fabriquer de faux droits au bénéfice des ennemis de la société ou de la nation ; enfin, le sarcasme, qui vise à discréditer l’homme de droite par le ricanement en évitant de discuter de ses idées au fond, tout en désacralisant les valeurs authentiques dont il se réclame.

3. Le cosmopolitisme est mondialiste.

Il poursuit l’utopie d’un État mondial, empire où se dissoudraient toutes les nations, et sape leur souveraineté en vue de les soumettre à une « gouvernance mondiale » dans le cadre d’un « nouvel ordre mondial ». C’est pourquoi il affirme la primauté du jus gentium, « droit international », il prescrit le « droit d’ingérence » au nom des « droits de l’homme », il instaure une justice supranationale et la « compétence universelle » des tribunaux pour punir les « crimes contre l’humanité ». Il multiplie les pseudo-traités qui font peser sur les États des obligations sans réciprocité au nom des droits de l’homme. Il exige l’indépendance des banques centrales pour abaisser les gouvernements en donnant le pouvoir monétaire et financier à des techniciens sans légitimité démocratique.

Immigrationniste et libre-échangiste, le cosmopolitisme promeut en outre la financiarisation de l’économie dans un monde sans frontières livré à la spéculation : d’où la délocalisation des emplois, la soumission des entreprises au cosmopolitiquement correct au rebours de leur mission propre et la formation d’entreprises hors-sol dites abusivement « multinationales ».

4. Le cosmopolitisme est avant tout nihiliste.

Il subvertit les valeurs et les institutions pour faire table rase de l’identité des peuples. Il s’attaque à la nation, à la famille, à l’armée, à la justice, à la religion, à la philosophie, à la morale, à l’histoire, à la science et à l’art sous toutes ses formes. La liste des méfaits qu’il a déjà accomplis et de ceux qu’il projette d’accomplir est interminable et ne saurait donc être exhaustive :

repentance historique et culpabilisation de la nation, dénigrement de l’histoire nationale, religion de la Choah, antiracisme, apologie du métissage, féminisme, délires LGBT, promotion de la transsexualité, apologie de la pédophilie, transhumanisme, vogue de la crémation, déconstruction de la philosophie, antipsychiatrie, pédagogisme dégradation du français, féminisation du vocabulaire, écriture inclusive, invasion de l’anglais, non-art dégénéré, danse et musique nègres, végétarisme et véganisme, décadence vestimentaire, tatouages, perçages et autres pratiques corporelles peu ragoûtantes… ;

et aussi, en projet, car le cosmopolitisme n’a pas de limites dans sa volonté de destruction des valeurs : euthanasie, aide au suicide, mères porteuses, libéralisation de la drogue, en attendant les manipulations génétiques et la création d’un « homme nouveau » selon le programme transhumaniste…

5. La révolution est l’expression de la gauche en action.

Pour les nationaux-libéraux, elle est intrinsèquement perverse, sous toutes ses formes – dès lors qu’il s’agit réellement d’une révolution, et non de la restauration des libertés traditionnelles, comme la prétendue « révolution » de 1688 en Angleterre –, puisqu’elle a pour objet d’abolir les traditions et d’écraser les libertés. L’entreprise révolutionnaire conduite par les cosmopolites depuis 1968 pour démolir la nation et la civilisation a été ponctuée – aux yeux des nationaux-libéraux – d’une longue série de lois scélérates, d’actes indignes, de symboles honteux.

Pour aller plus loin, voir la chronique de la révolution cosmopolite en annexe 2.

6. Les valeurs républicaines authentiques – grandeur, tradition, civilisation, nation, patrie, ancêtres, fraternité raciale, identité ; égalité civique, ordre, sécurité ; honneur, héroïsme, devoir, fidélité, liberté individuelle, responsabilité… – sont toutes contraires au cosmopolitisme.

7. Nous ne sommes plus en république.

La loi René Pleven du 1er juillet 1972, qui a proscrit la préférence nationale et créé le délit d’opinion au nom de l’antiracisme, a aboli la république pour établir l’État cosmopolite à la place.

Il a suffi d’une loi ordinaire pour changer radicalement l’esprit de la constitution, sans toucher à sa lettre.

Pour aller plus loin, voir la dissertation sur le cosmopolitisme en annexe 3.

VI. De l’oligarchie

1. Nous ne sommes plus en démocratie.

Le peuple ayant été domestiqué et réduit à l’état de foule par la peur de la catastrophe, climatique ou sanitaire, l’État français n’a plus que les apparences formelles de la démocratie. C’est aujourd’hui en réalité un régime oligarchique. Dans cette pseudo-démocratie, l’oligarchie invoque l’autorité fallacieuse des techniciens et des experts de tous ordres qui sont à son service pour assujettir le peuple en étouffant le débat politique.

2. La superclasse mondiale qui s’est formée à la fin du XXe siècle et l’oligarchie cosmopolite qui la représente dans chaque pays ne sont pas pour nous des adversaires, mais des ennemies.

Elles veulent détruire la nation et la civilisation. Aucun compromis n’est possible avec elles.

3. Définition : nous appelons superstructure mondiale le système de pouvoir formé depuis 1945 par les prétendues « organisations internationales », qui sont en réalité supranationales, et par les milliers d’ONG, « organisations non gouvernementales », qui gravitent autour de celles-ci.

On citera, d’une part, pour les « organisations internationales », l’ONU, l’OMS, le GIEC, l’UNESCO, le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour pénale internationale ; d’autre part, pour les ONG, Greenpeace, Amnesty International, Médecins sans frontières ou Reporters sans frontières, parmi tant d’autres.

La superstructure mondiale est le principal instrument de la superclasse mondiale pour assurer son hégémonie et imposer l’idéologie cosmopolitique.

4. Définition : les candaules, désignés ainsi par antonomase du nom du roi Candaule et pour traduire l’anglais cuck, sont les hommes classés à droite, mais soumis au cosmopolitiquement correct imposé par l’oligarchie.

5. L’oligarchie cosmopolite propage les âneries calamiteuses produites par le lyssenkisme et la pseudo-science dans tous les domaines : histoire, archéologie, sociologie, ethnologie, économie, droit, psychologie, pédagogie, biologie, écologie, climatologie, épidémiologie…

Trophime Denissovitch Lyssenko, agronome ukrainien, fut le biologiste préféré de Staline, puis de Khrouchtchev. Il dénonçait la génétique comme une science bourgeoise et même « nazie » parce qu’elle était contraire au marxisme et à sa prétention de créer un « homme nouveau ». Les lyssenkistes prolifèrent aujourd’hui dans de nombreux domaines de la science ou de l’histoire. Comme Lyssenko, ils font de la désinformation scientifique pour des raisons idéologiques.

Une pseudo-science est une discipline entière qui a les apparences de la science, mais qui est en réalité dépourvue de toute valeur scientifique. Sont notamment des pseudo-sciences le « matérialisme historique » de Karl Marx, la « pychanalyse » de Sigmund Freud, le pédagogisme de Philippe Meirieu, la « théorie pure du droit » de Hans Kelsen et la modélisation mathématique des phénomènes complexes, qu’il s’agisse de l’économie, du climat, des épidémies ou de l’évolution biologique.

6. Le prétendu « État de droit » est un État contre la loi qui met les juges au dessus du peuple en leur donnant le pouvoir de lui imposer l’idéologie cosmopolite de l’oligarchie.

Il va de pair avec la judiciarisation des rapports sociaux qui résulte notamment de la création incessante de délits tels que la discrimination ou le harcèlement et qui accroît l’emprise de l’État sur les individus en sorte de les soumettre au cosmopolitiquement correct.

Il est aggravé par la multiplication des « autorités administratives indépendantes », qui sont des démembrements de l’État et exercent un pouvoir arbitraire dépourvu de légitimité démocratique.

Le prétendu « État de droit » s’oppose à l’État légal qui était en vigueur avant 1968. Dans celui-ci, les magistrats ne peuvent pas juger contra legem, contre la loi, ni s’arroger le pouvoir exécutif en prescrivant des actes au gouvernement, sans se rendre coupables du crime de forfaiture. L’indépendance de la justice ne signifie pas que les juges puissent, au nom d’un prétendu « droit » qu’ils constitueraient de leur propre chef en inventant des normes, s’affranchir de la loi, c’est-à-dire des textes adoptés par le parlement ou directement par le peuple dans un référendum, ni que la jurisprudence puisse être autre chose qu’un complément de la loi. En principe, comme a dit Adrien Duport, « le jugement est la conclusion d’un syllogisme dont la mineure est le fait et dont la majeure est la loi ».

7. Le relativisme est une concession fatale à l’idéologie cosmopolite de l’oligarchie.

Nous, nationaux-libéraux, nous osons affirmer la vérité en reconnaissant les inégalités et les hiérarchies qui sont de fait, que cela plaise ou non – étant observé que ces jugements de connaissance n’impliquent ni mépris ni hostilité et ne sauraient contredire le principe d’égalité entre les citoyens ni justifier des discriminations illégitimes – : le christianisme est supérieur aux autres religions ; la civilisation occidentale est supérieure aux autres civilisations ; les arts des grandes civilisations sont supérieurs aux arts primitifs ; l’art classique est supérieur à l’art ou au non-art dégénéré ; la grande musique est supérieure à la musique populaire ; la musique occidentale est supérieure à la musique nègre ; les peuples indo-européens sont supérieurs aux peuples chamito-sémitiques ; la race caucasoïde est supérieure aux autres races ; le sexe fort est supérieur au sexe faible ; la France éternelle est supérieure aux autres nations ; le français est la plus belle des langues vivantes…

VII. De l’honneur et des principes

1. Sachant que le premier acte de la raison est la distinction entre le jugement de valeur et le jugement de connaissance, nous avons la religion de la vérité, au rebours des hommes de gauche, qui s’abîment dans les impostures de la pseudo-science et les délires de l’utopie.

L’envie et le mensonge sont les deux mamelles dont la gauche est alimentée. Nous, au contraire, nous acceptons la vérité même quand elle est déplaisante et nous rejetons l’erreur même quand elle est séduisante. Voilà pourquoi nous sommes affranchis du cosmopolitiquement correct.

2. Démocrates et républicains, attachés à la liberté individuelle, les nationaux-libéraux sont de droite modérée, et non d’extrême droite, tout en proclamant : « Pas d’ennemi à droite ! »

La formule « Pas d’ennemi à droite ! » ne doit pas être prise à la lettre, car les candaules qui nous attaquent deviennent par là-même nos ennemis. Elle signifie en réalité que nul ne devient notre ennemi simplement parce qu’il serait trop à droite.

3. Nation et liberté sont inséparables.

Un bon nationaliste est forcément libéral ; pour lui, l’État n’est pas la nation, ce n’est qu’un instrument au service de la nation, et il tient que le peuple ne peut être souverain que si les individus qui le composent sont libres. Un bon libéral est forcément nationaliste, car la personnalité, qui est à la racine de la liberté, ne peut s’épanouir qu’au sein de la communauté nationale. Ils sont nationaux-libéraux.

4. Le national-libéralisme est fondé sur l’universalisme de l’Incarnation proclamé par le christianisme occidental et philosophiquement incontestable.

Toutes les valeurs authentiques, bien qu’issues de traditions diverses, sont universelles à un certain degré d’abstraction et c’est la hiérarchie des valeurs, c’est-à-dire la manière dont sont résolus les conflits de valeurs, qui définit l’identité culturelle des peuples et des civilisations.

L’universalisme de l’Incarnation s’oppose radicalement au cosmopolitisme, qui est un faux universalisme, puisque les prétendues valeurs qu’il entend défendre sont en réalité des anti-valeurs destructrices de l’ordre social et de la civilisation.

5. Le national-libéralisme est l’expression doctrinale du populisme, réaction des peuples contre les oligarchies cosmopolites.

C’est la vraie réponse au cosmopolitisme, comme au collectivisme.

Les principaux maîtres à penser des nationaux-libéraux sont Edmund Burke, Gustave Le Bon, Vilfredo Pareto, Carl Schmitt, Konrad Lorenz, Friedrich-August von Hayek et Julien Freund.

6. « Liberté individuelle, égalité civique, fraternité raciale », telle est la devise des nationaux-libéraux.

La devise officielle de la France, « liberté, égalité, fraternité », qui fut d’abord celle de la principale obédience maçonnique, le Grand Orient de France, doit être précisée pour exprimer vraiment l’idéal de la république.

La liberté collective, si elle n’est pas synonyme de souveraineté nationale, est un leurre qui légitime la tyrannie. La liberté authentique s’applique à l’individu et à lui seul.

L’égalité au sein de la nation ne concerne que les citoyens ou nationaux, les deux termes étant strictement équivalents dans la république, et elle implique l’inégalité entre les citoyens et les étrangers.

La sociobiologie nous enseigne que la fraternité est nécessairement fondée, comme son nom le rappelle, sur la communauté de sang entre des individus apparentés, tenus au sens large pour des « frères ». Une certaine fraternité raciale peut sans doute exister entre tous les membres de la race caucasoïde, indépendamment de leur nation ou de leur civilisation, et s’exercer à l’égard des autres races ; cependant, la fraternité raciale à laquelle nous invite la devise républicaine bien comprise s’entend pour les membres d’une même nation, qui ont les mêmes ancêtres, étant précisé qu’ici l’adjectif « racial » et le nom « race » dont il dérive désignent le fonds génétique que ceux-ci partagent, et non la division de l’espèce dans la taxinomie linnéenne.

7. Notre honneur tient dans la fidélité à nos principes.

C’est pourquoi nous nous engageons sans réserve pour la cause sacrée du salut de la patrie et de la civilisation.

Annexe 1 : dissertation sur la race

suite du commentaire III.1

Taxinomie

L’homme est un être vivant. L’espèce homo sapiens appartient au genre homo (seule représentante aujourd’hui), à la famille des hominidés (même observation), à l’ordre des primates, où elle cohabite avec les singes, à la classe des mammifères, à l’embranchement des vertébrés, au règne animal, au domaine des eucaryotes, au monde vivant.

La classification des êtres vivants est fondée exclusivement sur leur patrimoine héréditaire, leur génotype, en aucune façon sur leur phénotype, bien que ce fût seulement par celui-ci que l’on pouvait connaître celui-là avant que l’on pût faire l’analyse directe de l’ADN.

La division des espèces en races est absolument générale. Elle n’est pas réservée aux animaux domestiques, chiens ou chats, ni aux animaux d’élevage comme les chevaux, les bovins, etc., bien que pour ces deux catégories la sélection artificielle réalisée par l’homme ait multiplié les races bien davantage que ne l’a fait la sélection naturelle pour les espèces sauvages. On trouve, par exemple, quatre races de chimpanzés – espèce la plus proche de la nôtre –, deux races de gorilles, trois races d’orangs-outangs, trente-huit races de loups, quarante-cinq races de renards, vingt-deux races de ratons-laveurs, neuf races de girafes, deux races de kangourous… et donc cinq races d’hommes : caucasoïdes, mongoloïdes, congoïdes, capoïdes et australoïdes.

L’usage courant de parler pour les races humaines de « blancs », de « jaunes » et de « noirs » est triplement inadéquat.

Primo, il n’y a pas trois races humaines, mais cinq. Il y a trois races de « noirs » : les congoïdes, les capoïdes et les australoïdes, lesquelles n’ont en réalité rien à voir entre elles. Certes, les capoïdes, qui tirent leur nom de la province du Cap en Afrique du sud et qui sont représentés par les Boschimans et les Hottentots, sont aujourd’hui très métissés de congoïdes, mais ils formaient originellement une race sans rapport avec la leur. Quant aux australoïdes, représentés par les aborigènes australiens, les Mélanésiens, comme les Papous et les Canaques, les Négritos du Sud-Est asiatique, les Veddas de Ceylan (aucun rapport avec les Védas, livres sacrés de l’hindouisme !), les aborigènes de l’Inde, enfin les Aïnous, aborigènes du Japon, ils forment également une race indépendante du même niveau taxinomique que les congoïdes et les trois autres races humaines.

Secundo, ces couleurs conventionnelles sont trompeuses. Caucasoïdes ou non, les hommes n’ont jamais la peau blanche, à l’exception des albinos, et on en trouve dans toutes les races ; les albinos congoïdes ont la peau parfaitement blanche, comme ceux des autres races. Nul homme non plus n’a la peau noire ; les congoïdes qui ont la peau la plus foncée, et qui sont au Sénégal ou au Mali, sont en réalité des « bruns ». Les mongoloïdes ont souvent la peau jaune, il est vrai, mais c’est très loin d’être toujours le cas ; beaucoup de Japonais ont la peau aussi claire que les Français ; et les populations du Sud-Est asiatique, en dehors du Vietnam, de même que les Mérinas de Madagascar, venus d’Indonésie, ont la peau brune et non jaune – ce qui, il est vrai, est probablement dû à un métissage ancien avec les aborigènes australoïdes.

Tertio, ces termes ont le grave inconvénient de faire uniquement référence à la couleur de la peau. Celle-ci a beau apparaître en premier lieu sous le regard et avoir en conséquence un important rôle social, elle est négligeable sur le plan biologique en tant que caractère racial. La réduction de la race à la couleur de la peau est une ânerie scientifique et une arme de désinformation pour ceux qui nient absurdement l’existence des races humaines ou qui, s’ils l’admettent à contre-cœur, soutiennent bien à tort que les différences raciales ne seraient que peu de chose.

La couleur de la peau est d’autant moins pertinente pour la taxinomie raciale que la pigmentation ne dépend pas seulement des gènes, mais aussi de l’exposition aux rayons du soleil. Les nouveaux-nés de toutes les races, tout juste sortis du ventre de leur mère, ont toujours la peau claire. Un pur nordique, blond aux yeux bleus, à la peau normalement très claire, peut l’avoir presque aussi foncée qu’un congoïde s’il a bronzé pendant des dizaines d’heures sous un soleil éclatant.

Les races ou sous-espèces ne sont nullement homogènes, loin s’en faut ; elles sont au contraire subdivisées à leur tour en de nombreuses sous-races (terme de taxinomie qui n’a rien de péjoratif), lesquelles sont en général mélangées intimement au sein d’une même population. Par exemple, pour la race caucasoïde, en France, on trouve les sous-races alpine, méditerranéenne et nordique, qui semblent se rapporter respectivement aux trois couches successives qui ont formé la population française, les chasseurs ouest-européens du paléolithique étant plutôt alpins, les paysans anatoliens du néolithique, plutôt méditerranéens, les conquérants indo-européens de l’âge du bronze, plutôt nordiques.

La « race aryenne » dont on parlait autrefois était un autre nom donné à la sous-race nordique de la race caucasoïde. Du reste, l’emploi du même mot, « race », dans deux acceptions, y compris par les spécialistes, pour désigner deux niveaux de la taxinomie est regrettable, étant une source de confusion. Il vaut mieux réserver le mot « race » aux sous-espèces et parler de « sous-races » pour les subdivisions de la race.

Paralogismes

La race n’est pas un concept dépassé qui remonterait au XIXe siècle. D’abord, la notion de race est en réalité plus ancienne, puisqu’elle a été définie au XVIIIe siècle par Carl von Linné, savant suédois qui a élaboré la première classification des êtres vivants (1758). Ensuite, la connaissance scientifique est un processus cumulatif. Les savants du XIXe siècle ont perfectionné la raciologie, l’étude des races, notamment pour notre espèce, homo sapiens. Le naturaliste anglais Charles Darwin a fait de la race l’élément central de l’évolution dans son fameux livre de 1859, « On the origin of species » (titre qu’il faut traduire correctement : « De la genèse des espèces », et non : « De l’origine des espèces », comme on le fait d’ordinaire), puisqu’il définissait la sélection naturelle, dans le titre complet de son ouvrage (« On the origin of species by means of natural selection, or the preservation of favoured races in the struggle for life »), comme la « conservation des races avantagées dans la lutte pour la vie ». Au XXe siècle, le grand anthropologue américain Carleton Coon a établi la classification définitive des races humaines (1965). L’analyse de l’ADN n’a fait ensuite que confirmer ces analyses.

La terminologie adoptée par Coon renvoie conventionnellement chacune des cinq races à une région de référence : Caucase, Mongolie, Congo, province du Cap en Afrique du sud, Australie, sans que ces régions fussent nécessairement le foyer de dispersion de la race en question. Ni qu’elles fussent, avant les grandes découvertes et la colonisation qui a suivi, le centre de gravité de la répartition géographique de la race ; ce n’est le cas que pour le Caucase et le Congo, mais ce ne l’est ni pour la Mongolie ou l’Australie, ni même pour la province du Cap.

Il est absurde de reprocher aux anthropologues de mesurer les crânes humains et de calculer leur indice céphalique pour distinguer dolichocéphales, mésocéphales et brachycéphales. La science repose sur la mesure, ici sur celle des squelettes, dont les os du crâne. Avant l’analyse de l’ADN et la paléogénétique, qui sont des disciplines récentes, on n’avait pas d’autre moyen d’étudier les fossiles.

Précisons que l’haplogroupe paternel, qui caractérise le seul chromosome Y, soit un sur quarante-six, ne représente qu’une très petite partie du génome (100 gènes sur 20.000) et qu’il ne suffit pas à délimiter la race puisqu’il y en a de multiples dans une même race. De surcroît, il est particulièrement susceptible de se diffuser par métissage, les conquérants ou les marchands ayant une tendance prononcée à prendre femme dans le pays où ils s’installent. Par exemple, l’haplogroupe R1b, majoritaire en France et qui nous vient des conquérants indo-européens, était à l’origine purement caucasoïde, mais on le retrouve aujourd’hui dans certaines régions d’Afrique noire.

Dans quelque domaine que ce soit, toute classification repose sur certains critères, et sur eux seulement, à l’exclusion de tous les autres, en sorte qu’un élément ou un individu peut être plus proche à d’autres égards et selon d’autres critères d’un individu d’une autre catégorie que d’un individu de la même catégorie. C’est le paradoxe de la taxinomie. Par exemple, dans une bibliothèque où les livres sont classés par genre, un essai et un roman écrits dans la même langue par le même auteur auront plus d’affinités, au moins pour ces deux critères, et probablement pour d’autres, que deux essais ou deux romans écrits dans deux langues différentes par deux auteurs différents. De même, dans l’espèce humaine, une femme jeune et mince de race caucasoïde ressemblera plus à une autre femme également jeune et mince, mais de race mongoloïde, qu’à un homme vieux et corpulent de sexe masculin, fût-il de race caucasoïde comme elle. Le classement selon la race ne recoupe évidemment pas le classement selon le sexe ou selon l’âge.

C’est encore un paralogisme d’invoquer la diversité des groupes sanguins au sein de chaque race pour nier l’existence de celles-ci. La classification raciale ne se fonde pas sur ces caractères, bien que la proportion de ces groupes varie selon les races. La meilleure preuve en est que le système ABO dépasse la barrière des espèces et qu’on le retrouve chez les singes. Il vaudrait mieux, pour un homme de groupe O, recevoir le sang d’un chimpanzé du même groupe, que d’un autre homme d’un groupe différent, fût-il de sa famille et de sa race !

Évacuons aussi le paradoxe de la continuité. De même que le spectre lumineux présente un continuum de couleurs, ce qui ne signifie pas que les couleurs n’existent pas, on trouve un continuum de populations entre les races. Ainsi, du Sin-Kiang à la Bulgarie, il y a tous les stades intermédiaires entre mongoloïdes et caucasoïdes ; de même, du Liban au Kénya, en passant par la Corne de l’Afrique – Éthiopie, Érythrée, Somalie –, entre caucasoïdes et congoïdes. Ces transitions progressives sont dues à des métissages fort anciens.

Pour autant, la classification des races n’a rien d’arbitraire. Elle repose sur l’évolution génétique des populations préhistoriques réparties sur tout l’Ancien Monde et qui ne communiquaient pas ou très peu entre elles, étant observé que le cheval et le chameau n’ont été domestiqués qu’en -3000 et que les périodes glaciaires ont établi des barrières difficilement franchissables entre des populations éloignées. La seule question, non tranchée à ce jour, est de savoir si les races humaines se sont dissociées il y a un million d’années ou davantage, thèse dite polycentrique soutenue notamment par Carleton Coon, ou si elles l’ont fait il y a seulement 300.000 ans, thèse dite monocentrique, laquelle suppose que l’homme moderne ait exterminé partout les populations archaïques.

Evidemment, le fait que les individus de races différentes puissent avoir des enfants ne signifie pas que les races n’existent pas, mais simplement qu’elles ne sont pas au niveau taxinomique de l’espèce. En effet, c’est l’absence d’interfécondité qui permet, par définition, de distinguer des espèces voisines. Puisque les individus des diverses races appartiennent à la même espèce, ils sont donc interféconds et peuvent se croiser s’ils ne sont pas de même sexe. Un métis est un individu dont les ancêtres appartiennent à deux ou plusieurs races, et non à une seule. Il peut être aussi dit plus précisément biracial ou pluriracial, par opposition à un individu d’une seule race, uniracial.

La pureté raciale absolue n’est pas nécessaire pour être qualifié d’uniracial, dès lors que les races secondaires n’ont laissé que des traces négligeables. Pour une définition rigoureuse, on peut adopter la règle du seizième : un individu sera tenu pour uniracial, et non comme métis, si la part des autres races que la race principale dans son patrimoine héréditaire est inférieure à un seizième.

Sur un total de huit milliards d’hommes, la population mondiale compte au moins un milliard de métis, qui sont surtout en Amérique du sud, en Amérique centrale, aux États-Unis d’Amérique, en Afrique du nord, dans la Corne de l’Afrique, en Afrique du sud, à Madagascar et dans les autres îles de l’Océan Indien, en Turquie et dans les autres pays turciques – où la population est presque entièrement métisse, hormis les minorités ethniques –, en Russie, dans le sous-continent indien et dans le sud-est de l’Asie.

Caractéristiques

L’égalité n’étant pas dans la nature, les races ne sauraient être égales. C’est ainsi que le QI moyen des congoïdes d’Afrique noire est de 70, inférieur de 15 points à celui des caucasoïdes d’Afrique du nord, du reste métissés de congoïdes, et de 30 points à celui des caucasoïdes d’Europe. Les congoïdes des États-Unis d’Amérique, qui sont en réalité métissés de caucasoïdes à 25%, ont un QI moyen inférieur de 15 points à celui des caucasoïdes du même pays. Les australoïdes ont un QI moyen inférieur de 40 points à celui des caucasoïdes occidentaux. Il est certain que ces différences de phénotype sont imputables essentiellement aux différences de génotype.

Inégalité des races humaines, donc, ainsi que le proclamait Arthur de Gobineau dans son fameux Essai de 1855, ouvrage monumental et magnifique, quoique non scientifique, ou plutôt pré-scientifique, l’état des connaissances étant alors loin d’être suffisant pour arriver à des conclusions assurées, et quoique en outre le grand écrivain ait mythifié la sous-race nordique de la race caucasoïde, qu’il appelait « race ariane », aux dépens des autres sous-races qui constituent avec celle-ci le fonds génétique de la nation française.

Jules Ferry – ancien ministre de l’instruction publique, ancien président du conseil, fondateur de l’école laïque –, qui avait sans doute lu Gobineau, n’a pas dit autre chose quand il a souligné la grandeur de la colonisation française dans son fameux discours de 1885 à la chambre des députés : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »

Il va de soi, encore faut-il le souligner pour prévenir les mauvais procès que de méchantes gens ne manqueraient pas de nous faire, que la reconnaissance de cette inégalité entre les races, qui est un fait, n’implique aucun jugement de valeur et ne justifie nullement des discriminations illégitimes entre les individus ou les catégories d’individus. Pour les nationaux-libéraux, qui sont attachés au principe républicain de l’égalité civique, les discriminations opérées par la puissance publique ne sont légitimes que si elles sont fondées sur la nationalité, donc sur la préférence nationale, d’une part, ou sur les capacités individuelles, d’autre part.

On doit préciser en outre qu’il ne s’agit ici que de différences moyennes. Il en résulte que de nombreux congoïdes ont un QI supérieur à celui de nombreux caucasoïdes.

La question qui reste ouverte, dans le cas du QI notamment, est de savoir si ce sont des différences intrinsèques liées à la race, autrement dit aux gènes et autres séquences d’ADN qui caractérisent la race, ou si ce sont des différences extrinsèques, qui résulteraient de gènes non raciaux, associés par les circonstances aux gènes raciaux.

Quoi qu’il en soit pour le QI en particulier, il est certain que les diverses races ont des caractéristiques propres qu’elles ne partagent pas avec les autres. Il est important de comprendre que les races ne se réduisent pas à des différences statistiques entre populations. Ce point de vue réductionniste est erroné. Il y a une essence de la race. Il est cependant remarquable que, s’il y a un type alpin, un type méditerranéen, un type nordique, on ne peut pas parler d’un « type caucasoïde ». Ainsi, c’est la sous-race qui constitue l’unité élémentaire de la raciologie.

Il est certain que les gènes raciaux, ceux qui caractérisent la race, ont autant d’effets sur le moral que sur le physique. C’est pourquoi l’identité d’une société, qui est un système bioculturel, est liée à la composition raciale de sa population.

De surcroît, on peut inférer de la sociobiologie d’Edward Wilson, complétée par la théorie du gène égoïste de Richard Dawkins, que les individus de même race éprouvent normalement les uns pour les autres un sentiment de solidarité raciale. La conscience de race est une source d’altruisme, mais elle peut aussi dégénérer en haine raciale. La race est, en ce sens, une coalition de gènes qui favorise la coopération entre les individus de même race, tout en étant susceptible de conduire à un affrontement entre populations de races différentes, lorsque celles-ci cohabitent sur un même territoire, comme on le voit depuis longtemps aux États-Unis d’Amérique, où le lancinant « problème noir » attend toujours une solution. Ainsi, les sociétés multiraciales sont instables. Elles sont des foyers de guerre civile.

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Annexe 2 : chronique de la révolution cosmopolite

suite du commentaire V.5

La série de lois scélérates, d’actes indignes, de symboles honteux – jugés comme tels par les nationaux-libéraux – que l’on doit à la révolution cosmopolite depuis 1968 est si longue qu’il est impossible de les citer tous :

festival de Woodstock, aux États-Unis, organisé par Michael Lang, apothéose du mouvement hippie, coup d’envoi de la nouvelle ère (1969), en France, loi sur l’autorité parentale, qui a supprimé le chef de famille (1970), « Gay Pride » ou « marche des fiertés homosexuelles », à New-York, première d’une longue série de manifestations caractérisées par la violence de l’outrage aux bonnes mœurs (1970), fondation par Klaus Schwab du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, haut lieu de rassemblement des membres les plus éminents de la superclasse mondiale (1971), en France, décision du Conseil constitutionnel sur la liberté d’association, qui invoquait les « principes généraux du droit », pierre angulaire du prétendu « État de droit », pour censurer les lois adoptées par le Parlement (1971), loi sur la filiation, qui a légitimé les enfants adultérins (1972), loi René Pleven sur l’antiracisme qui a créé le délit d’opinion et prohibé la préférence nationale (1972), ratification par la France de la Convention européenne des droits de l’homme (1974), légalisation de la pornographie par le président Valéry Giscard d’Estaing (1974), loi sur la régulation des naissances, qui a donné aux lycéennes le droit de prendre la pilule à l’insu de leurs parents (1974), loi Simone Veil légalisant l’avortement (1975), arrêt Jacques Vabre de la Cour de cassation affirmant la supériorité du droit de la Communauté européenne sur le droit national (1975), divorce par consentement mutuel (1975), loi René Haby instituant le collège unique égalitaire (1975), décret Paul Dijoud sur le regroupement familial (1976), décret rendant la mixité obligatoire dans les lycées (1976), droit de recours individuel des Français devant la Cour européenne des droits de l’homme (1981), loi Robert Badinter abolissant la peine de mort (1981), fermeture des quartiers de haute sécurité dans les prisons (1982), marche des Beurs (1983), loi bancaire, premier acte de la réforme inspirée par Jean-Charles Naouri, inspecteur des finances, futur associé-gérant de la banque Rothschild, réforme qui a institué la « banque universelle » en supprimant la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires et qui a déréglementé les marchés financiers, en sorte de donner libre cours à la spéculation (1984), projection à Paris du film blasphématoire de Martin Scorsese, La dernière tentation du Christ (1988), arrêt Nicolo du Conseil d’État affirmant la supériorité du droit international sur le droit national (1989), loi Jean-Claude Gayssot interdisant le révisionnisme (1990), traité de Maëstricht créant une prétendue « citoyenneté européenne » (1992), déclaration de Rio de Janeiro sur le « développement durable » (1992), nouveau code pénal inspiré par Robert Badinter, qui a favorisé l’explosion de la délinquance en consacrant l’individualisation des peines, en créant une responsabilité pénale des personnes morales qui avait vocation à se substituer à celle des personnes physiques, et en abolissant le crime de forfaiture (1994), création de l’OMC; Organisation mondiale du commerce, qui avait pour vocation de faire disparaître les frontières douanières (1995), loi Michel Barnier proclamant le « principe de précaution » (1995), discours du président Jacques Chirac sur le Vél’d’Hiv (1995), distribution gratuite de seringues aux drogués (1995), loi sur le blanchiment, ajoutant cette incrimination générale au recel et à la complicité, et qui a porté atteinte à la liberté financière et au droit de propriété des personnes physiques ou morales en soumettant leurs opérations au bon vouloir des banques (1996), glorification de la victoire d’une équipe de France « black-blanc-beur » à la coupe du monde de balle au pied (1998), suppression de la monnaie nationale française, le franc, remplacée par une monnaie européenne, l’euro (1999), abrogation par le parlement des États-Unis de la loi Glass-Steagall, mesure qui a ouvert la voie à la spéculation en faisant disparaître la barrière établie par cette loi entre les banques de dépôt et les banques d’affaires (1999), en France, institution du PACS, pacte civil de solidarité (1999), loi sur la parité (2000), loi Christiane Taubira qualifiant l’esclavage de « crime contre l’humanité » (2001), suppression à l’initiative de Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, de la prétendue « double peine » (2003), charte de l’environnement (2004), traité de Lisbonne sur l’Union européenne (2007), parmi tant d’autres du même acabit, mise en scène dégénérée due à Günter Kramer de la Walkyrie de Richard Wagner, à l’Opéra de Paris (2010), représentation au Théâtre de la Ville à Paris de la pièce blasphématoire et scatologique de Romeo Castelluci, Sur le concept du visage du fils de Dieu (2011), introduction de la théorie du genre à l’école par Luc Chatel, ministre du président Nicolas Sarkozy (2011), loi Christiane Taubira instituant le mariage homosexuel (2013), profanation de l’église de la Madeleine (2013), attribution du prix Renaudot, dont le jury était présidé par Franz-Olivier Giesbert, au pédophile Gabriel Matzneff pour Séraphin, c’est la fin (2013), hommage rendu au terroriste Nelson Mandela, promoteur de la prétendue « nation arc-en-ciel », par une centaine de chefs d’État ou de gouvernement, dont François Hollande (2013), « plug anal » de la place Vendôme (2014), manifestation de masse au cri de « Je suis Charlie ! » (2015), accord de Paris sur le climat (2015), « salles de shoot » (2016), Simone Veil au Panthéon (2018), pacte de Marrakech sur l’immigration (2018), glorification de la victoire d’une équipe de France composée presque uniquement de congoïdes à la coupe du monde de balle au pied (2018), confinement général de la population (2020), passe sanitaire (2021), Joséphine Baker au Panthéon (2021), soutien sans nuances de la France et de l’Union européenne au président ukrainien, le très cosmopolite Volodymyr Zelensky (2022), voyage pénitentiel effectué par le pape François au Canada pour demander pardon de l’évangélisation des autochtones (2022)…

Comme on le voit, la chronique de la révolution cosmopolite est interminable. La réaction républicaine est la volonté d’effacer toutes ces choses pour les renvoyer dans les poubelles de l’histoire.

Annexe 3 : dissertation sur le cosmopolitisme

suite du commentaire V.7

Logique de l’utopie égalitaire

Comme on ne peut concevoir de rapports sociaux sans une forme quelconque d’inégalité, l’utopie égalitaire signifie en réalité que, dans la société idéale imaginée par la gauche, les inégalités ancrées dans la nature ou dans la tradition auront disparu, remplacées par celles qui résulteront de la nouvelle construction sociale parfaitement rationnelle et qui seront donc légitimes, à la différence des anciennes, lesquelles auront été définitivement abolies. Au sens strict, on devrait donc plutôt parler d’utopie anti-inégalitaire.

Le collectivisme veut absorber les individus dans la collectivité en sorte qu’ils soient égaux, dès lors qu’ils ne seront plus rien. L’utopie égalitaire est ici conçue paradoxalement sur le mode de la caserne, où les seules inégalités qui subsisteront seront purement administratives. Il a abouti au socialisme, lequel s’est radicalisé, d’une part, dans le communisme, d’autre part, dans le fascisme. Si le second a été inventé par l’Italien Benito Mussolini au début du XXe siècle, le premier est beaucoup plus ancien, puisqu’il l’a été par l’Iranien Mazdak au VIe siècle. Le communisme de Platon dans La République était resté purement théorique et n’avait rien d’égalitaire, reposant sur le division de la société en classes fonctionnelles constituées d’individus inégaux par nature. Cependant, avant la révolution de 1789 et surtout la naissance du marxisme au XIXe siècle, le collectivisme a été toujours et partout relégué à la marge de la société, porté seulement par des sectes millénaristes comme les taborites de Bohême ou les anabaptistes de Münster.

Unité du cosmopolitisme

Tout au contraire, le cosmopolitisme, quant à lui, qui vient du fond des âges, puisqu’il fut inventé vers -350 par un philosophe de l’Antiquité grecque, Diogène le cynique, a connu une grande fortune jusqu’à la chute de l’empire romain et à nouveau à partir de la « Renaissance ». Le cosmopolite, qui se dit « citoyen du monde », kosmopolitês en grec, pour n’être citoyen de nulle part, veut détruire les frontières afin d’effacer les identités individuelles et collectives. L’utopie égalitaire est alors conçue sur le mode du carnaval, où les individus seront délivrés des inégalités fondées sur les traditions et les institutions en ayant recouvré la liberté naturelle.

Le cosmopolitisme est un tout qui fait système, bien qu’un auteur particulier puisse n’être que partiellement cosmopolite et bien que les idées aient tendance à s’hybrider, surtout entre les deux pôles de la gauche, puisque, tout antagonistes qu’ils soient, ils ont un socle commun, l’utopie égalitaire. La cité est un tout, avec ses frontières, ses traditions et ses lois. Le cosmopolite rejette la cité en totalité, aussi bien les frontières que les traditions et les lois ; les frontières proprement dites, physiques et extérieures, autant que les frontières morales et intérieures de la cité, qui séparent le bien du mal, le beau du laid, le vrai du faux et, plus généralement, les valeurs des anti-valeurs. Dans le cosmopolitisme, mondialisme et nihilisme sont comme systole et diastole.

Le cosmopolitisme ne justifie pas à proprement parler la « transgression individuelle », expression qui suppose des normes morales à transgresser, c’est un nihilisme qui récuse toutes les valeurs authentiques. La transgression individuelle est sans doute compatible avec le patriotisme, mais non le nihilisme.

Cette unité du cosmopolitisme sous ses deux faces, son envers et son endroit que sont le nihilisme et le mondialisme, est un fait de l’histoire des idées. C’est en outre une nécessité logique. Si l’on rejette l’identité nationale, on n’a aucun motif à être attaché à la souveraineté nationale qui a pour objet de la protéger. Si l’on rejette la souveraineté nationale, c’est qu’on ne se soucie pas de l’identité nationale.

Empire et cosmopolitisme

La généalogie du cosmopolitisme après Diogène est un phénomène vaste et complexe, dont le tableau est impressionnant. Il est indissociable depuis l’origine de l’idéal de l’empire, on peut même dire qu’il est à son principe, comme le montre l’admiration qu’Alexandre le grand, qui avait mal assimilé les leçons de son précepteur Aristote, témoignait à Diogène : « Si je n’étais pas Alexandre, je voudrais être Diogène ». L’empire, imperium en latin, est la forme institutionnelle qui répond à l’idéologie cosmopolitique. C’est en effet une autorité sans attaches qui s’impose aux sociétés particulières en effaçant les frontières qui les séparent et qui a vocation à englober l’humanité entière dans un État mondial. Il est dans l’essence de l’empire de s’opposer à la cité ou à la nation, forme moderne de la cité, autant qu’aux différences ethniques ou raciales. C’est ainsi que le Saint-Empire Romain Germanique avait pris comme patron l’Égyptien saint Maurice et que celui-ci avait fini par être représenté sous les traits d’un congoïde.

L’empire au sens strict n’est pas un simple agglomérat soumis à un seul sceptre, comme le furent les prétendus empires assyrien ou babylonien, l’empire mède fondé par Déjocès qui a précédé l’empire perse achéménide ou comme le seront bien plus tard les « empires coloniaux » de la France et des autres pays occidentaux. C’est une entité politique originale qui demande à tous les peuples qu’elle incorpore de reconnaître son autorité, son imperium, comme légitime, au delà du simple rapport de forces, et qui a vocation à s’étendre à tous les peuples de la terre, justement parce qu’il tient son autorité comme la seule source du pouvoir légitime.

Le premier véritable empire fut l’empire perse achéménide fondé par Cyrus en -550. Alexandre ne l’a pas détruit, il s’en est emparé en en prenant la succession. Mais le zoroastrisme, religion des Grands Rois ou « rois des rois », ne leur avait jamais fourni le corpus idéologique qui aurait pu fonder cette autorité. Cyrus et ses successeurs n’avaient pas la théorie de leur pratique. En revanche, Alexandre, ses successeurs lagides et séleucides, et les empereurs romains à leur suite la trouveront dans le cosmopolitisme du cynisme et du stoïcisme.

Du cynisme au stoïcisme

Diogène le cynique, qui a inventé le cosmopolitisme, lui a attribué d’emblée une formule chimiquement pure. Bien qu’elle ait survécu sous son nom jusqu’à la fin de l’empire romain au Ve siècle ap. J.-C., l’école cynique proprement dite a perdu toute influence après la mort de Diogène et de ses disciples immédiats, et c’est par l’intermédiaire du stoïcisme de Zénon de Citium que le cosmopolitisme a prospéré et qu’il été transmis à la postérité et jusqu’à nous.

Zénon était disciple du cynique Cratès de Thèbes, lui-méme disciple de Diogène. Autant dire que le stoïcisme est en réalité une philosophie jumelle, et même un clone du cynisme. Zénon n’a fait que changer l’enseigne du cynisme, qui était trop lourde à porter. L’adjectif grec « kunikos », qui a donné cynique en français, signifie « canin », « qui se rapporte au chien », kuôn en grec. L’idéal que proclamaient les cyniques était le retour à la nature et ils se vantaient de vivre comme les chiens. Provocateur, Diogène se masturbait en public… On comprend qu’une telle philosophie pouvait difficilement prospérer sous ce nom, du moins dans la bonne société, et qu’il fallait qu’elle prît un déguisement. Elle est donc devenue le « stoïcisme », le stoïcien, « stôikos » en grec, tirant son nom du portique, « stoa », galerie à colonnade, où Zénon enseignait à ses disciples. La référence était nettement plus élégante… Le stoïcisme, c’est le cynisme en tenue de camouflage. La survivance résiduelle d’un cynisme canal historique a permis aux penseurs du stoïcisme d’effacer le souvenir des origines compromettantes de leur école.

À l’origine, la seconde école était tout aussi radicale que la première, qu’elle copiait à l’identique, puisque Zénon faisait notamment l’éloge de l’inceste et du cannibalisme… Mais ses héritiers ont détruit ses ouvrages les plus scandaleux et c’est une version édulcorée, dans laquelle le noyau anti-moral des origines était enveloppé dans une morale universelle désincarnée, tout en gardant son potentiel subversif latent, qu’elle est devenue l’idéologie officielle de l’empire. Presque tous les successeurs d’Alexandre le grand, souverains des dynasties séleucide ou lagide, se déclarèrent stoïciens. Après eux, ce fut celle de l’empire romain, sous Marc Aurèle, surplombant le culte que le peuple continuait à rendre aux dieux.

Le stoïcisme est le plus grand succès de communication de l’histoire de la philosophie. Il faut dire que la réputation des hommes et des idées obéit à la loi de rétroaction positive, par l’effet de l’imitation et du conformisme, en sorte que, plus elle est élevée, plus elle a tendance le devenir, moins il est facile de la contester, plus il est avantageux de l’avaliser. La postérité n’est pas toujours le juge impartial de la réputation que l’on croit, loin de là, il arrive souvent au contraire qu’elle véhicule indéfiniment des idées fausses et qu’elle favorise leur diffusion exponentielle.

Le stoïcisme est devenu synonyme du courage pour supporter le fardeau des malheurs. Mais ce succès repose sur le mensonge et l’hypocrisie. L’indifférence aux coups du sort qui reste la pierre de touche des stoïciens et qu’ils ont hérités de Diogène et de Zénon est une attitude purement égoïste. Ce n’est pas pour rien que l’empereur Marc Aurèle a écrit des « Pensées pour moi-même ». Épictète célèbre l’amitié tout en nous expliquant que nous ne devons pas être affectés le moins du monde par les malheurs qui arrivent à notre ami. Le stoïcien ne doit pas non plus éprouver la moindre peine de la mort de son enfant. Ce que les stoïciens veulent nous faire prendre pour de la vertu n’est qu’une indifférence aux autres qui doit nous éviter la souffrance que pourrait nous causer la compassion ou l’amour que nous leur porterions. Il ne leur est jamais venu à l’idée d’aimer son prochain comme soi-même et cette pensée leur semblait même absurde et farfelue. Mais cela ne les empêchait pas de prêcher hypocritement le principe de l’amour universel ! Les stoïciens se drapaient dans de grands sentiments pour se mettre au dessus du commun des mortels en occultant leur égoïsme foncier. Le stoïcisme est une escroquerie intellectuelle et morale. Il est incroyable que cette éthique en toc lui ait donné jusqu’à nous la plus belle des réputations. Et l’on voit d’où viennent les formules creuses de l’humanitarisme ou de la philanthropie qui sévissent aujourd’hui !

Le soi-disant « citoyen du monde » ne peut avoir une morale authentique puisqu’il renie la tradition et la révélation. C’est pourquoi le stoïcien professe en réalité, derrière la façade en stuc d’un discours prétentieux, un égoïsme et un utilitarisme qui sont aux antipodes de l’honnêteté morale.

En 212, l’édit de Caracalla a conféré la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’empire. Mais, déjà, un siècle plus tôt, le stoïcien Épictète soutenait que l’on ne devait pas dire : « Je suis athénien, ou je suis romain », mais « je suis un citoyen de l’univers ».

Résurgence du stoïcisme et du cosmopolitisme

L’humanisme de la Renaissance, au XVIe siècle, était lourd de tendances cosmopolites. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’on a donné leur nom à l’humanisme, à la Renaissance et au moyen âge, mais ces appellations étaient fort bien trouvées pour traduire les conceptions desdits humanistes. Bien qu’ils n’arrivassent pas à la cheville des grands penseurs de la scolastique médiévale comme saint Thomas d’Aquin ou le bienheureux Jean Duns Scot, et de tant d’autres, ils faisaient profession de mépriser les siècles qui les avaient précédés, marqués selon eux par l’obscurantisme. Ils voulaient rompre avec le passé immédiat, condamné comme un âge sombre, et ils prétendaient faire renaître la civilisation en se réclamant d’un passé lointain idéalisé, l’Antiquité gréco-romaine.

Ce parti pris emportait deux conséquences. Premièrement, une prise de distance avec la religion de leurs pères, puisque ce « moyen âge » ainsi vilipendé avait été la grande époque de la foi et de la pensée chrétiennes. alors que l’Antiquité avait été païenne. Deuxièmement, une rupture avec la tradition, qui n’existe que dans la continuité de la transmission, de génération en génération. L’admiration qu’ils vouaient aux Grecs et aux Romains, dont ils ne descendaient pas, en dehors de l’Italie, leur faisait manquer de respect envers leurs ancêtres. Les conditions étaient ainsi réunies pour une résurgence du cosmopolitisme.

C’était pire pour les humanistes français. Grand lecteur des auteurs antiques, ils ne pouvaient ignorer que les armées romaines de Jules César, « Le Coupé » (les Romains portaient les mêmes surnoms que les gens de la pègre moderne), avaient tué un million d’hommes, de femmes et d’enfants pendant la guerre des Gaules, de -58 à -51, ce qui est l’équivalent de six millions de morts pour la France d’aujourd’hui, six fois plus peuplée. César s’en était vanté lui-même dans La Guerre des Gaules. On voit que l’humanisme des Romains était tout relatif. De plus, une bonne partie des victimes de la barbarie romaine ont laissé après eux des enfants dont descendent les Français actuels, tout autant que ceux du XVIe siècle. Le populicide gaulois (moins courant, ce mot est plus français que « génocide ») était dans l’angle mort des humanistes du XVIe siècle et il l’est resté jusqu’aujourd’hui dans l’histoire officielle. Il est pourtant moralement contestable d’éprouver une sympathie sans bornes pour ceux qui ont exterminé ses ancêtres.

Ce n’est pas forcer de trait que d’accuser les humanistes français d’un double reniement : celui de « nos ancêtres les chrétiens » qui avaient vécu après Clovis, mais aussi celui de « nos ancêtres les Gaulois » qui avaient vécu avant Vercingétorix.

Les humanistes prétendaient aussi découvrir la nature humaine, comme si on les avait attendus pour cela. Il était périlleux de se réclamer de l’« homme » in abstracto, puisque c’était, d’une part, se détourner de Dieu, d’autre part s’affranchir des attaches avec la cité ou la nation, comme si l’on était un « citoyen du monde ».

Le grand historien médiéviste Jacques Heers a écrit un ouvrage magnifique intitulé Pour en finir avec le moyen âge. Le corollaire du théorème de Heers, c’est qu’il faut en finir avec la PRH, la prétendue Renaissance humaniste.

Née au XVIe siècle, la RPR, religion prétendue réformée – comme on l’appellera sous Louis XIV – de l’Allemand Martin Luther et du Français Jean Cauvin, dit Calvin, n’avait en elle-même rien de cosmopolite, au contraire, puisqu’elle a abouti au puritanisme, donc à un puissant renforcement de la contrainte morale ; et aussi au principe pas très catholique, imposé par les circonstances, « cujus regio, ejus religio », qui voulait que les sujets d’un roi adoptassent obligatoirement la même religion que celui-ci, principe qui ajoutait des frontières religieuses aux frontières politiques, à l’encontre du cosmopolitisme, et qui emportait de facto la dislocation du Saint-Empire Romain-Germanique, constituant ainsi les prémices du nationalisme du XIXe siècle. Pourtant, le « sola Scriptura », seulement l’Écriture, le principe du libre examen et le rejet du Magistère de l’Église qu’ils impliquaient sapaient la tradition, au moins dans le domaine de la foi. De plus, en dépit des proclamations anti-juives de Luther, les protestants sont revenus à l’Ancien Testament, la Bible hébraïque – allant même jusqu’à exclure du canon les livres deutérocanoniques parce qu’ils étaient écrits en grec et non en hébreu –, dont ils faisaient souvent une lecture littérale, ce qui a poussé beaucoup d’entre eux à vouloir s’identifier au peuple israélite de l’Antiquité, avec lequel ils n’avaient pourtant aucun lien charnel, et ce qui les amenait, sinon à renier leurs ancêtres, du moins à prendre leurs distances avec eux, en dissociant la culture de la nature.

Refus de l’autorité, perte de la tradition, ces tendances du protestantisme, certes partielles, ont pu faire le lit des idées cosmopolites en créant un état social et un climat intellectuel favorable à la « libre-pensée », aimable dénomination de la pensée subversive, où elle pouvait prospérer. Érasme fut le personnage emblématique de cette liaison paradoxale et clandestine entre protestantisme et cosmopolitisme. Que l’on pense aussi à la protection accordée à Baruch Spinoza et à tant d’autres « libres-penseurs » par les Provinces-Unies des Pays-Bas, fer de lance de la réforme calviniste et simultanément foyer de la subversion de l’Occident lors de ce que Paul Hazard a appelé la « crise de la conscience européenne », au cours de la période cruciale qui va de 1680 à 1715 et qui a consommé la révolution dans les esprits avant qu’elle le fût dans les faits de 1789 à 1815.

Le retour à l’Antiquité gréco-latine s’est donc traduit par une réapparition du stoïcisme, que le christianisme, religion de l’Incarnation, avait relégué aux oubliettes en Occident. Érasme, rendu célèbre par un Éloge de la folie qui, sous couleur de satire, gommait la différence entre le normal et l’anormal, la raison et la déraison, était un « citoyen du monde » qui militait pour la paix universelle en déclarant : « Le monde entier est notre patrie à tous ». Que l’on songe aussi par exemple au « Fais ce que vouldras » de l’abbaye de Thélème imaginée par François Rabelais, maître ès sarcasmes à visée subversive.

L’idéal du retour à la nature qui était resté latent dans le stoïcisme s’est combiné à la théologie de l’hérésiarque Pélage, qui niait le péché originel, pour donner naissance, chez Michel de Montaigne, au « bon sauvage », personnage mythique qui a fait florès. Le même Montaigne écrivait par exemple : « Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul. », formule typique des sarcasmes de désacralisation dont les cosmopolites font aujourd’hui un usage immodéré. Son ami intime Étienne de La Boétie a développé brillamment, dans son Discours de la servitude volontaire, une thèse libertaire en assimilant tout pouvoir à une tyrannie incompatible avec la liberté dont l’homme est censé jouir dans l’état de nature. En Espagne, Michel de Cervantès a tourné en dérision l’idéal de la chevalerie et les valeurs guerrières dans son fameux Don Quichotte.

C’est bien parce que la culture universitaire française est imprégnée d’idéologie cosmopolite qu’elle a porté aux nues ces deux auteurs illisibles que sont Rabelais et Montaigne, en attribuant plus de poids à la puissance subversive des leurs ouvrages qu’à leur qualité littéraire intrinsèque et en ne craignant pas de les mettre au niveau de ces géants des lettres que furent les grands auteurs classiques, tels Racine ou Pascal, dans un éclectisme absurde.

Le retour à la nature a aussi inspiré l’axiome « Deus sive natura » (Dieu, c’est-à-dire la nature) énoncé un siècle plus tard par Baruch Spinoza, panthéiste et professeur d’immoralité

Le stoïcisme a inspiré le jus gentium, « droit des gens » (des nations), lequel fut à l’origine des « droits de l’homme » et du « droit international ». Aux XVIe et XVIIe siècles, le droit des gens a abouti à la théorie du « droit naturel » moderne, coupé de la tradition, inventée par les dominicains et les jésuites espagnols de l’école de Salamanque (Francisco de Vitoria, Francisco Suárez…) et reprise par Hugo De Groot, dit Grotius, ainsi que par Samuel von Pufendorf.

Au XVIIIe siècle, Charles-Irénée, abbé de Saint-Pierre, proposa, dans son Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, une fédération européenne qui effacerait les nations. Le cosmopolitisme s’est aussi nourri de la théorie de l’état de nature de John Locke et il a été célébré par les idéologues de la révolution, les soi-disant « Lumières » françaises comme Voltaire, avec la caution du philosophe allemand Emmanuel Kant, auteur en 1784 d’une dissertation intitulée Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitiqueweltbürgerlicher »).

Marginalisation du cosmopolitisme

C’est pourtant le collectivisme de Jean-Jacques Rousseau, théoricien du contrat social et de la volonté générale, qui l’a emporté dans un premier temps lors de la révolution de 1789, laquelle a instauré une tyrannie jacobine, avec sa Terreur et ses Colonnes Infernales, avant que Karl Marx prenne le relais au XIXe siècle et que ses idées communistes finissent par s’imposer dans le sang à la moitié du monde au cours du XXe siècle.

Au XIXe siècle, l’essor concomitant du nationalisme, du socialisme et du libéralisme laissait peu de champ au cosmopolitisme. Le nationalisme lui était opposé par définition. Le socialisme aussi, dans son principe, quoique le fonds commun qu’il partageait avec lui comportât des virtualités d’hybridation qui se sont surtout manifestées au siècle suivant dans la social-démocratie, laquelle était aussi mâtinée de libéralisme.

Le cas de celui-ci est plus complexe. Dans son principe, le libéralisme n’est pas cosmopolite puisqu’il défend la liberté individuelle, laquelle est héritée de la tradition, avec le droit de propriété. Il en résulte, primo, qu’il légitime de grandes inégalités, ce qui rend difficile de le ramener à une expression de l’utopie égalitaire, secundo, qu’il se rattache au moins en partie à la tradition, tertio, qu’il défend des valeurs authentiques et qu’il n’est donc nullement nihiliste. De plus, les libéraux sont fondamentalement pour la concurrence des États et ne sauraient donc se rallier à l’idéal utopique d’un État mondial.

Pour autant, il est vrai que le libéralisme classique en tient pour la liberté absolue des échanges, qu’il s’oppose à toute forme de barrières douanières et de protectionnisme, et que c’est un point de convergence avec le cosmopolitisme.

Le national-libéralisme, qui peut se réclamer de Frédéric List, ne tombe pas dans ce travers.

Le courant libéral est très divers. Friedrich-August von Hayek, après Edmund Burke, se réclamait de la tradition et il est allé jusqu’à dire que le libéralisme était plutôt un « familialisme » qu’un individualisme.

En revanche, le courant qui mène de Ludwig von Mises aux « libertariens » tels que Murray Rothbard et Aynd Rand est essentiellement cosmopolite dans son ensemble, à quelques exceptions près cependant, comme Hans-Hermann Hoppe.

Il faut se souvenir qu’aux États-Unis le mot « liberalism » est à peu près synonyme de gauche et n’a rien à voir avec le libéralisme au sens français du terme. De plus, c’est une dérive sémantique qui consiste à parler de « libéraux-libertaires » pour désigner un courant qui fait partie de la mouvance cosmopolite et qui n’a rien à voir avec le libéralisme proprement dit.

Si le collectivisme est anticosmopolite, il ne peut jamais être vraiment nationaliste en raison de son socle idéologique, qui est l’utopie égalitaire. Réciproquement, si le cosmopolitisme est en effet anti-collectiviste, il ne peut jamais être vraiment libéral, pour la même raison. Liberté et propriété sont des moyens d’expression de l’identité des individus et elles sont donc dans leur essence contraires au dogme anti-identitaire qui constitue le cosmopolitisme.

Permanence du courant cosmopolite

Les idées cosmopolites n’avaient pas pour autant disparu au XIXe siècle. Elles s’étaient réfugiées dans l’art et la littérature, où elles ont été illustrées par Victor Hugo, adversaire de la peine de mort et partisan des États-Unis d’Europe, par Charles Baudelaire, tenté par l’inceste et par la drogue, en Allemagne par Heinrich Heine, qui se voulait le champion du cosmopolitisme et prophétisait son avènement, et par une bonne partie des auteurs romantiques, portés sur les « fleurs du mal », le culte de Satan et les fantasmes de la gnose, bien que ce courant sentimental fût hétérogène et qu’il eût simultanément, chez d’autres auteurs, arboré les couleurs du nationalisme et appelé à la renaissance nationale des peuples d’Occident.

L’impressionnisme, sous-art qui a affranchi la peinture des règles classiques sans en édicter d’autres, a ouvert la voie à toutes les dérives, tant il est vrai que la beauté, dans l’art, naît du sentiment de la difficulté surmontée. Ce fut ensuite le cubisme de Pablo Picasso, l’expressionnisme d’Ernst Nolte ou de Vassily Kandinsky, et l’art dégénéré en général, dit « art moderne », dérision de l’art, anti-art qui érige la laideur en beauté. Le non-art dégénéré dit « art contemporain », prétendu « art conceptuel » qui fait litière de la beauté et se complaît dans le ridicule ou dans l’immonde, depuis Marcel Duchamp et son « ready-made » (objet manufacturé), qui a fait pour les gogos d’un urinoir une œuvre d’art, et ses nombreux successeurs, jusqu’à Jeff Koons ou Paul McCarthy.

Ce fut encore la musique dégénérée aux prétentions intellectuelles, atonale, « dodécaphonique » ou « sérielle », d’Arnold Schoenberg, Alban Berg, Anton von Webern, Karlheinz Stockhausen et Pierre Boulez.

De même, dans un autre domaine, « l’architecture fonctionnelle » a éliminé la beauté au nom de l’utilité, avec la Charte d’Athènes de Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier, qui a eu une immense postérité.

On n’oubliera pas le dadaïsme de Samuel Rosenstock, dit Tristan Tzara, le surréalisme d’André Breton, la célébration des arts primitifs ou « premiers », d’André Breton à André Malraux et Jacques Chirac.

Le phénomène de loin le plus destructeur, cependant, fut la vogue de la danse et de la musique nègres popularisées par Joséphine Baker ou Louis Armstrong et qui a été suivie, une génération après, par la quasi-élimination de la variété française, remplacée par le « rock and roll » et ses succédanés, sachant que la musique nègre importée des États-Unis d’Amérique, qui est centrée sur le rythme, est obscène de part en part et qu’elle déstructure la personnalité en affranchissant le cerveau reptilien de la tutelle des deux cerveaux supérieurs, selon l’analyse de Paul MacLean.

Hybris de la raison

Les idées cosmopolites sont toujours restées prégnantes dans la pensée philosophique, sous l’aura du stoïcisme, autant du moins que le christianisme, religion de l’Incarnation, n’a pas tenue celle-ci en tutelle. Depuis la « Renaissance », le virus du cosmopolitisme imprègne la philosophie occidentale, qui est infectée par l’hybris de la raison, coupée de la tradition, de la religion et de la révélation, et par là-même des postulats légitimes qui découlent de celles-ci.

On peut suivre le fil conducteur qui mène de Diogène à Kant. Le philosophe a tendance à se juger infiniment supérieur au vulgum pecus, qui est, à ses yeux, dépourvu d’intelligence et bourré de préjugés contraires à la raison. Il est donc tenté de céder aux vertiges du cosmopolitisme, de se considérer comme un « citoyen du monde » en s’exonérant des devoirs et des traditions de la cité, quand il refuse que la philosophie soit ancilla theologiae, servante de la théologie, et quand il ne veut pas reconnaître, avec Edmund Burke, qu’il y a des préjugés légitimes et que la raison livrée à elle-même devient folle si elle travestit ses postulats pour en faire de fallacieuses évidences.

Le vertige de la raison propre à la philosophie, depuis qu’elle s’est séparée de la religion chez les Grecs de l’Ionie, sujets de l’empire perse achéménide au VIe av. J.-C., peut conduire à la gnose. Mot qui vient du grec gnôsis, connaissance, employé ici de manière inhabituelle sans génitif, non pas connaissance de quelque chose, mais connaissance en soi, pour désigner un savoir absolu, dont la possession serait la condition nécessaire et suffisante pour accéder au salut, et qui est opposé à pistis, la foi, laquelle implique la volonté d’accepter une croyance révélée. La gnose, née sous l’influence du zoroastrisme, mais détachée de celui-ci, a été l’aiguillon d’un courant philosophique qui a entretenu une aspiration récurrente au cosmopolitisme. Après les cathares, la France a connu les Frères du libre esprit, les Rose-Croix, enfin les hauts grades de la franc-maçonnerie, véhicules de la gnose dont il ne faut pas sous-estimer l’influence.

Les ténors de la subversion masquée

Le saint-simonisme, doctrine de Claude-Henri de Saint-Simon, est à l’origine du socialisme, mais il avait des aspects cosmopolites, puisque son fondateur réclamait la formation d’une fédération européenne et que, pour lui, le progrès de l’industrie devait avoir pour effet d’effacer les frontières entre les peuples. Son disciple Auguste Comte, fondateur du « positivisme », a voulu être le prophète d’une « religion de l’humanité », sans acception de peuple ou de nation. La « philanthropie » dont ils se réclamaient l’un et l’autre a servi ensuite d’étiquette commode, jusqu’à nos jours, pour travestir les idées cosmopolites sous le manteau de la compassion universelle.

Sont venus ensuite deux ténors de la subversion masquée, dont la qualité littéraire a fait croire à la qualité philosophique et dont la valeur intrinsèque est inversement proportionnelle à la réputation ; ce furent Frédéric Nietzsche et Henri Bergson, né Bereksohn, au demeurant fort différents l’un de l’autre. Le premier, Nietzsche, a professé paradoxalement, dans le fracas d’un discours grandiloquent et captieux sur la « volonté de puissance » et le « surhomme », un nihilisme radical qui conduisait à la négation de la tradition, de la religion et de toutes les valeurs. Le second, Bergson, a distillé les idées cosmopolites dans un discours superficiel et séduisant, anti-scientifique et sentimental, sur un imaginaire « élan vital », pour alimenter la propagande pacifiste et appeler à une « morale ouverte » (sic), en vue de la création d’une humanité nouvelle au sein de laquelle les anciens peuples se seraient noyés, ainsi qu’à une « société ouverte » régie par le droit naturel, débarrassée des traditions et dépourvue d’identité, afin d’en finir avec les sociétés particulières, ce qui a fourni un socle doctrinal à la création de la SDN (Société des nations) prévue par le président des États-Unis Woodrow Wilson dans ses « quatorze points », embryon de l’État mondial dont rêvent les cosmopolites, soi-disant « citoyens du monde ».

Progressisme et cosmopolitisme

La notion de progrès n’avait à l’origine pas le moindre rapport avec le cosmopolitisme. Le rêve de l’état de nature et l’apologie du bon sauvage s’y opposaient. La « révolution » réclamée par les cosmopolites devait donc trouver pour eux son sens premier, soit le retour à l’état originel, encore que celui-ci fût imaginaire et que ce retour fût utopique. Mais, au XIXe siècle, le progrès scientifique, technique, industriel et économique devint tel que seuls des esprits passéistes et bornés pouvaient encore en nier l’étendue et les avantages. On pourrait appeler justement « progressisme » la croyance naïve que le progrès matériel, conjugué à celui des connaissances, entraînerait nécessairement le progrès moral et spirituel de l’homme, celui des lettres et des arts, de la culture et de la civilisation. Ainsi défini, le progressisme n’a rien à voir avec la gauche en général ni avec le cosmopolitisme en particulier. Mais les forces idéologiques ont une stratégie et s’emploient à accaparer des thèmes porteurs pour séduire les masses. Le marxisme a donc inventé un « sens de l’histoire », déterminisme historique qui devait conduire inéluctablement à la victoire du communisme, à la société sans classes et au dépérissement de l’État. On sait ce qui est advenu. Les cosmopolites, à leur tour, se réclament de ce prétendu sens de l’histoire en lui donnant un aboutissement différent.

C’est ainsi que le progressisme est devenu synonyme de gauche, d’autant plus aisément qu’une bonne partie de la droite renâclait bêtement à reconnaître l’évidence et les bienfaits du progrès. Les réactionnaires ne sont pas tous républicains. Initialement, on a donc appelé « progressistes » les gens de gauche qui n’adhéraient pas ouvertement au communisme, mais qui en étaient proches, autrement dit les « compagnons de route ». Aujourd’hui, le progressisme est devenu un terme de propagande pour désigner la mouvance cosmopolite. L’argument sous-jacent est que le progrès moral de l’humanité qui doit nécessairement s’accomplir, malgré les résistances des hommes du passé qui constituent la droite et l’extrême droite, impliquerait l’effacement des traditions et des frontières, la consolidation d’un « État de droit » qui garantirait la « non-discrimination » comme faisant partie des « droits de l’homme, et la constitution d’une « gouvernance mondiale ».

De même que l’expression « citoyen du monde » est une subreption dans les termes, puisqu’on ne peut être citoyen que d’une cité, qu’il n’y a pas de cité sans frontières et que le monde n’est donc pas une cité, puisqu’il n’a pas de frontières, le projet utopique de « gouvernement mondial » ou d’« État mondial » est essentiellement négatif et vise en réalité à réduire à néant les États particuliers qui représentent une nation, homologue moderne de la cité antique, remplacés par un « État de droit » (Rechtsstaat) où le pouvoir est exercé par les juges et les techniciens, les hommes politiques étant cantonnés dans un rôle de figuration, sous la tutelle de la superstructure mondiale, qui dicte ses politiques et ses lois, par exemple avec l’OMS ou le GIEC.

Victoire métapolitique du cosmopolitisme

Ces idées avaient aussi continué leur chemin dans la philosophie du droit, avec le concept de Rechtsstaat, ou « État de droit », développé par les jurisconsultes allemands du XIXe siècle, qui, sous prétexte de protéger la liberté individuelle, évacuait la souveraineté nationale au profit du gouvernement des juges et d’une théocratie laïcisée sans frontières.

Mais encore, en lisière de la vie politique, avec l’« abolitionnisme » de Victor Schoelcher – lequel, au lieu d’une évolution calme et progressive vers la libération de tous, exigeait une rupture brutale qui a partout entraîné une catastrophe économique et sociale dont les esclaves affranchis ont été les premières victimes –, préfiguration du « mouvement des droits civiques » de Martin Luther King aux États-Unis et de la « révolution arc-en-ciel » de Nelson Mandela en Afrique du sud.

Et aussi dans la vie religieuse, avec la théologie moderniste d’Alfred Loisy, qui a ouvert une brèche dans l’autorité du Magistère et de la tradition en général, la théologie crypto-panthéiste de la « noosphère » et du « point Oméga » conçue par le père jésuite Pierre Teilhard de Chardin, puis le concile Vatican II (1965) et la réforme liturgique du pape Paul VI (1969), qui ont consacré le rejet de la tradition et la promotion du relativisme au sein de l’Église catholique au nom de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux.

Le mouvement pacifiste, bien qu’il fût instrumentalisé par les communistes, a lui aussi posé les bases de la future victoire métapolitique du cosmopolitisme, qui devait se substituer à l’« internationalisme » de Marx, lequel consacrait en réalité l’existence des nations, ainsi que Joseph Staline l’avait bien compris et comme l’avait montré la formation de l’URSS.

L’idéal de la « construction européenne » propagé par Richard Coudenhove-Kalergi et Jean Monnet a fortement contribué, après la seconde guerre mondiale, à miner le sentiment nationale et l’amour de la patrie, faisant ainsi le lit du cosmopolitisme. Aujourd’hui, l’Union européenne est devenue une machine à imposer l’ordre cosmopolite aux pays membres, comme l’a prouvé éloquemment la réaction des institutions européennes contre la loi hongroise qui interdit de faire de la propagande homosexuelle aux enfants.

Le facteur le plus important fut cependant le récit manichéen de l’histoire de la seconde guerre mondiale, présentée comme la victoire du Bien sur le Mal, avec la diabolisation d’Adolf Hitler, du racisme, du « nazisme » et du fascisme en général, complétée par l’amalgame de ces courants de la gauche révolutionnaire avec la droite ou l’extrême droite et l’institution de la religion de la Choah, religion officielle protégée aujourd’hui en France contre l’hérésie et le blasphème par la loi Gayssot (1990).

Révolution cosmopolite

Le cosmopolitisme a supplanté l’idéologie de Karl Marx, le marxisme, forme moderne du collectivisme, après la révolution de 1968, quand la gauche a basculé du second vers le premier. Ce bouleversement intellectuel et politique a été préparé par l’influence de la psychanalyse de Sigmund Freud, de l’anthropologie relativiste de Franz Boas, de la théorie pure du droit de Hans Kelsen, du structuralisme de Claude Lévi-Strauss.

Il a été préparé aussi par l’« individualisme méthodologique » de Joseph Schumpeter, héritier du nominalisme de Guillaume d’Ockham et qui, s’il n’est pas la simple évidence que la société est une collection d’individus, signifie que les phénomènes sociaux ne doivent pas être considérés en eux-mêmes, comme des structures ou des systèmes, ce qui peut s’appliquer à la rigueur dans certains domaines, notamment en économie, avec la théorie de l’équilibre général, mais qui ne saurait être étendu à tous, ainsi que l’existence de la linguistique comme discipline scientifique suffirait à le démontrer .

Il a été préparé encore par l’essor de courants sociaux comme le mouvement « hippie » ou le mouvement « New Age » (Nouvel Âge), par la vogue des spiritualités exotiques, par la montée en puissance de nouvelles thématiques comme l’autogestion et l’écologie.

Enfin, par des formes transitoires entre les deux pôles de la gauche, collectivisme et cosmopolitisme, comme le « socialisme autogestionnaire », de Josip Broz Tito à Edmond Maire et Benny Lévy, comme le « marxisme culturel » de l’école de Francfort, avec Max Horkheimer, Theodor Adorno, Herbert Marcuse et Jürgen Habermas, promoteur d’un « patriotisme constitutionnel » qui est la négation du patriotisme authentique, le « situationnisme » et le « conseillisme » de Guy Debord, ou comme l’« écologie sociale » et le « communalisme » de Murray Bookchin, comme l’écologisme « pastèque », vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur, qui a permis la reconversion des marxistes extrémistes d’obédience trostkiste, orphelins de la « dictature du prolétariat »…

Le cosmopolitisme, idéologie dominante mondiale

Le cosmopolitisme est devenu l’idéologie dominante mondiale en intégrant notamment l’écologisme, le féminisme et l’homosexualisme comme des composantes de son système de pensée et en s’appuyant aujourd’hui philosophiquement sur l’existentialisme de Jean-Paul Sartre et sur le déconstructionnisme de Jacques Derrida, nouveaux Diogène qui, avec le renfort de quelques autres auteurs français comme Gilles Deleuze ou Michel Foucault, ont donné naissance aux États-Unis à la « French Theory » (Théorie Française), dont dérivent des formes radicalisées comme la « théorie du genre » de Judith Butler, la « Justice sociale critique », le « wokisme » (mouvement de l’éveil), la « cancel culture » (mouvance de l’anathème) et le « décolonialisme », diffusées et imposées non seulement par des universitaires, mais aussi par des groupes violents d’extrême gauche tels que les « Black Blocks », les « No Borders » (sans frontières) ou les « Antifas » (soi-disant antifascistes, alors qu’ils combattent la droite).

La doctrine de Sartre, pour laquelle « l’existence précède l’essence », a donné enfin au vieux cosmopolitisme de Diogène et Zénon la métaphysique dont il avait toujours manqué. En dotant l’individu d’une liberté inconditionnée, Jean-Paul Sartre allait à l’encontre de la doctrine de Karl Marx, pour qui « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est au contraire leur être social qui détermine leur conscience ». Le philosophe marxiste George Lukács en a conclu à bon droit que l’existentialisme était incompatible avec le marxisme. Et, en effet, ils campent sur les deux versants opposés de l’utopie égalitaire.

Existentialisme et déconstructionnisme ont été appuyés par un foisonnement de théories adjacentes, qui aboutissent au cosmopolitisme par des voies diverses, telles que la « société ouverte » de Karl Popper, à cet égard disciple de Bergson, concept popularisé par George Soros, le « postmodernisme » de Jean-François Lyotard, le « convivialisme » d’Ivan Illich, le « principe de responsabilité » de Hans Jonas, l’« écologie profonde » d’Arne Næss, l’« hypothèse Gaïa » de James Lovelock, qui prend la Terre pour un être vivant, l’« égoïsme rationnel » d’Alissa Rosenbaum, dite Ayn Rand, papesse des « libertariens », qui rivalisait dans ce rôle avec Murray Rothbard, la « créolisation » d’Edouard Glissant chère à Jean-Luc Mélenchon, ou encore la « défense sociale nouvelle » de Marc Ancel, qui voulait rééduquer le criminel au lieu de le punir… et surtout la religion de la Shoah de Claude Lanzmann, qui fut lui-même proche de Jean-Paul Sartre et de son égérie Simone de Beauvoir, religion nouvelle qui surplombe le christianisme, religion du Golgotha, depuis que le pape Jean-Paul II a ordonné aux carmélites de déguerpir du camp d’Auschwitz pour aller prier ailleurs.

Le tout forme une constellation idéologique qui, en dépit de sa diversité apparente et de ses réelles contradictions internes, provient en dernière analyse d’une seule et même source, qui n’est autre que la pensée de Diogène le cynique et son idée centrale d’abolir les lois et traditions de la cité, en même temps que les frontières de toute nature. Le cosmopolitisme a beau être multiforme, il est un dans son essence. On peut écrire à son propos : au commencement était la parole de Diogène.

Pour autant, on ne doit pas sous-estimer les contradictions du cosmopolitisme et surtout celles de la mouvance idéologique qui en est issue. Elles résultent essentiellement du fait que la cible est l’homme occidental de race caucasoïde et de sexe masculin. Ainsi, premièrement, la sympathie de principe des « islamo-gauchistes » pour les immigrés mahométans leur fait accepter bien des pratiques, par exemple le voile imposé aux femmes, qui heurtent l’égalitarisme et le féminisme des cosmopolites orthodoxes. Deuxièmement, l’exaltation de la race, en fait essentiellement de la race congoïde, par haine des caucasoïdes, ou celle des minorités ethniques, qui se dressent contre la majorité de culture occidentale, sont contraires à la négation de l’identité individuelle ou collective qui est le fond de la pensée cosmopolite. Où l’on voit que la praxis de l’idéologie cosmopolite s’accorde mal avec sa théorie.

Conditions sociales et économiques de l’avènement du cosmopolitisme

Si le mouvement des idées n’est nullement réductible à celui des conditions sociales et économiques, il va de soi qu’il n’en est pas indépendant et surtout ques les idées ne peuvent agir en infusant dans les masses que lorsque les conditions en sont réunies. C’est pourquoi l’essor du cosmopolitisme à l’époque de la PRH a été pour ainsi dire sans effet avant le XIXe siècle et n’a connu sa consécration qu’après la révolution de 1968 en France et dans le monde. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas la mondialisation qui est la cause du mondialisme en particulier ni du cosmopolitisme en général, la meilleure preuve en étant que l’essor des nationalismes a été postérieur aux grandes découvertes des Portugais et des Espagnols. C’est au contraire la proximité territoriale des races, peuples, ethnies ou communautés qui renforce le sentiment identitaire de chacune d’entre elles et peut conduire à des conflits sanglants, comme au Liban en 1975 ou en Yougoslavie en 1992.

Cependant, la poussée des idées cosmopolites dans la seconde moitié du XXe siècle a donné un résultat inédit : la formation de la superclasse mondiale (SCM), ainsi que l’a nommée Samuel Huntington. Cette classe sociale anationale est d’un type nouveau, bien que la « finance apatride et vagabonde » dont on parlait un siècle avant en ait été le germe. La mondialisation était nécessaire à la naissance de la SCM, mais c’est le cosmopolitisme qui lui a permis de se constituer et ici, contrairement aux fantasmes marxistes, c’est bien la « superstructure », le monde des idées, qui a changé la société, et non l’inverse. Ensuite, par un effet de rétroaction positive, la SCM est devenue le principal agent de la domination de l’idéologie cosmopolite. Son bras séculier est la superstructure mondiale, immense galaxie d’organisations dites abusivement « internationales » et de leurs satellites que sont les innombrables ONG, organisations « non gouvernementales ».

Dans chaque pays, la SCM est représentée par un groupe cosmopolite qui s’emploie à devenir oligarchie, c’est-à-dire à confisquer le pouvoir en lui conservant les apparences trompeuses de la démocratie. L’oligarchie cosmopolite tient les media par l’argent et impose sa doxa par l’endoctrinement des masses. Elle a de nombreux relais. Par exemple, sur le mode mineur, quantité de comiques, souvent talentueux, comme Guy Bedos, et de chanteurs de variétés, comme Serge Gainsbourg ou Michel Polnareff, qui l’étaient moins, ont vulgarisé les idées cosmopolites et n’ont pas peu contribué à l’aliénation des masses, qui est la condition de leur soumission à l’oligarchie.

Si l’on peut affirmer, en schématisant, que le libéralisme est l’idéologie pour ainsi dire « naturelle » des commerçants et des industriels, le cosmopolitisme est l’idéologie naturelle des financiers. Au départ, le face-à-face entre le prêteur et l’emprunteur est un échange personnel concret, mais la finance n’a cessé d’aller vers toujours plus d’abstraction : titrisation des dettes, dématérialisation des titres, actions au porteur des sociétés « anonymes », développement exponentiel des marchés financiers ; il est loin le temps où, dans la Bourse du Palais Brongniart, à Paris, les agents de change criaient : « Je prends ». D’ailleurs, il n’y a plus d’agents de change. Jean-Charles Naouri les a liquidés au nom du progrès. L’économie mondiale est devenue cet immense casino que dénonçait le grand économiste français Maurice Allais, prix Nobel de science économique.

Le paysan qui est propriétaire d’un champ, le rentier qui est propriétaire d’un immeuble, l’industriel qui est propriétaire d’une usine ou le commerçant qui est propriétaire d’un magasin ont un rapport avec un actif matériel bien localisé dans l’espace, dont ils tirent leur revenu. Le financier qui est propriétaire d’un actif immatériel pendant un laps de temps qui peut être inférieur à une seconde, dont la vie professionnelle est tournée vers la spéculation, ne trouve rien dans son métier qui l’attache à un lieu déterminé et encore moins à une patrie. Il parle anglais à longueur de temps et n’échange que par Internet avec des individus de tous pays et de toutes origines auxquels il est lié par une communauté d’intérêts. La finance est le centre névralgique de la superclasse mondiale.

Remarques

1. Le panorama du courant cosmopolite de Diogène à nos jours est si vaste qu’il peut sembler désespérant. On pourrait s’imaginer qu’il ne laisse pas de place dans le champ des idées occidentales pour une pensée anti-égalitaire, anticosmopolite, nationale, libérale et identitaire. Ce serait une lourde erreur. D’abord, bien sûr, parce que le christianisme occidental, hormis des hérésies marginales, est la religion de l’Incarnation et que son universalisme est résolument anticosmopolite. De ce fait, l’importance pratique du cosmopolitisme a toujours été en Occident, avant le XXe siècle, en proportion inverse de la place impressionnante qu’il avait acquis dans la théorie.

De plus, il va sans dire que Michel de Montaigne ou François Rabelais, que l’université a porté aux nues, sont pourtant fort inférieurs à tous égards à Blaise Pascal, à Jean Racine et aux autres grand auteurs classiques du siècle suivant, qui ont fait un bien meilleur usage de la culture antique. Au XIXe siècle, non seulement la tentative de Victor Hugo de rivaliser avec Racine ou Corneille a été un fiasco, mais, pour ce qu’il est de la prose, il n’est pas non plus l’égal de ses contemporains Joseph de Maistre ou François-René de Chateaubriand.

Ensuite, l’on peut citer de nombreux penseurs importants qui se situent à l’opposé du cosmopolitisme et qui l’ont toujours emporté intellectuellement sur les promoteurs de celui-ci. Aux sept principaux philosophes qui ont défendu le cosmopolitisme ou qui lui ont au moins ouvert la voie, qui furent Diogène le cynique, Pélage de Bretagne, Guillaume d’Ockham, Baruch Spinoza, Emmanuel Kant, Frédéric Nietzsche et Jean-Paul Sartre, on peut opposer sept immenses penseurs qui ont affirmé la primauté de la volonté et montré la nature de l’identité : Aristote le Stagirite, saint Augustin d’Hippone, le bienheureux Jean Duns Scot, René Descartes, Guillaume Leibniz, Arthur Schopenhauer et Martin Heidegger.

Aux nombreux auteurs cosmopolites ou semi-cosmopolites cités ci-dessus, on peut opposer les sept maîtres à penser du national-libéralisme : Edmund Burke, Gustave Le Bon, Vilfredo Pareto, Carl Schmitt, Konrad Lorenz, Friedrich-August von Hayek et Julien Freund. On pourrait allonger la liste en ajoutant notamment Hippolyte Taine et Maurice Barrès, autres penseurs considérables.

En outre, les progrès de la science, en dépit des contre-feux allumés par le lyssenkisme et la pseudo-science, ont fait définitivement justice des mythes, des illusions et des mensonges qui sont inhérents à l’égalitarisme de la gauche sous toutes ses formes et au cosmopolitisme en particulier. Ils ont démontré que l’égalité n’était pas dans la nature, que l’identité de l’homme et celle de la société découlaient de leur fonds génétique et que la culture des nations occidentales avait une lointaine origine indo-européenne. Dans le domaine de la biologie, à la liste des glorieux anciens que furent Carl von Linné, Jean-Baptiste de Lamarck, Alfred Wallace, Charles Darwin, Grégoire Mendel, Hugo De Vries, Ronald Fisher…, on ajoutera d’autres noms fameux : Konrad Lorenz, Cyril Darlington, Carleton Coon, Jacques Monod, James Watson, Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Edward Wilson, Richard Dawkins… Dans le domaine de la psychologie, on citera Cyril Burt, William Shockley, Hans Eysenck, Pierre Debray-Ritzen, Arthur Jensen, Richard Lynn, John Philippe Rushton… Pour les études indo-européennes et l’histoire des religions, Georges Dumézil, André Dupont-Sommer, Geo Windengren, Jacques Duchesne-Guillemin, Marija Gimbutas, Jean Haudry…

2. Il est regrettable que la plupart des gens de la droite nationale ou populiste s’abstiennent encore d’appeler par son nom le cosmopolitisme qu’ils combattent, soit qu’ils ignorent le nom, soit qu’ils l’évitent. Ils disent à la place mondialisme, multiculturalisme, progressisme, droits-de-l’hommisme, libéralisme libertaire, ultra-libéralisme (sic) et plus récemment wokisme… ; c’est un festival d’approximations ou de contresens. Cette inintelligence du phénomène cosmopolite a de graves conséquences politiques, surtout en France, où les deux pôles de la gauche sont représentées par deux formations opposées, parrainées en 2022, l’une par Jean-Luc Mélenchon, plutôt collectiviste, l’autre par Emmanuel Macron, parfaitement cosmopolite. En réservant le nom de gauche à la première, ou en prétendant que le clivage droite-gauche a disparu, on méconnaît le fait que celui-ci s’est simplement métamorphosé et l’on risque de se fourvoyer dans de mauvaises stratégies politiques.

Il est vrai que les cosmopolites ont rarement la franchise de combattre sous leur bannière. Ils préfèrent presque toujours se réclamer de formules incapacitantes, comme l’antiracisme, la diversité, le vivre-ensemble, les droits de l’homme, le refus de l’exclusion, l’inclusion, la non-discrimination… Il y a quand même eu de notables exceptions. Jacques Derrida a signé un manifeste sans ambiguïtés : « Cosmopolites de tous les pays, encore un effort ! » ; Guy Scarpetta, un « Éloge du cosmopolitisme » ; Ulrich Beck, dans « Qu’est-ce que le cosmopolitisme ? », a fait l’apologie dudit concept, en se réclamant de Kant et de sa dissertation Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique. Bernard-Henri Lévy et Daniel Cohn-Bendit se sont eux aussi ouvertement réclamés du cosmopolitisme.

Il est pourtant nécessaire de désigner l’ennemi par son nom. Si l’on parle de « l’idéologie arc-en-ciel » ou de la « révolution arc-en-ciel » avec Martin Peltier, on manque de mot pour désigner ses partisans, on emprunte au vocabulaire de l’ennemi une expression valorisante, et surtout on présente ladite idéologie comme un phénomène moderne, en coupant, si l’on ose dire, le cosmopolitisme de ses racines. Si l’on parle de « mondialisme », on oublie la moitié de l’idéologie cosmopolitique, qui est également nihiliste, s’attaquant tout autant aux frontières intérieures et morales entre les valeurs et les anti-valeurs qu’aux frontières extérieures et physiques entre les peuples.

Beaucoup n’osent pas dénoncer le cosmopolitisme par crainte d’être traités d’« antisémites ». Sur le fond, cet amalgame n’est pas sérieux. Diogène n’était pas juif et les Israélites n’ont joué aucun rôle, à l’exception notable de Spinoza, dans la diffusion des idées cosmopolites avant le XIXe siècle. Certes, aujourd’hui, de nombreux Juifs défendent ces idées et plusieurs s’en réclament ouvertement, on l’a vu, comme Bernard-Henri Lévy ou Daniel Cohn-Bendit, oubliant en général de les appliquer au cas du sionisme, le nationalisme israélien. Mais cela ne change rien au fait que le cosmopolitisme n’a strictement rien à voir dans son principe avec la haine envers les Juifs. Et quel que soit le rôle incontestable que jouent aujourd’hui de nombreux Israélites, comme George Soros, dans la promotion des idées cosmopolites, il ne faut pas oublier que le sionisme est un nationalisme et qu’il est donc intrinsèquement anticosmopolite.

L’opposition entre les deux pôles antagonistes de la gauche est profonde. L’internationalisme de Marx n’est pas un cosmopolitisme. Joseph Staline, son fidèle disciple, a écrit en 1913 un livre intitulé « Le marxisme et la question nationale » qu’un nationaliste pourrait presque signer. Et, s’il a combattu le cosmopolitisme, ce n’était nullement par hostilité aux Juifs ou « antisémitisme », mais bien parce que le marxisme, étant collectiviste, était nécessairement anticosmopolite et en outre, concrètement, qu’il ne pouvait pas accepter que des Juifs soviétiques entretinssent une double allégeance après la création de l’Etat d’Israël en 1948.

Le prétendu « antisémitisme » de Staline est un bobard forgé par les trotskystes, qui étaient presque tous juifs comme Trotsky lui-même et qui ont donc voulu se présenter comme des victimes de cet antisémitisme imaginaire. La meilleure preuve, c’est qu’à la mort de Staline en 1953 son bras droit n’était autre que le Juif Lazare Kaganovitch, qui a continué, jusqu’à sa mise à l’écart avec le « groupe anti-parti », à défendre la mémoire de l’ancien Vojd contre Khrouchtchev. Quant au « complot des blouses blanches », neuf médecins, dont six Juifs, qui ont été accusés de vouloir empoisonner les dignitaires du Kremlin, affaire qui est censée démontrer l’antisémitisme de Staline, il suffit de remarquer qu’elle a éclaté en 1953 quelques semaines seulement avant la mort du maître de l’URSS, ce qui veut dire que celui-ci et ses collaborateurs étaient soignés par des Juifs jusqu’à cette date et qu’il ne serait donc devenu « antisémite » qu’in extremis. Ce n’est pas sérieux.

Outre l’influence des trotskystes dans le monde occidental, la fortune de ce bobard a une triple raison. En premier lieu, au cours de la guerre froide, il a alimenté la propagande anticommuniste des Américains et de leurs alliés. En deuxième lieu, lorsqu’Alexandre Soljénitsyne a fait découvrir aux Occidentaux l’horreur du Goulag, la propagande judéo-israélienne a voulu occulter le fait que les cadres et dirigeants de l’appareil répressif de la patrie du communisme, y compris le système concentrationnaire, étaient des Juifs à 90%, et que le Slavocide, qui avait fait dix-huit millions de morts – trois fois six millions – entre 1917 et 1953 parmi les Russes, Biélorusses et Ukrainiens, avait donc été perpétré principalement par des Juifs ; elle a réussi, par ce tour de bonneteau, à présenter les coupables comme des victimes. En troisième lieu, dès lors que Staline se rapprochait du « mal absolu » qu’avait incarné Adolf Hitler, lequel avait exterminé six millions de Juifs, et même qu’il le dépassait quant au nombre de victimes, il fallait à tout prix en faire un antisémite, pour que l’antisémitisme restât l’expression du mal absolu, ce qui est le premier dogme de la religion de la Choah.

Dès lors que la doxa enseigne que l’anti-cosmopolitisme de Staline n’était qu’un faux-semblant pour dissimuler son antisémitisme, l’équation est posée entre les deux notions : tout anticosmopolite est antisémite, tout antisémite est anticosmopolite. Voilà pourquoi la plupart des hommes droite de n’osent pas appeler le cosmopolitisme par son nom, tant ils ont peur de se voir affubler l’étiquette infamante qui ramène aux « heures les plus sombres de notre histoire » par la reductio ad Hitlerum

3. La philosophie stoïcienne de l’empire romain avait une fonction parallèle à celle qu’aura plus tard la religion musulmane de l’empire du califat. L’islam est un universalisme sans incarnation à vocation égalitaire qui veut, lui aussi, abolir les frontières entre les peuples et les ethnies. C’est une orthopraxie et non une orthodoxie, ce qui signifie que le pieux musulman doit avant tout obéir aux commandements de la charia, la loi islamique, plutôt qu’adhérer à une foi. En Algérie, les militants du FIS (Front islamique du salut) ont défilé en 1991 en clamant en anglais : « Islam is a way of life » (l’islam est un mode de vie). Et non une foi, donc. On pourrait être tenté de qualifier l’islam de « cosmopolitisme puritain », ce qui serait abusif et, à vrai dire, une contradictio in adjecto, car, si l’islam se rapproche du cosmopolitisme, il ne saurait se confondre avec lui dès lors qu’il repose sur une révélation, celle contenue dans le Coran, parole de Dieu, et dans les dits du prophète, la Sunna, et que s’ajoute à cela l’autorité de l’ijma, du consensus des oulémas pour les sunnites, de celle des ayatollahs, pour les chiites, alors que, dans le cosmopolitisme, l’homme est livré à lui-même, privé de la religion, de la révélation et de la tradition. L’islam efface seulement les frontières extérieures des peuples, qu’il voudrait tous rassembler au sein du Dar-el-Islam, mais non les frontières intérieures de la société entre les valeurs et les anti-valeurs, puisqu’il fait peser au contraire sur ses adeptes le poids d’une morale intransigeante, islam voulant dire « soumission » en arabe, la langue du Coran, qui est celle d’Allah.

A lire : Pierre Milloz, Le cosmopolitisme ou la France – l’idéologie cosmopolite, voilà l’ennemi (Godefroy de Bouillon, 2011).

Ce compendium doctrinal des nationaux-libéraux a été publié pour la première fois le 18 février 2022. Publication en ligne ici-même sur le site https://lesquenfr .

Cosmopolitisme et pédophilie

par Maxence de Touraine

Le cosmopolitisme entend transformer la société en carnaval en abolissant non seulement ses frontières physiques et externes, mais aussi ses frontières morales et internes. Il s’agit d’abattre le mur qui sépare le bien du mal, la beauté de la laideur, la vérité de l’erreur, les valeurs des anti-valeurs. Nous connaissons bien la négation de la distinction entre les sexes (théorie du genre) et de la distinction entre les races (antiracisme). Il nous faut également évoquer la négation de la frontière entre les âges, notamment dans le domaine de la sexualité.

Dans le cadre de la révolution cosmopolite de 1968, de nombreux esprits subversifs ont jugé opportun de soutenir la cause de la pédophilie : ils réclamaient, entre autres, la disparition de la majorité sexuelle, ce qui serait revenu dans les faits à légaliser les rapports sexuels entre adultes et enfants. Par exemple, Guy Hocquenghem, journaliste de Libération, militant homosexuel, mort du SIDA en 1998, petit-fils de Gustave Joseph Hocquenghem, l’époux d’Alice Meyer, elle-même fille de Charles Meyer et de Rosalie Lévy, a précisé en 1978 sur un plateau de télévision la manière dont il imaginait « l’amour en l’an 2000 ». En l’occurrence, le terme « amour » dénote aussi bien, si ce n’est plus, la sexualité que les sentiments. Voici l’évolution que notre intellectuel de gauche appelait de ses vœux :

« Si l’on parle de l’avenir qu’on souhaite, en tout cas, on peut dire qu’on espère qu’il tend à une mixité croissante, à des relations de plus en plus mixtes, c’est-à-dire entre enfants et adultes, des relations entre gens de même sexe, aussi bien que de sexes différents, et entre des gens de races différentes également. » (source : https://youtu.be/eUJWhaJ_EuE?t=92, consultée la 25 juin 2022)

Nous sommes consterné de voir que le militant de la révolution sexuelle situait sur le même plan la pédophilie, l’inversion et le métissage, comme si ces trois comportements se valaient. Quoi que l’on pense des deux derniers, ils relèvent de la liberté individuelle tant qu’ils impliquent des personnes majeures et consentantes.

En revanche, la pédophilie, c’est-à-dire les sévices que l’on inflige à un enfant, être innocent, répugne aux honnêtes gens et ne saurait trouver sa place dans une cité saine et équilibrée. Allons plus loin dans l’analyse : si l’on peut supposer que le sinistre Guy Hocquenghem, proche en d’autres temps du gourou de la Prétendue Nouvelle Droite, Alain de Benoist (source : https://www.revue-elements.com/liberation-alain-de-benoist-faiseur-de-droites/, consultée le 25 juin 2022), qui a soutenu Gabriel Matzneff et excusé la pédophilie, se livrait à un plaidoyer pro domo, puisqu’il assimilait la banalisation de la pédophilie à la progression de la « mixité », dont il paraissait épris, il ne faut pas sous-estimer pour autant la dimension idéologique de l’action qui était la sienne.

En désacralisant l’innocence et l’enfance, en vantant des comportements délictueux, voire criminels, en portant aux nues l’un des pires vices de l’humanité, le cosmopolite, immoraliste invétéré, inflige un coup de taille à la morale, à la famille et à la civilisation, tous biens que nous, hommes de droite, ennemis des cosmopolites, chérissons. L’apologie de la pédophilie s’inscrit donc dans un système, lequel porte un nom : le cosmopolitisme, ou idéologie cosmopolitique.

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